Budget du Québec: destruction des services publics et cadeaux fiscaux à la grande entreprise

Le budget déposé le 4 juin dernier par le gouvernement libéral du Québec marque une nouvelle étape dans le transfert des richesses de la société dans les poches des super riches. En imposant une compression massive des dépenses sociales, couplée à une multitude d’avantages fiscaux accordés aux entreprises, le premier ministre Philippe Couillard a averti que des coupes sociales encore plus dures sont à venir. Pour en préparer le terrain idéologique, le budget a confirmé la mise en place de commissions sur la révision des programmes gouvernementaux et sur la fiscalité des entreprises.

Le budget prévoit une réduction des dépenses gouvernementales de l’ordre de 2,7 milliards de dollars en 2014-2015 et maintient l’objectif du déficit zéro pour 2015-2016, ce qui demandera des coupes additionnelles d’au moins 2,35 milliards. Alors que les dépenses du gouvernement québécois augmentent en moyenne de 4,1% par année depuis dix ans, cette croissance sera ramenée à 1,8% cette année et à 0,7% l’an prochain.

Dans le secteur de l’éducation par exemple, de nouvelles compressions de 150 millions frapperont les commissions scolaires, qui ont déjà perdu 640 millions en financement depuis quatre ans. Selon Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec: «C’est sûr que ça va toucher les services aux élèves».

Il y aura un gel des effectifs dans la fonction publique et parapublique pendant deux ans, ce qui représente un manque à gagner d’au moins 12.500 emplois à temps plein, selon les taux de croissance observés au cours des cinq dernières années. Un projet de loi sera déposé cet automne pour donner aux ministres de la Santé et de l’Éducation les pleins pouvoirs pour limiter les embauches.

De nombreux travaux d’infrastructure sont mis sur la glace, y compris: la construction d’un nouvel hôpital à La Malbaie; l’agrandissement de l’hôpital de Verdun; la réfection de l’autoroute métropolitaine; et le recouvrement du tunnel Ville-Marie, où des blocs de béton se sont déjà détachés des poutres pour tomber sur la chaussée.

Une réduction de 20% (ou 348 millions $) a été annoncée dans certains crédits d’impôt. Selon certains médias, cela montre que les sacrifices exigés par le gouvernement sont également répartis sur toutes les couches de la société. Il n’en est rien. Parlant des «aides fiscales ciblées aux entreprises», le ministre des Finances Carlos Leitao a fait savoir que «le gouvernement veillera à ce que ces incitatifs aient graduellement une portée générale plutôt que spécifique».

Le budget accorde en effet toute une série de nouveaux cadeaux fiscaux aux gens d’affaires. Environ 175.000 entreprises profiteront d’une réduction de la cotisation sur le Fonds de services de santé lors de l’embauche de travailleurs qualifiés. Pour 7.500 PME manufacturières, l’impôt sur le profit passera de 8% à 6% cette année, avant de tomber à 4% le 1er avril 2015. Les PME établies en région bénéficieront, quant à elles, de 40 millions $ en aide au transport. Une enveloppe de 150 millions $ sur trois ans, en prêts ou garanties de prêts, sera mise à la disposition des entreprises qui lancent des «projets d’innovation». Et plus de 500 millions $ seront mis de côté pour alimenter des fonds de capital de risque.

Au même moment, le budget augmente les taxes sur les produits de consommation, qui retombent largement sur les épaules des gens ordinaires. Un paquet de cigarettes coûtera 50 cents de plus, un litre de bière acheté en magasin 13 cents de plus, et le litre de vin 24 cents de plus, ce qui donnera au gouvernement 175 millions $ de plus en taxes sur le tabac et l’alcool.

Les milieux d’affaires ont chaleureusement accueilli le budget. Martine Hébert, porte-parole de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, a déclaré par exemple: «À cause de la démographie, au Québec, on ne peut plus créer autant de richesse qu’on créait auparavant, se doter de programmes aussi généreux et avoir une fonction publique aussi imposante».

Cette idée qu’il n’y a «pas d’argent», reprise en chœur par les politiciens et les médias de masse, est un mensonge éhonté. Le budget libéral vient d’accorder des centaines de millions de dollars en subventions de toutes sortes aux entreprises, qui s’ajoutent aux milliards en baisses d’impôt sur les profits, les gains en capital et les gros revenus qui ont été accordés par les gouvernements précédents (péquiste et libéral).

Au même moment, on saigne à blanc les services publics dont dépendent de plus en plus de travailleurs, dans un contexte de crise économique persistante et d’un marché de l’emploi anémique. Il ne s’agit pas d’un manque d’argent, mais d’un transfert massif des richesses produites par des générations de travailleurs vers la poignée de super-riches qui dominent les marchés financiers.

Les centrales syndicales québécoises – qui travaillent depuis des décennies à étouffer les luttes sociales des travailleurs et des jeunes, comme en témoigne leur isolement de la grève étudiante en 2012 – ont réagi au budget libéral en acceptant le mensonge du manque de ressources.

Le président de la Confédération des syndicats nationaux, Jacques Létourneau, a fait savoir que «la CSN souscrit à la nécessité d’une meilleure gestion des finances publiques». Comme ses confrères parmi la bureaucratie syndicale, Létourneau a seulement plaidé pour avoir une place dans la commission bidon sur la fiscalité qui va mener la propagande gouvernementale pour justifier le démantèlement des programmes sociaux. Cette commission «doit permettre aux groupes qui représentent les travailleuses et les travailleurs de l’État et la population d’intervenir pour exprimer leurs positions», a déclaré le bureaucrate syndical.

Québec solidaire – une organisation supposément «de gauche» orientée vers la bureaucratie syndicale et vers le Parti québécois, l’autre parti de gouvernement de l’élite dirigeante – accepte également le principe du «déficit zéro» mis de l’avant pour justifier la destruction des services publics. Il propose seulement un rythme moins rapide, pour éviter une explosion sociale que ses alliés à la tête des syndicats auraient du mal à contrôler. C’est la signification d’une motion déposée par Françoise David, porte-parole de Québec solidaire et l’une de ses trois députés à l’Assemblée nationale, pour déplorer «le retour trop rapide à l’équilibre budgétaire».

Motivant sa motion, David a déclaré en Chambre: «Avec ce budget, le Québec fait de plus en plus cavalier seul: l’idéologie de l’austérité est battue en brèche aux quatre coins de la planète… y compris au Fonds monétaire international». En présentant la destruction systématique des services publics, et les baisses massives d’impôts au profit des riches, comme un phénomène purement québécois, David met la réalité la tête en bas. En fait, ce régime draconien d’austérité est appliqué partout au Canada et à travers le monde, quelle que soit l’étiquette politique du parti au pouvoir (libéral, conservateur ou social-démocrate), et sous la pression constante des marchés financiers et de leurs organes institutionnels tels le FMI.

L’aveuglement de David, basé sur le nationalisme québécois le plus étroit, reflète la position sociale des classes moyennes privilégiées pour qui parle son parti. En qualifiant l’austérité de simple «idéologie», de mauvais choix qui peut être renversé si les travailleurs font pression sur les politiciens au pouvoir, Québec solidaire cherche à en cacher la base objective, à savoir: la crise historique du système capitaliste mondial.

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