En Inde, « Le système judiciaire applique l'agenda des capitalistes »

déclare l’avocat des travailleurs de Maruti Suzuki, confrontés à des accusations truquées de meurtre

Rajendra Pathak, l'avocat qui assure la défense juridique des 148 travailleurs de Maruti Suzuki en Inde (MSI) qui sont confrontés à des accusations truquées de meurtre et d’autres crimes graves, a récemment évoqué cette affaire avec le World Socialist Web Site.

Rajendra Pathak

Les travailleurs, dont le procès a commencé l'an dernier, croupissent en prison depuis près de 18 mois. Arrêtés par la police sur la base de listes de “suspects” fournis par la direction de MSI, on y trouve tous les dirigeants du syndicat Maruti Suzuki Workers Union (MSWU) et plusieurs de ses membres les plus actifs. Le MSWU a été créé en opposition au syndicat maison à la botte de la compagnie, soutenu par le gouvernement, afin de contester les conditions de travail de misère qui prévalent à l’usine d'assemblage de voitures de MSI, à Manesar dans l’Haryana.

Le gouvernement de l'Etat de l'Haryana, dirigé par le parti du Congrès, et le constructeur automobile le plus important de l'Inde ont saisi le prétexte d’une altercation provoquée par la compagnie, le 18 juillet 2012, qui a conduit à la mort du responsable des ressources humaines de MSI, Awanish Kumar Dev, pour lancer leur vendetta judiciaire contre les militants du MSWU et purger l'usine de Manesar de plus de 2 000 autres travailleurs jugés pas assez dociles.

Maruti Suzuki a accéléré depuis lors les cadences de production de son usine de montage de Manesar. De son côté, le gouvernement déploie des dizaines de policiers à l'intérieur de l'usine chaque jour ouvrable, pour intimider le personnel. Il démontre ainsi à tous les employeurs, dans ce qui est devenu l'un des principaux centres de production automobile de l'Inde, sa volonté de faire respecter leur régime de travail brutal et de main-d'œuvre bon marché.

Dans une longue interview qui a abordé maintes questions, Rajendra Pathak a discuté de la situation à laquelle sont confrontés les travailleurs emprisonnés, de ses efforts pour dénoncer les tortures dont ils ont été victimes dans les premiers jours de leur détention, des mensonges sur lesquels reposent les accusations fabriquées, du biais de classe de l'appareil judiciaire de l'Inde et de l'échec du Parti communiste indien (Marxiste) stalinien à s’engager dans la défense des travailleurs de Maruti Suzuki.

La totalité des 148 travailleurs emprisonnés, a expliqué l’avocat Pathak, en vertu de l'article 120 (B) du code pénal indien, ont à répondre d’accusations de meurtre, en rapport avec un complot criminel. Huit des travailleurs, tous des dirigeants de MSWU, ont été directement accusés d'avoir tué Dev ; les autres sont accusés de complicité ou de liaison avec le meurtre. En outre, les travailleurs font face à plusieurs autres accusations criminelles graves, allant de celle d'émeute, à celle d’agression et de dommages aux biens.

S’ils étaient reconnus coupables de ces accusations fabriquées, les travailleurs seraient passibles de sanctions sévères. « La déclarations de culpabilité pour meurtre peut entraîner la réclusion à perpétuité », a déclaré Pathak. « Les sanctions pour les autres accusations vont de peines de prison de 5 à 7 ans à 20 ou 30 ans. Cependant, pour avoir causé de simples blessures, la peine est de 3 à 6 mois. »

Pour des raisons à la fois juridiques et politiques, Pathak a écarté la possibilité que les tribunaux condamnent à la peine de mort. La Cour suprême de l'Inde a expliqué Pathak, a précisé que la peine capitale ne devait être infligée que « vraiment le plus rarement possible »

Pathak a expliqué qu'en août 2012 il a déposé une plainte contre la direction de MSI en relation avec le meurtre de Dev, le cadre de MSI, alléguant que c’est la société, agissant par l'intermédiaire d’hommes de main, déployés sur place par la compagnie, qui avait incité à l’altercation du 18 juillet, et avait assassiné Dev. Elle sera entendue en février, après un long délai d'un an et demi.

Un élément clé de la plainte est la démonstration que les travailleurs victimes de MSI n'avaient aucune raison de nuire à Dev, alors que la direction en avait.

Dev avait montré de la sympathie pour les travailleurs et même aidé à enregistrer le MSWU auprès du département du travail de l'Etat. De ce fait, d’autres membres du personnel d'encadrement étaient devenus hostiles à son égard.

« Nous avons méticuleusement élaboré notre dossier contre celui de la police », a déclaré l’avocat Pathak. « Méticuleusement, nous avons rassemblé les preuves contre eux : comment [Dev, responsable à MSI] a été tué et pourquoi il a été tué et un motif pour cela. Dans de tels cas de meurtre, mens rea, c'est-à-dire l’intention criminelle est importante [ndt : Principe de certains systèmes judiciaires où l'acte matériel de culpabilité doit être complété par la preuve de l'intention criminelle]. À moins que vous n’ayez un esprit criminel, vous ne sauriez commettre un crime. Nous prouverons que dans notre cas, il n'y n'avait aucun mens rea [parmi les travailleurs] pour commettre le meurtre de M. Awanish Dev.'

Pathak a cité un précédent juridique indien pour justifier sa requête aux tribunaux de donner à sa plainte contre MSI un poids égal par rapport aux accusations que la police a déposées contre les travailleurs emprisonnés. « Le juge Justice Sathasivam du Tamil Nadu, a rendu cet arrêt : « Si deux versions différentes sont avancées pour un crime, les deux versions doivent être enregistrées comme affaires pénales. » La direction déclare que les travailleurs ont assassiné Dev de cette façon, tandis que nous disons qu'ils l’ont assassiné de cette autre façon. Comme Justice Sathasivam l’a indiqué, la police devrait enregistrer les deux versions, arrêter les deux parties, les mettre derrière les barreaux et démarrer les deux poursuites, avec deux procès. ».

Pathak a déclaré qu'il espérait que « au bout du compte nous serons capables de faire triompher la vérité. »

« Mais ce ne sera pas une tâche facile. Nous luttons contre le monde capitaliste. Ils sont unis pour mettre un certain nombre de travailleurs derrière les barreaux pour une vingtaine d'années. Pour cela ils sont près à tout, même à verser des pots de vin aux juges. »

À cet égard, Pathak a déclaré que les refus répétés des tribunaux d'accorder aux travailleurs la liberté sous caution est significative. En Inde, les demandes de liberté sous caution sont déterminées sur la base du cas par cas. « Parfois les suspects n'obtiennent pas de liberté sous caution pour des années. C'est surtout le cas pour les crimes odieux. Mais pour un cas comme celui des travailleurs de Maruti Suzuki [refus de libération sous caution après plus d'un an en prison], c’est rare. »

L’avocat Pathak a souligné l'importance du fait que la totalité des 18 personnes sur la liste des témoins de l’accusation appartiennent à la direction : « Aucun travailleur ne donnera [de faux] témoignages contre ses collègues. Ils préfèrent perdre leur travail que de le faire ».

En réponse à une question sur l’état de santé des travailleurs emprisonnés et de l'impact de leur incarcération sur leur famille, Pathak a indiqué : « Beaucoup de travailleurs sont malades. Certains sont atteints de tuberculose. Certains souffrent d'autres affections. Mes demandes de libération sous caution pour des raisons médicales ont été rejetées par les tribunaux à maintes reprises. Les autorités de la prison ont affirmé qu'ils peuvent fournir le traitement en prison. Mais en pratique, le traitement requis n'est pas disponible en prison. Aussi leur vie est-elle en danger.

« Leurs familles souffrent également. Ils ne reçoivent pas de nourriture. Pas d'argent pour les vêtements et les médicaments. Leurs enfants ne vont pas à l'école. C'est pathétique. »

A la demande pressante de Pathak, treize des travailleurs emprisonnés ont déposé plainte en mars dernier à Haryana auprès du directeur général de la police et du Commissaire de police de Gurgaon, détaillant les tortures dont ils ont été victimes lorsqu'ils ont été placés en détention en juillet-août 2012, dont l'élongation des membres et immersion dans l'eau. Pathak a également déposé une motion d'outrage au tribunal contre la police pour leur «retard délibéré des examens médicaux appropriés » des travailleurs torturés. Comme l’a expliqué Pathak, « Même si les examens médicaux ont été menés sur les travailleurs emprisonnés en présence des avocats de la défense le 21 septembre 2012, à ce moment-là la plupart des preuves physiques des tortures avaient disparu. »

Cependant, il n'a pas encore déposé une plainte en justice concernant la torture, parce que le Comité provisoire du MSWU, formé par les travailleurs de MSI Manesar après l'emprisonnement de tous les dirigeants du MSWU, redoute des représailles de la police : « Ils craignent d’être torturés par la police quand ils commenceront leur yathra pada [longue marche] de Kaithal passant par Gurgaon jusqu’à Delhi le 15 janvier2014 » pour exiger la libération des travailleurs emprisonnés et la réembauche de tous les autres travailleurs persécutés.

Pathak a déclaré qu'il tentait de convaincre le Comité provisoire du MSWU de reconsidérer sa position, en leur expliquant que, « La police ne va pas vous épargner. Ils feront tout ce que leur diront de faire leurs patrons politiques. Ce n'est pas toi et moi qu'ils vont écouter. Ils vont écouter le Premier Ministre ».

Le WSWS lui a demandé de commenter la déclaration d'un juge de la Haute Cour de Haryana, disant qu'il n’accorderait pas la libération sous caution aux travailleurs emprisonnés parce qu'il voulait envoyer un message positif aux investisseurs étrangers « qui sont susceptibles de ne pas investir de l'argent en Inde par peur de l'agitation ouvrière ». Pathak a déclaré que « Les juges agissent comme agents d’influence des capitalistes. Les postes de juges de la Haute Cour correspondent à des nominations politiques. Vous pouvez devenir un juge par le biais de manœuvres souterraines si vous bénéficiez d’un soutien politique, même si vous n'êtes pas compétent.

« Le système judiciaire met en œuvre l'agenda des capitalistes. La magistrature fait passer le message : Oui, nous sommes avec vous. Nous vous donnerons le jugement que vous souhaitez. Que le gouvernement soit dirigé par Modi [premier ministre candidat de l'opposition officielle du Bharatiya Janatha Party (BJP)] ou par Manmohan Singh [l'actuel premier ministre], les tribunaux sont avec eux ».

L’avocat Pathak est membre du Parti communiste indien (Marxiste), mais a dit qu'il envisage de démissionner. « Le CPM est pro Parti du Congrès. C'est l'équipe B du Congrès. Malheureusement, je suis dans ce parti. C'est mieux que Parti du congrès [au pouvoir] et que le BJP [Bharatiya Janatha Party]. Mais il n'est pas le parti qu'il devrait être. Le CPM n’a rien fait pour la classe ouvrière. Ils [Le Front de gauche dirigé par le CPM] auraient pu apporter des changements aux lois du travail en faveur de la classe ouvrière lorsqu'ils avaient 62 représentants au Parlement [de 2004 à 2009].

« Le CPM ne propose absolument rien aux travailleurs de Maruti Suzuki et ne fait pratiquement rien pour les défendre ».

Pathak a continué, « La lutte des travailleurs de Maruti va durer pendant les mois et années à venir. Cette affaire ne parviendra pas à une conclusion rapide. Sur le plan politique, rien ne changera, quel que soit celui qui arrive au pouvoir. Ce pays a besoin d'une révolution comme l'Egypte. La direction doit venir de la classe ouvrière. La paysannerie suivra. »

Interrogé sur son message aux travailleurs du monde entier qui lisent le WSWS, il a dit: « Les travailleurs du monde doivent s'unir. Ils devraient aider les travailleurs de Maruti Suzuki, politiquement, financièrement, moralement et par tous les moyens. Malgré tous les obstacles, les travailleurs de Maruti Suzuki se battent encore aujourd'hui. »

(Article original paru le 8 janvier 2014)

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[6 December 2012]

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