Le legs d’Obama

Mardi, Barack Obama a prononcé son cinquième Discours sur l'état de l'Union, une tradition politique annuelle qui au fil des ans est devenu un rituel creux, avec peu ou pas de relation entre les mots du président et l’état actuel de la société américaine. Cette année ne sera pas différente.

Dans les jours qui ont précédé le discours de cette année, les responsables de l’administration ont modéré toute attente d’initiatives importantes. Au lieu de cela, le discours a proposé une série de mesures mineures visant à façonner le «récit» de la présidence d’Obama. Selon une analyse du New York Times publiée en fin de semaine, Obama est «venu à sentir de façon aiguë les limites de son pouvoir», mais voit le Discours sur l'état de l'Union comme «une occasion unique de mener un programme qui peut encore façonner son legs».

Pour les fonctionnaires qui occupent des postes de haut niveau au sein de l’appareil d’État, séparés par un immense fossé social et politique des réalités auxquelles est confrontée la majorité de la population, «le legs» d’Obama est conçu avec une poignée de phrases extraites du dernier manuel à la mode d’une entreprise de marketing.

L’histoire toutefois, et plus immédiatement encore, le grand public, jugeront l’administration non pas sur la base de phrases mielleuses, mais de ses gestes.

Voici quelques-uns des principaux gestes qui détermineront la façon dont cette administration sera vue historiquement : 

* L’administration Obama a ordonné l’assassinat d’un citoyen américain sans l'application régulière de la loi.

L’ancien professeur de droit constitutionnel Obama, autrefois à l’emploi d’une société liée à la CIA, est le premier président de l’histoire des États-Unis à s’être ouvertement vanté d’avoir mené l’exécution sans contrôle judiciaire d’un citoyen américain, Anwar al-Awlaki. Plus que tout autre, cette administration a travaillé à institutionnaliser et à bureaucratiser le meurtre extrajudiciaire commandité par l’État, tenant des réunions hebdomadaires pour préparer des «listes d'assassinats» et sélectionner des objectifs pour les missiles des drones américains. 

* L’administration Obama a considérablement renforcé l’appareil d’espionnage mondial d’État policier.

Les révélations d'Edward Snowden ont exposé à la population américaine et mondiale un appareil d’espionnage fonctionnant sans contrainte, et capable de surveiller les communications de pratiquement tout le monde sur la planète.

* L’administration Obama a fait des criminels de ceux qui révèlent les crimes du gouvernement.

L’attitude de l’administration à l’égard des droits démocratiques est résumée dans le sort de ceux qui ont exposé les actions illégales de l’État: Bradley Manning est en prison, Julian Assange reste piégé à l’ambassade de l’Équateur au Royaume-Uni et Edward Snowden a été contraint à l’exil en Russie, en plus de faire face à des menaces de mort venant de responsables américains. Pendant ce temps, l’administration s’oppose catégoriquement à la poursuite de responsables du gouvernement qui ont ordonné des actes de torture et perpétré des crimes de guerre.

* L’administration Obama mène une guerre sans limite.

Obama a poursuivi les guerres de l’administration Bush en Irak et en Afghanistan et ordonné d’innombrables missions de drones pour pulvériser à coups de missiles des objectifs en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Somalie et dans d’autres pays. Il a déclenché la guerre en Libye pour renverser et assassiner le colonel Mouammar Kadhafi en 2011. Depuis deux ans, l’administration Obama et ses alliés financent et arment une opposition dominée par les islamistes en Syrie, provoquant une guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de réfugiés.

L’administration a effectué son «pivot vers l’Asie» pour encercler militairement la Chine et la saper économiquement et diplomatiquement. L’administration Obama a délibérément provoqué des tensions régionales qui menacent, 100 ans après l’éruption de la Première Guerre mondiale, de déclencher un nouveau conflit mondial.

* L’administration Obama supervise le plus grand transfert de richesses des pauvres vers les riches de l’histoire.

Le plan de sauvetage des banques et les programmes d’«assouplissement quantitatif» commencés sous Bush en 2008 ont considérablement pris de l’ampleur sous Obama. Son administration a mis à la disposition de Wall Street des ressources pratiquement illimitées pour spéculer. Au cours des cinq dernières années, la Réserve fédérale a acheté aux institutions financières, et encore plus des bons du Trésor américain, pour plus de 1,5 billion de dollars en titres adossés à des créances hypothécaires essentiellement sans valeur. Elle a aussi imprimé des billions de dollars pour les injecter dans les marchés financiers.

Comme conséquence directe, le marché boursier a grimpé en flèche. L’indice Dow Jones a plus que doublé depuis les premiers mois du premier mandat de Barack Obama. La richesse nette des 400 Américains les plus riches selon Forbes a augmenté en conséquence, passant de 1,27 billion de dollars en 2009 à plus de 2 billions de dollars maintenant, soit une augmentation de 60 pour cent, ou de plus de 700 milliards de dollars. En tout, 85 % des gains de revenus enregistrés entre 2009 et 2012 sont allés au 1 % le plus riche de la population américaine.

Les bénéfices des sociétés sont plus élevés que jamais, tandis que la croissance des salaires est au niveau le plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans la foulée de la restructuration de l’industrie automobile effectuée par l’administration Obama en 2009, les salaires réels des travailleurs de l’automobile ont baissé de 10 % et ceux de l’ensemble du secteur industriel de 2,4 %. À la suite de cet effondrement des salaires, pour la première fois dans l’histoire, la majorité des Américains recevant des coupons alimentaires étaient en âge de travailler.

* L’administration Obama a donné un laissez-passer aux criminels de Wall Street.

Pas un seul des grands banquiers n’a été tenu responsable des crimes commis et du désastre infligé à la population mondiale. L’administration Obama a protégé les criminels de Wall Street contre toute poursuite, tel que le démontre le cas de Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase connu des initiés de Washington comme étant le «banquier préféré» d’Obama. Malgré qu’il ait orchestré des activités illégales répétées et bien documentées, Dimon non seulement est un homme libre, mais il a reçu en plus une augmentation de salaire de 74 % en 2013.

* L’administration Obama effectue une contre-révolution sociale, à commencer par la destruction des soins de santé pour les travailleurs sous l’Obamacare.

Obama a supervisé un assaut sans relâche contre tous les programmes sociaux. Au moment même où il prononçait son discours, 1,3 million de personnes sans emploi étaient acculées à la misère, dépouillées de toute aide en espèces par la décision de la Maison-Blanche et des démocrates au Congrès de permettre la fin du versement de prestations de chômage de longue durée. Lundi, les démocrates et les républicains sont parvenus à un accord pour mener des réductions de 8 milliards de dollars dans le programme de coupons alimentaires, venant s’ajouter aux autres réductions de 5 milliards de dollars imposées en novembre dernier.

Obama se vante que son administration ait réduit les dépenses discrétionnaires intérieures à leur niveau le plus bas dans l’économie américaine depuis les années 1950.

Sa principale initiative nationale, la refonte des soins de santé, est une supercherie gigantesque qui vise non pas à accroître les soins de santé, mais à les sabrer. Son administration cherche à faire passer l’obligation que les gens payent à gros prix une assurance maladie inférieure à des assureurs privés comme une importante réforme sociale. L’Obamacare est le coup d’envoi d’un assaut contre les principaux programmes d’aide sociale remontant aux années 1930 et 1960 que sont la sécurité sociale et Medicare.

Le legs d’Obama est un réquisitoire non seulement contre lui ou son administration, mais également le système social et politique dans lequel ses politiques sont intégrées. Obama est le serviteur enthousiaste des grandes sociétés et de l’appareil militaire et du renseignement qui dominent la société américaine.

Son administration fonctionne avec le soutien des organisations syndicales, des forces libérales et de «gauche», vendues aux politiques identitaires et qui ont présenté son élection en 2008 comme un événement «transformateur» dans l’histoire américaine. Le Discours sur l'état de l'Union vise en grande partie à fournir une fausse image «réformiste» autour de laquelle ces forces peuvent fusionner afin de renforcer le soutien pour le Parti démocrate et bloquer l’émergence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière.

Les politologues estiment qu’une mise en scène à Washington peut en quelque sorte remplacer ce que les gens ont perçu au cours de cinq années d’expériences amères. Mais l’ambiance dans le pays a considérablement changé depuis l’élection d’Obama, le candidat de «l’espoir» et du «changement». Parmi de vastes couches de la population, la désillusion est maintenant profondément enracinée. Chez elles, le discours d’Obama aura peu d’effet.

Peut-être le legs le plus important d’Obama sera que son administration a démontré à des millions de personnes que la classe dirigeante n’a absolument rien à offrir, et qu’elle préside un système économique, le capitalisme, qui est historiquement en faillite. La conclusion qui s’ensuit, et qui commence à être tirée par des sections croissantes de la classe ouvrière, c’est que ce système doit être renversé.

(Article original paru le 28 janvier 2013)

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