Canada: Les agences d'espionnage accroissent leur collaboration et leurs activités

Grâce à la récente publication de statistiques révélant combien de fois le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a fait appel aux services du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC, l'équivalent canadien et partenaire de la NSA américaine), on en sait maintenant un peu plus sur l'ampleur de l'intégration des deux principales agences d'espionnage du Canada.

Selon un article du Globe and Mail, le SCRS a demandé l'aide du CSTC 205 fois en quatre ans, de 2009 à 2012. L'article, basé sur des données obtenues par une demande d'accès à l'information, révèle aussi que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a aussi fait appel aux services du CSTC 85 fois durant la même période.

Le reportage du Globe ne précise pas combien de ces demandes ont été satisfaites par le CSTC, pas plus qu'il ne parle du contenu de ces demandes.

Le CSTC fonctionne sous l'autorité de directives ministérielles qui ne sont connues que par une poignée de ministres et une cabale d'agents des services de renseignement. Le gros de ce qui est connu publiquement des activités du CSTC provient des révélations du lanceur d'alertes de la NSA, Edward Snowden. L'une de ses plus récentes divulgations a montré qu'en 2012, le CSTC, en collaboration avec la NSA, a développé un programme pour intercepter les communications Wi-Fi de voyageurs dans des aéroports et autres lieux publics et pour ensuite suivre ces gens à la trace durant deux semaines.

Le gouvernement conservateur avait fermement refusé depuis juin dernier de confirmer les rapports voulant que le CSTC espionnait les Canadiens et qu'il recueillait et analysait les métadonnées de leurs communications électroniques.

Toutefois, depuis que le public a appris l'existence du programme de surveillance des aéroports, le gouvernement a changé de tactique et affirme maintenant sans détours que l'État canadien a le droit «légitime» de recueillir les métadonnées des communications privées, par téléphone ou Internet, des Canadiens. Stephen Rigby, conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre Stephen Harper, a déclaré qu'une telle pratique ne «compromet pas les communications privées (des Canadiens)». Le commissaire du CSTC, un ancien juge qui surveille apparemment les activités de l'agence pour s'assurer qu'elles sont légales, a publié un rapport dans lequel il affirmait qu'il avait étudié le programme d'espionnage des aéroports et avait conclu que l'agence d'espionnage n'avait rien fait de répréhensible. (Voir: Le gouvernement du Canada défend ses pratiques d'espionnage)

Le SCRC a pour mandat de trouver et de contrer les «menaces à la sécurité nationale» et collabore étroitement avec la GRC et les services de police municipaux à travers le pays. Le CSTC est l'agence de renseignements des communications étrangères du Canada et est membre du groupe «Five Eyes», un partenariat mondial d'agences de renseignements dirigé par la NSA américaine. Officiellement, le SCRS et le CSTC sont deux agences de renseignements distinctes et remplissent des fonctions différentes dans la sécurité nationale: le gouvernement affirme qu'une «cloison juridique» les sépare. Ce n'est qu'en des circonstances exceptionnelles (c'est du moins ce que prétend le gouvernement), que le CSTC peut offrir de l'aide au SCRS, et seulement si ce dernier dispose d'un mandat de la cour.

Comme l'article du Globe et d'autres révélations le montrent, les deux agences, en plus de collaborer de plus en plus étroitement et travailler à faire disparaître cette séparation, bafouent systématiquement la loi et créent des programmes pour espionner les Canadiens ordinaires.

Le gouvernement utilise un argument pseudo-juridique (qui n'a pas été approuvé par le parlement ni utilisé dans une cour publique) pour s'arroger le pouvoir d'espionner les métadonnées des communications des Canadiens. Le gouvernement et le CSTC affirment que les métadonnées ne sont pas le contenu d'une communication, mais seulement son «enveloppe», et qu'elles ne constituent donc pas une forme de communication privée protégée constitutionnellement et peuvent donc être «librement» recueillies et analysées.

En réalité, les métadonnées sont des informations très détaillées sur l'expéditeur et le destinataire d'une communication téléphonique ou Internet, y compris la date de la communication et le lieu d'envoi et de destination. Ces données peuvent servir à créer le profil complet d'une personne, ses affiliations politiques comprises.

La collaboration de plus en plus étroite entre le SCRS et le CSTC est source d'inquiétudes pour les défenseurs des droits de l'homme et de la protection de la vie privée. Michael Vonn, avocat de l'Association des droits et libertés civiles de la Colombie-Britannique (BCCLA), qualifie les requêtes du SCRS de possible «contournement du processus de demande de mandat». En octobre dernier, la BCCLA a intenté un procès contre le gouvernement fédéral et ses pratiques de collecte de métadonnées qu'elle juge anticonstitutionnelles. Le procès est en audience préliminaire.

Comme le CSTC et le gouvernement se sont arrogé le droit d'espionner les métadonnées des Canadiens sous le prétexte qu'il ne s'agirait pas de communications protégées constitutionnellement, il serait logique de croire que, du point de vue du gouvernement et des agences de renseignements, les requêtes faites par le SCRS auprès du CSTC pour obtenir ces données n'ont pas besoin d'un mandat de la cour.

On sait déjà que le SCRS et le CSTC ont menti aux tribunaux fédéraux pour s'attribuer de nouveaux pouvoirs. En novembre dernier, le juge de la Cour fédérale Richard Mosley est revenu sur l'importante décision qu'il avait rendue en 2009 qui accordait au CSTC le droit d'espionner des Canadiens à l'étranger. Il a agi de la sorte après avoir appris que le SCRS et le CSTC lui avaient menti en soutenant que la surveillance n'allait être faite qu'à partir du Canada et qu'ils avait caché aux tribunaux que le CSTC ferait appel aux services de ses partenaires du «Five Eyes». (Voir: Les agences canadiennes d’espionnage ont menti aux tribunaux)

Les partis d'opposition, le Nouveau Parti démocratique et les libéraux, ont gardé le silence sur la participation du CSTC dans les opérations mondiales d'espionnage de la NSA et la cueillette des métadonnées des Canadiens: des activités tout simplement criminelles. Tout de suite après chaque révélation faite par Snowden, ces partis ont feint l'indignation et lancé des appels creux pour une plus grande supervision du parlement ou la création d'une commission indépendante, approuvée par l'État, qui surveillerait les opérations du CSTC. Ces questions étaient ensuite rapidement abandonnées.

Une étude du rapport annuel du comité de surveillance du SCRS donne une idée de ce à quoi on peut s'attendre d'un organe de contrôle mis en place dans le contexte de l'État capitaliste. Publié en octobre dernier, le rapport du Comité de surveillance du renseignement de sécurité (SIRC) déborde d'enthousiasme pour les opérations du SCRS et encourage le genre de collaboration plus étroite entre les agences de renseignements qui a maintenant été révélée.

Plutôt que de jouer son rôle officiel qui est de protéger les Canadiens de l'espionnage omniprésent de l'État, le SIRC demande en fait que la portée des opérations du SCRS soit élargie.

Dès le départ, le rapport argumente en faveur d'une «coopération accrue inévitable, et souhaitable» entre le SCRS et le CSTC et fait des propositions pour faciliter cette collaboration. Ce qui veut dire, entre autres, «la création d'un conseil de direction des opérations commun au SCRS et au CSTC pour offrir une gestion au niveau stratégique» des opérations conjointes des agences d'espionnage.

De présumées contraintes budgétaires et les technologies de plus en plus sophistiquées sont des arguments qu'utilise le SIRC pour justifier une intégration accrue des deux agences de renseignements. Ces arguments sont particulièrement hypocrites étant donné le fait que le budget total accordé aux deux agences a explosé dans les dernières années pour atteindre aujourd'hui presque un milliard de dollars.

Comme l'a révélé Edward Snowden, le CSTC partage sans arrêt du personnel, de la technologie de pointe et de l'équipement avec la NSA, qui dispose de beaucoup plus de ressources. Jusqu'à maintenant, ni les agences de renseignements canadiennes, ni leurs partenaires à l'étranger n'ont été en mesure de démontrer que leurs vastes opérations d'espionnage avaient pu prévenir le moindre complot terroriste.

Par contraste, de nombreuses enquêtes ont pu montrer que les agences d'espionnage et leurs alliés des forces policières prennent régulièrement au piège des individus dans de faux complots terroristes et infiltrent des groupes de protestation en tant qu'agents provocateurs pour les inciter à commettre des actes violents. De telles opérations visent à diffamer de telles organisations et à justifier de nouvelles mesures de sécurité de droite.

Ce qui est dit dans le rapport du SIRC indique clairement que les activités d'espionnage clandestines du SCRS et du CSTC, loin de viser les terroristes ou les criminels, considèrent la population au complet comme une menace potentielle à l'État capitaliste. En effet, le rapport encourage activement le SCRS à tendre un vaste filet dans ses opérations d'espionnage qui visent l'opposition populaire au gouvernement canadien et au programme du patronat. Il fait mention des manifestations du G-20 à Toronto, en 2010, qui seraient la supposée preuve que des groupes apparemment pacifiques peuvent se retrouver mêlés à des «explosions soudaines de violence intérieure».

Ce genre de pratiques est la norme pour le SCRS et cela a été montré par les récentes révélations que le SCRS et la GRC auraient espionné des groupes environnementalistes et autochtones qui s'opposaient au projet d'oléoduc Northern Gateway. Les documents du gouvernement qui font état de ces pratiques d'espionnage indiquent que les agences de renseignements et les forces policières n'avaient pas identifié de «menace criminelle directe ou précise» parmi les groupes surveillés ou les personnes participant à leurs réunions et leurs manifestations. Néanmoins, l'espionnage des opposants au projet Northern Gateway et l'infiltration de leurs réunions, se sont poursuivis.

Alors que les inégalités sociales deviennent intolérables, la classe dirigeante et ses agences d'État se préparent à affronter l'opposition de masse en dressant l'échafaudage d'un État policier.

(Article original paru le 24 février 2014)

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