La pauvreté en Allemagne atteint un nouveau record

L’Association paritaire d’action sociale (Deutsche Paritätische Wohlfahrtsverband) a publié quelques jours avant les vacances de Noël un rapport sur le développement régional de la pauvreté en Allemagne en 2013 intitulé «Entre prospérité et pauvreté – une épreuve de vérité». Le rapport réfute la propagande officielle comme quoi l’Allemagne n’a pratiquement pas été touchée par la crise et est un paradis de la prospérité en Europe.

Selon le rapport, la pauvreté «atteint un triste record» en Allemagne. Des villes et des régions entières sont plongées dans une crise économique et sociale de plus en plus profonde. «Les forces centrifuges sociales et régionales à l’œuvre mesurées au moyen de l’éventail des revenus réels ont fortement augmenté depuis 2006 en Allemagne», précise le rapport. L’Allemagne fait face à une «épreuve de vérité».

«Toutes les tendances positives de ces dernières années sont arrivées à un point mort ou font marche arrière. L’Allemagne n’a jamais été aussi divisée qu’aujourd’hui», a dit Ulrich Schneider, le directeur du Paritätischer Wohlfahrtsverband, lors de la présentation du rapport.

L’Association paritaire contredit explicitement la présentation du gouvernement allemand qui affirme que la pauvreté est restée stable depuis 2005 et qu’elle a même décliné. Dans son rapport sur la pauvreté et la richesse («Armuts- und Reichtumsbericht»), publié au printemps de 2003, le gouvernement s’était servi d’une étude d’octobre 2012 de l’Institut allemand de recherche économique (DIW). Il a cependant dissimulé le fait que le DIW n’avait utilisé que des données allant jusqu’en 2010 et qui montraient une baisse marginale du taux de pauvreté par rapport à 2009.

En 2011, toutefois, «le taux de pauvreté avait de nouveau fortement bondi en dépassant pour la première fois la marque des 15 pour cent». L’Association paritaire critique aussi indirectement le DIW en disant que ces«données [à jour] étaient certainement déjà disponibles en octobre 2012». Dans cette étude, le DIW, qui est favorable au patronat, avait manifestement préféré faire un cadeau au gouvernement pour éviter toute publicité négative durant sa campagne électorale de 2013.

Le rapport 2013 de l’Association paritaire sur la pauvreté parle d’une «tendance nette de l’augmentation de la pauvreté en République fédérale d’Allemagne. De 2006 à 2012, la pauvreté est successivement passée de 14 pour cent à un record de 15,2 pour cent. Cette tendance avait quelque peu ralenti en 2010, mais ne s’est pas arrêtée et encore moins inversée.»

Le rapport a calculé «les taux de pauvreté relative» ou le risque de pauvreté fixé à un revenu de 60 pour cent en dessous du revenu moyen. En 2012, ce seuil de pauvreté s’élevait à 869 euros par mois pour un ménage composé d’une seule personne et à 1826 euros pour une famille de quatre personnes dont deux enfants de moins de 14 ans.

L’étude indique que les allocations, comme le stipule les lois «Hartz IV» d’aide sociale, ne suffisaient à satisfaire les besoins en 2012 et étaient, pour des raisons budgétaires, maintenues à environ 30 pour cent sous le taux.

Le rapport discrédite la légende officielle selon laquelle une légère reprise économique de ces dernières années et un chômage en baisse avaient eu un impact positif sur la situation sociale de la population laborieuse. Le rapport constate que le contraire est le cas: «Le développement de la pauvreté a, selon les données, été découplé du développement économique… [et on observe] une importante tendance à la hausse à moyen terme.»

L’Association examine l’écart entre le développement économique et la pauvreté. En 2011, lorsque l’Allemagne avait annoncé une croissance économique de 3,9 pour cent en termes réels, en même temps qu’une baisse du chômage, le taux de pauvreté avait bondi de 14,5 à 15,1 pour cent. En 2012, lorsque la croissance économique n’avait augmenté que de 0,9 points en termes réels et que le taux de chômage était resté stable, le taux de pauvreté avait augmenté de 0,1 pour cent supplémentaire.

En d’autres termes, alors que les profits de l’essor économique atterrissaient dans les poches d’une riche élite financière et patronale, les emplois nouvellement créés étaient à bas salaires. L’exploitation et la pauvreté ne cessent d’augmenter.

Le rapport dit que ceci «soulignait de façon incontestable de bas salaires et des conditions d'embauche précaires et inadéquates… Les bons résultats statistiques réalisés par la politique relative au marché du travail ont été atteints grâce à l’américanisation du marché du travail, le phénomène des travailleurs pauvres (“working poor”).»

Comme dans les années précédentes, l’étude utilise les données pour établir le «classement national» des États fédéraux en Allemagne. Le classement n’a subi qu’un changement minimal depuis l’étude de 2011, et seuls Hambourg et le Land de Rhénanie-Palatinat ont changé de rang.

Les «premières places» avec la plus grande pauvreté sont occupées par des États gouvernés par le Parti social-démocrate (SPD), tels Brême, avec un taux de pauvreté de 23,1 pour cent, Mecklenbourg-Poméranie-Occidentale (22,9 pour cent) et Berlin (21,2 pour cent). Suivis par le Land de Saxe-Anhalt (18,9 pour cent) et le Brandebourg (18,3 pour cent) qui sont dirigés par une coalition entre le SPD et le parti La Gauche. Ce Land a vu son taux de pauvreté augmenter de 1,4 pour cent et «se trouve maintenant dans le peloton de tête» du classement.

Les Länder du sud de l’Allemagne, le Bade-Wurtemberg (11,1 pour cent) et la Bavière (11,2 pour cent), ont enregistré les taux de pauvreté les plus faibles. Le Land de Hesse affiche le troisième plus bas taux de pauvreté (13,2 pour cent).

Selon l’Association, le fossé entre États «riches» et «pauvres» est de façon générale en train de se creuser tandis que la pauvreté est en train de croître dans la plupart des États. Onze des 16 États fédéraux ont enregistré les pires statistiques par rapport à l’année précédente. L’étude conclut en remarquant que pour «les régions prospères les choses continuent de s’améliorer et pour les “régions pauvres” les choses empirent.» Non seulement les «forces centrifuges» sociales mais aussi régionales se seraient accrues en Allemagne.

Un «drame tout particulier» est en train de se développer dans la région de la Ruhr qui, aux côtés de Berlin, a «pour la première fois été identifiée comme une région particulièrement pauvre en Allemagne», dans le rapport sur la pauvreté de 2011. Dans cette ancienne région industrielle, «un développement effréné de la pauvreté» prend place. Depuis 2006, la pauvreté dans la Ruhr, la zone métropolitaine la plus peuplée qui compte plus de 5 millions d’habitants, s’est accrue en moyenne de 0,6 pour cent pour atteindre 19,2 pour cent en 2012.

Les villes les plus touchées par la pauvreté sont Dortmund et Duisbourg où le taux de pauvreté a grimpé à 26,4 pour cent (une hausse de 2,2 pour cent) et à 25,1 pour cent (une hausse de 1,6 point de pourcentage) respectivement. Ainsi, «le taux de pauvreté a augmenté à Dortmund de 42 pour cent depuis 2005 et d’environ de 48 pour cent à Duisbourg».

L’étude constate que «des régions entières s'enfoncent dans une infernale projection en spirale ou s’y trouvent déjà pleinement». Les conséquences en sont la dégradation de l’infrastructure et le départ de la main-d’œuvre qualifiée et des familles «vers des sites plus attrayants».

L’Association prédit dans les années à venir une nouvelle dégradation catastrophique de la situation. Début 2020, on verra l’application du «frein à l’endettement» qui a été inscrit dans la constitution interdisant à tous les États fédéraux de contracter de nouveaux prêts. Des coupes massives aggraveront tout particulièrement la pauvreté dans les États qui en sont déjà fortement affectés.

Des États comme Brême et la Sarre devraient «dans les circonstances actuelles, réduire entre un quart et un cinquième de leurs dépenses dans le but de se conformer au frein à l’endettement». Ceci entraînerait «presque inévitablement des coupes dans les soi-disant “prestations volontaires” et ce notamment dans le domaine social, la culture, l’éducation et le sport».

À ceci s’ajoute que le système de péréquation financière entre les États expirera en 2019. «Si des États financièrement faibles devaient recevoir des transferts inférieurs à ceux reçus dans le passé, leur situation financière déjà précaire se détériorerait davantage», prévient le rapport. «Le gouffre entre les États financièrement forts et faibles, entre les régions prospères et pauvres s’accentuerait encore plus.»

(Article paru en anglais le 6 janvier 2014)

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