Un hommage à Dave Hyland

Nous publions ici l'hommage à Dave Hyland, ancien Secrétaire national du Socialist Equality Party de Grande Bretagne, prononcé par David North, président national du Socialist Equality Party des États-Unis et président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, lors d’une réunion commémorative qui s’est tenue le 18 janvier en l'honneur du camarade Hyland. Dave Hyland est décédé le 8 décembre 2013 (Voir : Meeting en mémoire de la lutte politique de Dave Hyland).

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La mort de Dave le 8 décembre n'est pas venue comme une surprise. Il avait été gravement malade, atteint d’une forme extrêmement agressive de polyarthrite rhumatoïde, depuis plus de 20 ans. Mais malgré la gravité de sa maladie, Dave avait manifesté des capacités de résistance qui semblaient défier l'explication scientifique. Sa volonté, son désir de vivre et de participer à la vie aussi complètement que possible, ont exercé de par eux-mêmes une force physique réelle.

Il y a quatre ans, Dave avait sombré dans l'inconscience et les médecins avaient dit à sa famille qu'il était peu probable qu'il survive plus de quelques jours. Mais il a repris conscience et, malgré des handicaps physiques immenses, a repris une vie politique et intellectuelle active.

Il était encore possible d'espérer, jusqu'à très récemment, que Dave resterait avec nous dans le temps à venir. Mais en novembre, il est devenu clair que l’évolution de sa maladie ne pouvait plus être contenue. Il a accepté ce fait avec dignité, rejetant en outre ce qu'il estimait être des efforts inutiles pour prolonger sa vie.

On m'a dit qu'une fois, au milieu des circonstances physiques les plus éprouvantes, il a dit à sa fille Julie, « la vie est belle ».

Dave a enduré les souffrances de sa maladie sans aucune trace d'apitoiement sur lui-même. Il a conservé son optimisme et son amour de la vie. Pour beaucoup, l'expérience d’une maladie prolongée, le poids des difficultés physiques et de la douleur, conduisent à la résignation, au désengagement intellectuel et au retrait émotionnel. Mais ce n'était pas le cas de Dave.

En novembre, Dave et moi avons parlé tout en sachant tous deux que ce serait la dernière fois. Cela peut sembler étrange, mais la discussion n'était pas sombre du tout. Dave est resté intensément impliqué dans le monde, passionné dans son engagement politique pour la cause du socialisme international et intéressé par tout ce qui se déroulait.

Dave m'a dit qu'il n'avait aucun regret sur le cours principal de sa vie. Sa décision de rejoindre le mouvement trotskiste dans les années 1970 découlait nécessairement des conclusions politiques qu'il avait tiré, en tant qu’ouvrier doté d’une conscience de classe, des grandes batailles de cette époque. Il considérait sa décision de 1985, de fonder son opposition à l'opportunisme national du Workers Revolutionary Party sur l'histoire, les principes et le programme du Comité International comme la plus importante de sa vie. Alors que sa vie touchait à sa fin, Dave a exprimé sa fierté du développement du World Socialist Web Site et sa confiance dans l'avenir du mouvement auquel il avait apporté une contribution aussi impérissable.

Chacun des intervenants a fait référence aux événements de 1985. L'année prochaine cela fera 30 ans que cette lutte a eu lieu. Pour ceux d'entre nous qui ont participé à ce combat, c’est comme si c'était hier. Mais les photographies que l’on peut voir dans le hall d’exposition nous disent le contraire. À l'époque, nous étions encore de jeunes hommes. Mais si trois décennies se sont écoulées, les événements de 1985 restent incorporés si vivement dans nos esprits qu'il semble qu’ils ont eu lieu hier. C'est parce qu'il demeure un lien puissant entre ces événements et la vie que nous menons encore aujourd’hui.

Dave aurait aimé continuer à vivre jusque dans ses 70 ou ses 80 ans. Mais tout le monde ne bénéficie pas d'une vie aussi longue. Pourtant, plus important que la longévité, est ce que nous faisons des années qui nous sont accordées. La vraie mesure du succès de la vie est d’avoir conservé, à la fin de sa vie, les meilleures qualités de sa jeunesse et de comprendre la logique interne des expériences à travers lesquelles nous sommes passés.

Dave a été en mesure de comprendre le cours de sa vie comme les chapitres interconnectés d'un récit historique plus large. C'était une vie qui s'est inspirée des principes socialistes auxquels Dave a adhéré pendant de nombreuses décennies. Sa vie avait un sens et peut être comprise en relation avec les grands événements historiques de son temps.

Nous vivons tous au milieu de forces objectives dotées d’un pouvoir colossal. En devenant plus âgé, on acquiert une meilleure idée de l'ampleur avec laquelle le cours de notre vie a été déterminé par des forces hors de notre contrôle direct et immédiat. Mais nous ne sommes pas impuissants. Chacun de nous doit décider comment répondre aux grandes forces objectives de l'histoire.

Les photographies et les documents du hall d'exposition illustrent les principes qui reliaient une période de sa vie à une autre. Il n'y a pas plus triste sort que d’arriver à la fin de sa vie sans être en mesure d'identifier un but central qui a guidé nos actes, d’être incapable de répondre à la question : « quel a été le sens de tout cela ? ». Ou pire encore, interrogé sur le passé, de répondre, « je ne me souviens pas ». Les gens qui ne se souviennent pas, ne veulent généralement pas se souvenir, parce qu'ils se sont tellement éloignés des idéaux qui les ont inspirés dans leur jeunesse.

Dave savait ce qu’avait été le sens de sa vie. Il se souvenait et voulait se rappeler des expériences à travers lesquelles il était passé. C'est la clé pour comprendre le calme et la sérénité avec laquelle Dave a affronté la dernière étape de sa vie. Je pense qu'il s'attendait qu'une réunion comme celle-ci ait lieu, et que l’évaluation de sa vie serait objective et juste.

Il ne fait aucun doute que Dave restera comme une figure majeure dans l'histoire de la classe ouvrière britannique et internationale.

Dave est né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, une période qui a vu la résurgence du militantisme de la classe ouvrière. Comme tant de centaines de milliers de travailleurs britanniques, qui sont arrivés à l'âge adulte dans les années 1960, Dave a cru que le moment était venu de venger la défaite de la grève générale de 1926 et les indignités des « années 1930 de la faim ». Par son père, il avait une connexion directe à cette période de lutte sociale. En 1945, la classe ouvrière britannique avait porté le parti travailliste au pouvoir en espérant que cela conduirait à une Grande-Bretagne socialiste. Mais dans le quart de siècle qui a suivi, que ce soit dans ou hors du pouvoir; le Parti travailliste et le Trades Union Congress (TUC), aidés par le Parti communiste stalinien, ont consacré l'essentiel de leurs énergies non pas à lutter contre les tories détestés, mais à contenir, à s'opposer et à trahir les luttes de la classe ouvrière.

Il peut être difficile, pour la jeune génération qui n'a connu que des revers et n'a jamais vu la puissance de la classe ouvrière en lutte, de comprendre l'optimisme et la détermination qui existaient dans la Grande-Bretagne des années 1960 et du début des années 1970. Cela se retrouve dans une certaine mesure dans la musique de l'époque. Il y avait un mépris pour l'ancien système et une détermination à y mettre un terme. Et il était évident qu'il existait une force qui pouvait mener cette tâche à bien.

La victoire en 1970 du Parti tory aux élections nationales a ouvert la voie à une vague de luttes de la classe ouvrière. Le nouveau gouvernement était déterminé à employer sa nouvelle Loi sur les relations industrielles pour réprimer les grèves, mais les travailleurs britanniques ont refusé d'accepter la légitimité de lois qui n'ont été considérées comme rien d'autre qu'une mise en œuvre des intérêts de classe. Entre 1970 et 1974, les luttes de la classe ouvrière amenèrent la Grande-Bretagne plus près d'une révolution socialiste qu'à n'importe quel autre moment depuis la Grève générale de 1926.

En 1973-1974, les mineurs britanniques, au cours de leur deuxième grève nationale contre la politique du gouvernement d'Edward Heath, obtinrent ce que leurs grands-parents n'avaient pu achever. La grève a forcé Heath à appeler à une élection générale. La question centrale, a déclaré le premier ministre aux abois, était « Qui gouverne la Grande-Bretagne ? » « Ce ne sera pas vous » fut la réponse donnée. Heath a perdu l'élection. Pour la première fois dans l'histoire, la classe ouvrière britannique avait provoqué, en usant de sa puissance dans l'industrie, la démission et la défaite d'un gouvernement tory.

La défaite des tories n'a pas résolu le problème stratégique de la révolution socialiste en Grande-Bretagne. Au contraire, la classe ouvrière faisait maintenant face, avec le nouveau gouvernement travailliste allié à la bureaucratie syndicale, à un ennemi implacable, déterminé à employer toute l'expérience et les compétences qu'il avait acquis au cours de décennies de trahison politique pour entraver, désorienter, paralyser, démoraliser et désarmer le mouvement de masse qui avait amené la Grande-Bretagne au bord de la révolution socialiste. En d'autres termes, entre 1974 et 1979, les gouvernements travaillistes des premiers ministres Wilson et Callaghan, encouragés par le TUC et ses complices dans le Parti communiste britannique ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour préparer le terrain politique pour le triomphe du thatchérisme et de tous les désastres politiques ultérieurs qui se sont abattus sur la classe ouvrière.

Cependant, il y avait une tendance politique dans la classe ouvrière britannique qui s'était développée au cours des vingt années qui avait précédé le mouvement de la grande grève de 1973-1974, sur la base d'une lutte contre le parti travailliste, la bureaucratie syndicale, le stalinisme et diverses formes de radicalisme bourgeois, principalement le pablisme et les tendances capitalistes d'État. Je parle, bien sûr, de la Socialist Labour League, la section britannique du Comité International de la Quatrième Internationale, dirigée par Gerry Healy.

Dans les vingt années allant de 1953 à 1973, le mouvement trotskiste en Grande-Bretagne avait connu une croissance extraordinaire.

Initialement, ces gains ont été acquis sur la base des principes qui ont été défendus dans la lutte de 1953 contre la tendance révisionniste de la Quatrième Internationale, dirigée par Michel Pablo et Ernest Mandel. La question essentielle dans cette lutte a été le rôle irremplaçable de la Quatrième Internationale dans le développement d’une conscience marxiste dans la classe ouvrière et la victoire de la révolution socialiste mondiale. Le Comité International, formé à l'automne 1953, a rejeté les revendications des pablistes que le socialisme pouvait être réalisé sous la direction des staliniens, des sociaux-démocrates et des organisations nationalistes bourgeoises ou divers autres types d'organisations radicales de la petite-bourgeoise, socialement et politiquement hétérogènes.

Healy avait joué un rôle important dans la lutte de 1953. Collaborant étroitement avec James P. Cannon, le leader du parti ouvrier socialiste aux Etats-Unis, Healy avait défait la tendance pabliste au sein de l'organisation britannique, qui exigeait en fait un terme à l'existence indépendante d'un parti trotskiste et sa liquidation dans le Parti communiste. C'était la ligne des pablistes. Le Parti communiste, déclarait-il, représenterait les aspirations révolutionnaires de la classe ouvrière, et il n'y n'avait aucune nécessité d'une organisation trotskiste indépendante.

La lutte implacable contre le liquidationisme pabliste a jeté les bases pour la croissance ultérieure du mouvement trotskiste en Grande-Bretagne. La défense de l'analyse trotskiste du stalinisme, l'insistance sur le rôle immuablement contre-révolutionnaire de la bureaucratie du Kremlin et de tous les partis communistes nationaux, a préparé les trotskistes britannique pour les opportunités politiques qui sont apparues à la suite du « discours secret » de Khrouchtchev de février 1956 dans lequel Staline a été dénoncé comme un meurtrier, et de la brutale répression soviétique de la révolution hongroise en octobre de la même année.

Ces événements, qui ont plongé la bureaucratie soviétique et le mouvement stalinien international dans une crise profonde, ont démontré la justesse de la position adoptée en 1953 par les trotskistes britannique sous la direction de Healy. En outre, leur clarté sur la nature du stalinisme, l'absence de toute illusion, lesquelles étaient promues assidûment par les pablistes, sur le soi-disant potentiel révolutionnaire du régime du Kremlin, permit aux trotskistes d'intervenir dans la crise du Parti communiste britannique. Ils gagnèrent un certain nombre de recrues de l'organisation stalinienne qui devaient jouer un rôle important dans le développement ultérieur du mouvement trotskiste.

Malgré d'immenses problèmes, les proscriptions par le Parti travailliste, les attaques des staliniens, le manque chronique de ressources financières, l'influence du mouvement trotskiste a augmenté régulièrement dans les années 1950. Il convient de souligner que durant cette période féconde de croissance organisationnelle, les trotskistes britanniques jouaient un rôle majeur dans la lutte en cours, théorique et politique contre le pablisme au sein de la Quatrième Internationale. En effet, c'est durant cette période que les trotskistes britanniques ont commencé à développer leurs critiques sur ce qu'ils perçurent, correctement, comme une dérive de la part du Socialist Workers Party des Etats-Unis vers une réconciliation avec les pablistes.

Dès 1957, Healy a reconnu que le SWP s'éloignait des principes trotskistes qu'il avait défendus en 1953. Le SWP fut entraîné dans une campagne de « regroupement » aux États-Unis qui a marqué une réorientation opportuniste en direction du milieu du radicalisme petit-bourgeois de gauche. Par contraste avec les hésitations opportuniste du SWP, les trotskistes britanniques développaient régulièrement la lutte contre le stalinisme et la social-démocratie. Depuis la fin des années 1940, les trotskistes britanniques avaient mené un travail au sein du Parti travailliste. Le but de ce travail n'avait pas été de convertir le parti travailliste en une organisation socialiste, une tâche impossible, mais d'exposer le rôle perfide de la social-démocratie et, sur cette base, de gagner les meilleurs éléments au sein du Parti travailliste au programme et aux perspectives de la Quatrième Internationale.

Comme l'influence des trotskistes grandissait dans les années 1950, le Parti travailliste a eu recours à la chasse aux sorcières et aux expulsions. Healy ne pouvait pas être intimidé. En 1959, les trotskistes formèrent la Socialist Labour League pour poursuivre la lutte contre le travaillisme. De façon significative, aux États-Unis le SWP s'opposa à cette nécessaire rupture organisationnelle, ignorant le fait que l'alternative était une reddition politique complète à la discipline et à l'autorité du Parti travailliste. Cannon, devenu à cet époque un complet opportuniste, accusa Gerry Healy de s'être engagé dans une « frénésie d’ultragauche ».

Réfutant les revendications de Cannon que la vie à l'extérieur de l'enceinte du Parti travailliste était impossible, la Socialist Labour League construisit une puissante opposition à la bureaucratie social-démocrate au sein des Young Socialists, à cette époque le mouvement de jeunesse du parti travailliste. Au début des années 1960, elle avait gagné la direction des Young Socialists. Lorsque les travaillistes ont riposté par des expulsions, les YS se reconstituèrent pour former le mouvement de jeunesse de la Socialist Labour League.

Entre 1961 et 1963, la SLL s'est opposée aux efforts du Socialist Workers Party des Etats-Unis, maintenant dirigé par Joseph Hansen, de mener une réunification du Comité International et de l'Organisation internationale des pablistes. Le prétexte politique utilisé pour justifier la réunification était le renversement du régime de Batista à Cuba par les forces de la guérilla menées par Castro (qui, il est bon de le rappeler, a d'abord bénéficié du soutien des États-Unis). La victoire de Castro, affirmait le SWP, avait démontré qu'une révolution socialiste pouvait être menée jusqu'à la victoire et à un Etat ouvrier établi sous la direction d'un mouvement politique qui n'était ni marxiste ni trotskiste, ni même explicitement socialiste et fondé sur la classe ouvrière.

Ainsi, l'objectif de la réunification était la dissolution de la Quatrième Internationale dans le marécage réactionnaire de la politique petite-bourgeoise de gauche. Les efforts pour construire un mouvement socialiste international de la classe ouvrière, fondé sur la théorie marxiste et guidé sur le plan politique par l'héritage de la lutte de Trotsky contre la trahison de la Révolution d'octobre, devaient être abandonnées. Le sort de la révolution socialiste devait être confié à un ensemble composé de nationalistes bourgeois et d'organisations petite-bourgeoises radicales alliées ou tributaires, sous une forme ou une autre, de la bureaucratie soviétique.

L'opposition de la SLL et des trotskistes français du PCI (qui deviendra plus tard l'OCI) à la réunification dénuée de principe du SWP avec les pablistes a empêché la liquidation de la Quatrième Internationale. De plus, la lutte menée par la SLL conduisit à l'expansion du travail du Comité International, avec la formation de la Workers League aux États-Unis, de la Ligue communiste révolutionnaire au Sri Lanka et, plus tard, dans les années 1970, du Bund Sozialistischer Arbeiter en Allemagne et de la Socialist Labor League en Australie.

La SLL a connu une croissance considérable dans les années qui suivirent son rejet de la réunification entre le SWP et les pablistes. Cette croissance, comme nous allons l'expliquer, n'était pas sans contradictions politiques. Il n'y avait, cependant, aucun doute, quant au fait que la SLL a mis en avant un programme révolutionnaire internationaliste qui a attiré les sections les plus remplies d'abnégation et les plus politiquement conscientes de la classe ouvrière de Grande-Bretagne, en particulier dans les conditions de recrudescence des luttes de classe ouvrières qui ont suivi les événements de mai-juin 1968 en France et, surtout, le retour des tories au pouvoir en juin 1970.

C'est que qui constitue l'arrière-plan de l'entrée de Dave Hyland dans la politique révolutionnaire. Dave Hyland a été l'un des ouvriers qui ont été attiré vers la Socialist Labour League. Il m'a écrit une lettre en octobre 2005 dans laquelle il évoquait les conditions dans lesquelles il a rejoint la SLL:

« J'étais un ouvrier de 25 ans à l'usine Kodak à Wealdstone, impliqué dans une lutte contre les staliniens dans une usine et dans le syndicat du film ACTT quand j'ai lu pour la première fois le Workers Press. Je détestais profondément les staliniens, tant pour leur duplicité que pour leur condescendance envers les travailleurs, mais je ne les comprenais pas politiquement. Le premier exemplaire du Workers Press que j'ai jamais acheté avait à sa une un article sur le rôle historique du stalinisme au Moyen-Orient. C'est comme si on m'avait enlevé un bandeau des yeux. L'article expliquait le rôle politique contre-révolutionnaire du stalinisme et rendait clair pour moi que la lutte contre celui-ci ne pouvait être menée que dans le cadre d'un mouvement international. » [Lettre à David du Nord, 9 octobre 2005]

Dave a rejoint le parti au milieu de l'intensification de la lutte des classes en Grande-Bretagne. En 1972, une grève générale de fait a éclaté lorsque le gouvernement Heath a emprisonné cinq dockers, qui avaient défié les dispositions anti-piquet de grève de la nouvelle loi sur les relations industrielles. Le gouvernement a été contraint de libérer ces travailleurs. Cette même année, une grève nationale des mineurs a forcé le gouvernement à faire à nouveau retraite.

Dave est resté jusqu'à la fin de sa vie immensément fier et reconnaissant pour la formation politique qu'il avait reçue au sein de la Socialist Labour League. Il a particulièrement apprécié le travail d'une section d'artistes et d'intellectuels qui avaient été gagnés au parti. En 2010, après la mort de Corin Redgrave, Dave a écrit une lettre pour le World Socialist Web Site :

« J'ai rejoint le précurseur du WRP à la même époque que Corin [Redgrave] au début des années 1970. Je ne le connaissais pas très bien, mais pendant quelques années, j'ai eu une relation politique étroite avec deux autres artistes et intellectuels au sein de la direction, le réalisateur Roy Battersby et le scénariste Roger Smith. C'était le résultat de notre adhésion simultanée à la SLL/WRP et au syndicat ACTT.

« J'ai travaillé à l'usine Kodak à Harrow et avec des camarades locaux nous avons commencé à construire une cellule du parti. Roy et Roger se jetèrent dans ce travail avec beaucoup d'enthousiasme. Je me souviens que Roy a fait une série de conférences publiques sur la « dialectique de la Nature » et Roger a donné plusieurs classes à des sections du parti sur « Le socialisme : utopique et scientifique », tandis que tous deux diffusaient aussi certains jours le journal aux portes de l'usine. Ils étaient très bons pour expliquer des idées complexes et les rendre plus faciles à comprendre. Ces conférences et ces classes étaient extrêmement importantes, car ils amenaient la discussion au-delà des problèmes immédiats dans l'usine et le syndicat pour répondre aux questions de théorie, d'histoire et de sciences.

« C'étaient des thèmes populaires parmi les membres, tout comme les questions entourant les importants développements internationaux au Chili, en Irlande et au Portugal. L'intérieur de l'usine était comme une marmite sous pression. La direction et la bureaucratie syndicale combinaient leurs efforts pour tenter de s'en prendre aux trotskistes. La majorité des travailleurs, bien que nous étant favorable, ne voyait aucun besoin réel d'un parti révolutionnaire quand il est apparu qu'ils pouvaient faire tomber un gouvernement simplement par le biais de leur seule force syndicale ». [Lettre au World Socialist Web Site, 16 avril 2010]

La période allant de 1970 à 1974 a vu une croissance considérable de la Socialist Labour League. Ce n'est pas l'heure et le lieu d'entreprendre un examen approfondi de tous les problèmes politiques qui s'étaient développés au sein de la Socialist Labour League au cours de la période précédente, mais il y a quelques points que je dois vraiment souligner pour permettre de comprendre le développement de la crise qui a suivi.

Il est toujours dangereux pour un mouvement, lorsqu'il subit une croissance rapide, de considérer cette croissance sans esprit critique et de s'adapter à la conscience qui prévaut dans le mouvement de masse. La conscience du mouvement de masse en Grande-Bretagne est restée principalement syndicaliste, la conception que, grâce à la victoire du Parti travailliste et à la défaite des tories, les principaux problèmes de la classe ouvrière pourraient être résolus.

Gerry Healy n'avait pas son pareil dans le mouvement ouvrier britannique en tant qu'organisateur, comme orateur et comme stratège politique. Il représentait des décennies de lutte politique pour les principes contre toutes les formes d'opportunisme. Son personnage politique, forgé au cours de décennies de lutte, exprimait une dévotion indéfectible et farouche à la cause de la révolution socialiste qui était extrêmement attrayante pour Dave Hyland.

Healy possédait la capacité, dans sa meilleure période, de projeter son immense confiance dans la force de la classe ouvrière. Cette capacité a trouvé son expression consommée au cours de la recrudescence des luttes de 1970 à 1974. Entendre Gerry Healy durant cette période était une expérience inspirante et inoubliable. L'effondrement du gouvernement tory en février 1974 a confirmé la confiance qu'avait Healy.

Healy avait sous-estimé les énormes problèmes qui se poseraient après la défaite des tories. Au cours de la période de la recrudescence des luttes, alors que la SLL était en croissance très rapide, Healy disait souvent que si la classe ouvrière peut battre le maître tory, elle peut faire face à ses serviteurs. Mais comme nous le savons par d'innombrables série télévisées britanniques, le maître d'hôtel n'est souvent pas moins habile et résolu à s'occuper des intérêts de la maison que milord et milady qui utilisent ses services.

En 1974, les maîtres d'hôtel politiques du Parti travailliste, avec leur longue tradition de trahison réformiste, comprenaient très bien que leur tâche principale était d'amener le mouvement des masses ouvrières sous contrôle. Ils étaient décidés à exploiter toutes les formes de confusion politique dans la classe ouvrière, ses illusions résiduelles dans le Parti travailliste, pour laisser le temps à la classe dirigeante de prendre sa revanche pour les humiliantes défaites des années 1970. Et c'est exactement ce qui s'est passé. Alors que le gouvernement travailliste a trahi les espoirs du mouvement de masse, la classe dirigeante préparait Margaret Thatcher pour le pouvoir.

Malgré les gains impressionnants qui avaient été faits par la SLL pendant le mouvement anti-tory, celle-ci, en dernière analyse, était politiquement mal préparée pour affronter les défis qui ont suivi le retour du gouvernement travailliste au pouvoir. Des contradictions politiques importantes s'étaient développées au sein de la SLL, à côté de la réussite de ses réalisations concrètes, au cours de la période précédente. Il s'agissait de contradictions enracinées tout à la fois dans les circonstances objectives et les erreurs subjectives de la direction.

À la suite de la scission avec le SWP, la lutte contre le liquidationisme pabliste en est venue à être considérée de plus en plus comme une question en grande partie organisationnelle, plutôt que comme une question théorique et politique nécessitant une attention constante.

La croissance concrète du mouvement en Grande-Bretagne, l'expansion de son influence auprès des jeunes et des syndicats, l'expansion de ses ressources matérielles, était considérée comme la réponse fondamentale et décisive au problème posé par le stalinisme, la social-démocratie, le pablisme et diverses formes d'opportunisme.

Ainsi, le problème de la révolution sociale en est venu à être vu de plus en plus dans un cadre national et non international. Les possibilités immédiates en Grande-Bretagne ont été vues en dehors du contexte historique et international plus vaste de la révolution socialiste. Cela a encouragé l'illusion que des gains tactiques en Grande-Bretagne pourraient en quelque sorte résoudre les problèmes qui étaient logés dans les rapports de forces internationaux. Le Comité International n'avait qu'à être en remorque et à fournir un peu de soutien auxiliaire pour les activités de la SLL qui se développait en Grande-Bretagne.

On en est venu à considérer la lutte internationale contre le révisionnisme pabliste, au niveau de la théorie et des perspectives politiques, comme une distraction des problèmes pressants de la construction du parti en Grande-Bretagne. Inévitablement, l'accent mis sur les problèmes nationaux a pris la forme d'une adaptation à la conscience politique limitée qui a dominé le mouvement de masse anti-tory. L'expression la plus grave de cette adaptation a été la transformation de la SLL en Workers Revolutionary Party en novembre 1973, sur la base d'une perspective largement nationale. Les sections du Comité International n'ont pas participé aux discussions qui ont établi le WRP et n'ont même pas été invitées à participer aux actes du congrès fondateur.

Les conceptions et les attitudes que j'ai exposées ne sont pas apparues toutes à la fois. En effet, il est possible de trouver dans les divers documents et articles produits par la SLL durant la période de la montée des luttes anti-tory des déclarations entièrement orthodoxes sur la question de l'internationalisme révolutionnaire et de la lutte contre le pablisme. Mais un examen plus attentif de l'évolution de la SLL, que le CIQI a effectué à la suite de la scission en 1985-1986, a prouvé qu'une dérive vers l'opportunisme national s'était développée à la fin des années 1960 et avait pris de l'ampleur dans les années 1970.

Le Comité international a, dans plusieurs documents, attiré l'attention sur le caractère abrupt et politiquement peu clair de la scission de 1971 avec l'OCI, la section française du CI. Les questions principales de perspective politique qui sous-tendaient le conflit entre la SLL et l'OCI ont été à peine discutées. Échapper à ces questions signifiait que les principaux problèmes de stratégie révolutionnaire internationale soulevés par les grands événements de mai-juin 1968 en France n'étaient pas abordés ni incorporés dans le programme du Comité international.

 

De plus, dans la mesure ou les tendances opportunistes de l'OCI étaient considérées comme la seule expression des problèmes de l'organisation française, la Socialist Labour League n'a pas pu voir comment des problèmes similaires se manifestaient au sein de l'organisation britannique.

Il y avait encore un autre élément dans le conflit avec l'organisation française dont la SLL ne saisissait pas l'importance. Pratiquement depuis la fin de la seconde Guerre mondiale, l'intelligentsia française se tenait à la pointe de la lutte contre le marxisme, alors que Heidegger était discrédité en Allemagne en raison de sa collaboration méprisable avec les Nazis, celui-ci a trouvé d'innombrables acolytes en France. L'Existentialisme est devenu à la mode dans l'élite française.

À la suite des troubles de mai-juin 1968, terrifiées par le spectre de la révolution socialiste, de grandes parties de l'intelligentsia et des étudiants français ont coupés tous les ponts qu'ils avaient pu avoir avec le marxisme. Dans l'environnement de réaction intellectuelle post-68, même Sartre était considéré comme trop conciliant avec le marxisme, une nouvelle génération de théoriciens irrationalistes a pris le devant de la scène. L'âge des Lyotard et des Foucault était arrivé.

Ayant rompu avec l'OCI, la SLL était largement ignorante de ces développements et de leurs implications très importantes pour le travail théorique et politique du parti révolutionnaire.

Mais même avant que l'importance des questions théoriques n'émerge clairement, les conséquences politiques de la mauvaise gestion des divergences avec l'OCI se sont fait sentir au sein du WRP.

En octobre 1974, Alan Thornett, le syndicaliste en chef – et c'est vraiment tout ce qu'il était, le syndicaliste en chef – du Workers Revolutionnary Party, a annoncé avoir des divergences lors d'une réunion du Comité politique. Les positions de Thornett, qui exprimaient des illusions sur le nouveau Parti travailliste, avaient été formulées par l'OCI. Politiquement déloyal et malhonnête, Thornett n'a pas révélé qu'il avait travaillé avec une organisation concurrente.

Il n'a pas fallu plus de cinq minutes à Healy pour réaliser que Thornett n'avait pas formulé les positions qu'il présentait au comité politique du WRP. Il a compris que les arguments de Thornett reproduisaient les positions politiques de l'OCI, qui était alors alliée au Parti socialiste de Mitterrand. Le fait que Thornett défendait maintenant les positions de l'OCI au sein de la direction venait de ce qu’on avait négligé la lutte contre l'OCI.

Le conflit avec Thornett a fourni au WRP une occasion tardive de clarifier les divergences avec l'OCI. Mais encore une fois, la réaction de Healy na pas été de se pencher sur les questions politiques, mais de décider rapidement d'un règlement de compte organisationnel avec Thornett. Le résultat fut qu'entre octobre et décembre 1974, le Workers Revolutionnary Party a perdu plusieurs centaines de membres, dont une bonne partie de sa base dans les syndicats.

Le fait que Dave Hyland n'ait pas suivi Thornett témoigne de sa force politique. Il n'était pas impressionné par la perspective syndicale provinciale de Thornett. Il était écoeuré par la duplicité de Thornett, son indifférence aux traditions du mouvement Trotskyste et son activisme opportuniste. Dave restait loyal envers le parti. Mais la crise au sein du WRP s'est approfondie. Avec le parti travailliste au pouvoir, beaucoup des recrues qui nous avaient rejoint durant le mouvement anti-conservateur ont quitté le parti, et cela a augmenté les pressions sur l'organisation. Healy a cherché un moyen pour sortir de cette crise en développant toutes sortes de relations sans principes avec les mouvements et gouvernements nationalistes bourgeois au Moyen-Orient.

La dégénération opportuniste du WRP a entraîné le conflit avec la Workers League au sein du Comité international.

Entre octobre 1982 et février 1984, la Workers League a présenté des critiques détaillées des conceptions théoriques et du programme politique du WRP. Cependant, nous croyions que ce serait une sérieuse erreur politique de la Workers League de rompre avec le WRP sans discussion des divergences au sein du Comité international. Nous reconnaissions que les positions politiques de la Workers League étaient mal connues, et encore moins comprises, au sein du mouvement international.

En particulier, la situation au sein du WRP nous inquiétait énormément. Malgré mes différences politiques avec la direction du WRP, j'avais un grand respect pour ce parti. Je connaissais son histoire, ses décennies de lutte. Je savais que ses cadres travaillaient extrêmement dur, souvent 12, 15, voir 18 heures par jour. J'étais convaincu qu'il y avait des membres du parti qui étaient dévoués au trotskysme et qui salueraient une discussion, s'ils en avaient l'occasion, sur les questions critiques du programme international. J'avais du mal à croire qu'il n'y avait pas d'inquiétudes au sein de l'organisation sur cette dérive opportuniste de plus en plus visible. Mais comment entrer en contact avec la base du parti ?

Je n'avais pratiquement aucun contact avec les membres de base. Je prenais la parole lors de réunions publiques. J'étais sur les plateformes à Londres pour les commémorations de l'anniversaire du Workers Press, ou de l'anniversaire de l'assassinat de Trotsky, mais mon contact avec les membres du parti, en particulier hors du centre, était minime. Et le WRP était déterminé à ce que cela reste ainsi.

La situation a changé soudainement à la fin de l'été 1985. À la veille du 3 septembre 1985, un jour que je n'oublierais jamais, j'ai reçu un appel de Michael Banda, secrétaire général du Workers revolutionnary Party, qui m'a demandé, mystérieusement, de « renouer l'alliance. » Il faisait référence à un accord précédent, datant d'octobre 1982, où Banda avait juré qu'il soutiendrait mes efforts pour initier une discussion sur les conceptions théoriques et politiques erronées du WRP. En quelques semaines Banda était revenu sur son engagement, un fois qu'il eut trouvé un accord complément opportuniste avec Healy.

Le lendemain, j'ai informé le Comité politique de la Workers League de l'appel de Banda. Nous avons admis unanimement que la Workers League n'entrerait dans aucune alliance avec un dirigeant du WRP. Nous comprenions maintenant que la direction du Workers Revolutionnary Party se conduisait d'une manière totalement opportuniste. Elle croyait qu'elle pourrait exploiter et utiliser le Comité international pour régler ses propres disputes fractionnelles. Mais pour la Workers League, le Comité international n'allait pas tolérer une subordination sans principes des besoins du mouvement mondial aux intérêts fractionnels des dirigeants du WRP.

À la mi-septembre 1985, Larry Porter et moi nous sommes rendus en Angleterre pour savoir ce qui se passait réellement dans cette organisation. On nous avait simplement dit que Healy démissionnait pour raisons de santé et d'âge. Je peux vous assurer que nous n'y croyions pas, mais nous comprenions que cette crise, quelles qu'en soient les causes immédiates, était le résultat d'une désorientation politique et de la régression opportuniste de la direction.

Quand j'ai rencontré Banda, il est devenu évident qu'il n'avait aucune explication politique à la crise du WRP. Je lui ai rappelé les critiques politiques qui avaient été faites en 1982 et 1984. Il fouilla dans ses dossiers désorganisés et découvrit un exemplaire de mon rapport de février 1984.

Banda a admis que j'avais eu raison. Il a demandé à discuter de ces questions avec moi et il demanda si je voulais l’accompagner dans le Yorkshire, où il voulait rencontrer un camarade qui avait joué un rôle majeur dans la grève des mineurs qui venait de se terminer. Le camarade qu'il voulait voir était Dave Hyland à Rotherham.

Je ne connaissais Dave Hyland que de nom, je ne lui avais jamais parlé. Ces trois heures de route jusqu'à Rotherham se sont révélées les plus importantes de mes nombreuses excusions sur les autoroutes britanniques. Après que Banda soit arrivé chez Dave, il y a eu une discussion assez vague sur les questions liées au travail parmi les mineurs, c'était une discussion décousue et mon attention était plus attirée par le chien remarquable qui jouait dans la cuisine des Hyland. À part quelques civilités sans conséquences, Dave et moi n'avons pas échangé de paroles.

Mais au moment de partir, à ma surprise, Banda a soudainement sorti de sa poche une copie du rapport que j'avais donné au Comité international en février 1984. Il l'a donné à Dave Hyland puis nous sommes partis.

En 2005, Dave m'a écrit : « Quand j'ai lu ta [critique de] Studies in Dialiectics en 1985, et d'autres documents qui décrivaient la discussion qui avait eu lieu dans la Workers League depuis 1982, ce fut une révélation. L'approche des questions historiques et théoriques ainsi que la politique en général était complètement différente de ce qui existait à l'époque dans le WRP, où tout partait de la perception immédiate des choses et des initiatives pratiques, ce qui était en opposition à une perspective marxiste historique et à la méthode scientifique. C'est pourquoi je t’ai téléphoné il y a 20 ans, et les événements qui ont suivi ont prouvé que c'était la décision politique la plus importante de ma vie.

Je me rappelle très bien de cet appel téléphonique, j'étais en Allemagne avec Uli Rippert. À la veille du 9 octobre, j'ai appelé Detroit pour savoir comment se passaient les choses, et on m'a dit qu'un appel était arrivé d'un membre du WRP en Grande-Bretagne. Le nom de ce membre était Dave Hyland et il avait demandé à me parler. J'étais extrêmement heureux de cette nouvelle. Je ai dit à Uli ce que je venais d’apprendre et j'ai ajouté : « c'est enfin arrivé. Une section du parti britannique se tourne vers le Comité international et veut nous parler des questions politiques. »

Je ne peux pas exagérer l'importance critique que cela avait. Jusque là, nous nous tenions encore à l'extérieur. C'était comme si nous étions des intrus politiques dans une organisation à laquelle nous n'avions pas accès. Mais maintenant il y avait quelqu'un qui voulait nous parler de la crise au sein du WRP et qui était intéressé par les documents que nous avions écrits.

Plusieurs jours après, j'ai contacté Dave Hyland après m'être rendu en Grande-Bretagne. Nous nous sommes vu une première fois le 12 octobre 1985. Et, croyez-le ou non, la première rencontre a eu lieu chez Cliff Slaughter, mais ni Dave ni moi ne nous sentions particulièrement bien accueillis, Slaughter nous appelait les « visiteurs indésirables ». Dave et moi sommes allés à un pub proche pour discuter.

Après avoir résumé la crise au WRP, Dave a exprimé l'idée – je pense que c'était plus pour me tester qu'une position à laquelle il tenait – qu'il n'y avait jamais eu de mouvement trotskyste en Grande-Bretagne. C'était la ligne défendue par Banda. J'ai passé près de trois heures à revoir toute l'histoire de la lutte du Comité international depuis sa fondation en 1953. Dave écoutait très attentivement, me demandant parfois de développer un point ou un autre. À la conclusion de mon explication, Dave a changé de position. Ou il serait peut-être plus correct de dire que tous les doutes qu'il pouvait encore avoir étaient résolus. Il a accepté que la lutte au sein du WRP devait être menée sur la base d'un programme et d'une perspective internationaux, et en s'appuyant sur la continuité du mouvement trotskyste contre la montée du pablisme au sein du Comité international.

Dave m'a prévu de me méfier de toutes les factions impliquées dans la lutte au sein du Workers Revolutionnary Party. J'étais d’accord sur ce point. La question centrale n'était pas les questions factionnelles qui séparaient Healy, Banda et Slaughter, mais les questions politiques qui sous-tendaient la crise du WRP.

A partir de là, Dave a lutté pour développer la discussion au sein du WRP sur une base internationale. Contrairement à toutes les autres pseudo-oppositions au sein du WRP, Dave Hyland a insisté sur le fait que l'organisation britannique devait accepter l'autorité politique du Comité international.

Banda et Slaughter ont cherché à imputer la responsabilité de tout ce qui n'allait pas dans le WRP à Healy. Ils étaient ou tentaient de faire croire à tout que monde qu'ils étaient les victimes innocentes et impuissantes d'un mégalomane politique. Il n'y avait rien qu'ils auraient pu faire. Bien sûr, nous savions que c'était faux. Nous n'avions pas oublié que c'est Slaughter lui-même qui avait introduit une motion au Congrès du WRP investissant Healy d'une autorité supra-constitutionnelle et qui ne pouvait être remise en question. De plus, lui et Banda, comme je le savais très bien, avaient collaboré avec Healy pour faire taire les critiques de la ligne politique et des conceptions théoriques du WRP.

En novembre 1985, le Comité central du WRP a accepté une résolution qui stipulait que l'appartenance à l'organisation impliquait l'acceptation de l'autorité politique du CIQI. Ils ont cherché à renverser et à annuler cette décision

Et ils s'en sont pris amèrement à Dave Hyland, qui dirigeait une faction minoritaire au comité central. Sa faction « minoritaire » représentait en fait une majorité des membres du WRP, si l'on avait ouvert l'adhésion uniquement à ceux qui acceptaient l'autorité du mouvement international.

La direction du WRP mettait en avant une ligne de la « dégénérescence égale » comme si le Comité international était responsable des pratiques opportunistes de leur organisation.

Pendant ce temps, en novembre 1985, un rapport intermédiaire était préparé par un Comité de contrôle international établi par le CI. Ce rapport documentait les arrangements financiers sans principe que la direction du WRP avait passés avec divers mouvements et gouvernements nationalistes bourgeois au Moyen-Orient.

Ce rapport fut présenté lors d'une réunion du CIQI le 16 décembre 1985. Le paragraphe clef de la résolution adoptée par le Comité international affirmait :

« Le rapport intermédiaire de la Commission de contrôle internationale a révélé que le WRP a mené une trahison historique du CIQI et de la classe ouvrière. Afin de défendre ses principes et son intégrité, le CIQI suspend par conséquent le WRP en tant que section britannique. »

C'était la résolution la plus importante jamais présentée à une réunion du Comité international. Le Comité international affirmait son autorité sur le WRP. Il déclarait que l'opportunisme politique serait sévèrement puni et que seules les organisations qui acceptaient l'autorité du CIQI et ses principes trotskystes pourraient en être membres.

Il y avait quatre délégués représentant la section britannique à l'époque dans l'assistance. C'étaient Cliff Slaughter, Tom Kemp, Simon Pirani et Dave Hyland. Dave fut le seul à voter pour cette résolution, le seul à admettre que ce n'était qu'en acceptant cette résolution et en travaillant pour surmonter l'héritage de l'opportunisme du WRP, que le WRP pourrait être ramené sur la voie du trotskysme.

Slaughter, Kemp et Pirani se sont opposé à cette résolution, Kemp s'est comporté de la manière la plus dégoutante et provocatrice, comme Slaughter, Pirani a feint la surprise conformément à son habitude du moment.

L'adoption de cette résolution a marqué une défaite décisive de l'opportunisme au sein de la Quatrième internationale. La guerre civile au sein de la Quatrième internationale qui avait commencé en 1953 trouvait enfin sa conclusion. Les trotskystes orthodoxes du Comité international reprenaient finalement le contrôle sur l'organisation internationale fondée par Trotsky en 1938.

Maintenant, si l'on veut comprendre les implications politiques de cette réunion, il suffit de voir l'évolution qui a suivi des délégués qui représentaient le Workers Revolutionnary Party.

À l'époque de cette réunion, Cliff Slaughter cherchait déjà à organiser un regroupement avec les staliniens et les pablistes. Fin novembre, lors d'une réunion au Friends Hall de Londres – qu'il avait convoquée pour discuter de la crise du WRP en présence de toutes les tendances anti-trotskystes pourries de Grande-Bretagne – Slaughter a serré la main du fameux « expert » anti-trotskyste du Parti communiste britannique, Monty Johnstone.

Au cours des années qui ont suivi la scission, Slaughter a rejeté le marxisme, le léninisme, le trotskysme, il a explicitement dénoncé la lutte pour une conscience marxiste dans la classe ouvrière et s'est réorienté politiquement vers l'anarchisme. La faction du WRP qu'il dirigeait s'est impliquée dans la guerre de l'OTAN dans les Balkans, se cachant derrière le prétexte des droits de l'Homme.

Tom Kemp siégeait à la rédaction du journal stalinien Science and Society, et personne dans le vieux WRP ne s'y était opposé apparemment. Il a rapidement abandonné tout contact avec le mouvement trotskyste.

Quant à Simon Pirani, il a écrit plus tard un livre sur la classe ouvrière soviétique dans les années 1920 qui niait l'importance de l'Opposition de gauche et avait un caractère nettement anti-bolchévique. Il a développé une carrière d'expert pour l'industrie pétrolière internationale, et il travaille avec le Oxford Institute for Energy Studies. Parmi ses travaux les plus récents il y a un article intitulé « la politique énergétique russe, » publié par le Center for Security Studies. Je vous invite à tirer vos propres conclusions.

Après la réunion de décembre 1985, les événements ont avancés rapidement. Le WRP a décidé d'instiguer une scission d’avec le Comité international. Il a répudié l'autorité du CIQI.

En février 1986, la faction de Slaughter a appelé la police pour empêcher les membres de la minorité dirigée par Hyland d'entrer dans le hall où le congrès du parti devait commencer. Slaughter était escorté par une phalange de policiers vers le congrès. La minorité dirigée par Hyland n'était pas du tout désorientée. Elle s'est immédiatement constituée en Parti communiste international, le représentant légitime du Comité international et de la continuité historique du trotskysme en Grande-Bretagne.

Quant à la faction de Slaughter, elle s'est rapidement délitée et s'est dissoute. Il n'y a pas un membre de cette organisation qui soit encore actif dans la politique socialiste révolutionnaire !

Ce fut un temps très difficile pour Dave Hyland et sa famille, mais les actions de Dave étaient guidées par des principes politiques. Il a refusé de se laisser abattre par des considérations subjectives, ayant adopté une ligne politique de principe, il ne pouvait pas en être détaché. Et il a inspiré les tout meilleurs éléments du WRP à soutenir le Comité international, y compris sa fille Julie et son fils Tony.

Le 9 octobre 2005, j'ai écrit une lettre à Dave pour marquer le 20e anniversaire de l'appel qu'il avait passé pour demander une discussion. J'ai écrit :

« Cela fait exactement 20 ans cette semaine que tu as passé un appel transatlantique aux bureaux de la Workers League, et demandé une discussion des questions qui ont été soulevées dans ma critique des Studies in Dialectics de Healy et des politiques du Comité international sous la direction du Workers Revolutionnary Party. Cette action décisive et de principe a marqué un tournant dans la crise politique au sein du WRP et a dramatiquement changé les rapports de force au sein du Comité international entre l'opportunisme et le trotskysme orthodoxe.

« Pour la première fois, en conséquence de ta détermination à découvrir les véritables racines théoriques, historiques et politiques de la crise qui avait éclaté dans la section britannique à l'été 1985, l'emprise de la direction nationale opportuniste sur le WRP était confrontée à un défi majeur et significatif. D'une manière profondément distincte des diverses tendances oppositionnelles qui avaient émergé de temps en temps au sein de l'organisation britannique, tu as reconnu que la lutte contre la direction factionnelle de Healy, Banda et Slaughter ne pouvait être menée que sous la discipline politique du Comité international et sur la base des leçons stratégiques de la longue lutte du Comité international contre le stalinisme et les multiples formes prises par le révisionnisme pabliste. »

« Au cours des discussions qui ont eu lieu dans les jours qui ont suivi ton appel, nous sommes rapidement tombés d’accord sur ce qui constituait la cause principale de la crise au sein du WRP, c’est-à-dire sa retraite vis-à-vis des principes qui sous-tendaient la publication de la Lettre ouverte de 1953 et la lutte contre la réunification du SWP avec le Secrétariat international pabliste de 1963, et leur répudiation.

« Ton rejet ferme de la tentative de Banda et Slaughter de dénigrer l'histoire du Comité international avec leur théorie répugnante et intéressée de la dégénérescence égale a permis de gagner les meilleurs éléments au sein de la section britannique à la bannière de l'internationalisme. C'est ce qui a très fortement contribué à la victoire décisive du Comité international sur toutes les factions opportunistes nationales du vieux Workers Revolutionnary Party.

 « Dans cette lutte très difficile, tu as appuyé ton travail politique sur toute l'histoire de la Quatrième internationale comme parti mondial de la révolution socialiste, qui, il faut le dire, comprenait tout ce qu'il y avait de positif dans le travail précédent du mouvement trotskyste britannique. Il est maintenant possible de regarder en arrière sur les événements qui ont eu lieu il y a 20 ans au sein du Comité international et de reconnaître que les luttes de cet automne-là ont posé les bases programmatiques pour la renaissance de la Quatrième internationale.

« La lutte contre l'opportunisme national du WRP a préparé le CIQI à répondre aux défis historiques posés pas l'effondrement de l'Union soviétique et les profonds changements dans la nature et la structure du capitalisme mondialisé.

« L'effet combiné de ces développements a mis fin pour toujours à la viabilité des luttes ouvrières et d’organisations qui s'appuient sur une perspective nationale et non internationale. À partir de la décision que tu as prise en 1985 de lutter en t'appuyant sur l'internationalisme, tu a fait une contribution immense et durable à la construction du Comité international et de sa section britannique. Pour cela, moi et tes nombreux camarades dans le monde entier te doivent une gratitude inoubliable.

« Avec les plus chaleureuses salutations. »

Le camarade Dave ne sera jamais oublié. Son travail vit dans notre mouvement international. Ses camarades se souviendront de lui et il restera un grand exemple de dévotion et de principes révolutionnaires pour les générations à venir.

(Article original publié le 23 janvier 2014)

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