Perspectives

La chute de Mossoul et les crimes de l’impérialisme

La chute de Mossoul, la deuxième ville d’Irak, aux mains de l’Etat islamique en Irak et au Levant (Islamic State of Iraq and the Levant, ISIS), un groupe avec lequel même al Qaïda a rompu à cause de sa violence excessive et de son fanatisme sectaire, constitue un réquisitoire accablant des crimes commis par l’impérialisme américain en Irak et partout au Moyen-Orient. 

La prise de Mossoul mardi a été suivie par celle de Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, ainsi que de certaines parties de Samarra – à une centaine de kilomètres seulement de Bagdad – et de Kirkouk au Nord. Les troupes de l’armée irakienne, créée par les Etats-Unis au prix de quelque 20 milliards de dollars, ont fondu comme neige au soleil, à commencer par leurs commandants qui ont enlevé leurs uniformes et jeté leurs armes.

Mercredi soir on signalait qu’en prévision d’un assaut visant la capitale des troupes faisant partie des forces spéciales du gouvernement irakien avaient formé une ligne de défense à une trentaine de kilomètres au nord de Bagdad.

Plus d’un demi million de personnes ont fui les combats à Mossoul ; ce qui a été décrit par un organisme d’aide comme étant « l’un des déplacements les plus vastes et les plus rapides de population dans le monde de mémoire récente. »

Cette ville, comme le reste de l’Irak, a été détruite par la guerre et l’occupation américaines qui ont débuté en 2003. Son infrastructure a été détruite et, quels que soient les efforts de reconstruction entrepris, ce furent des opérations basées sur la corruption qui n’ont pas fait grand chose pour apaiser les souffrances de la population. Les membres des professions libérales, les docteurs, les enseignants, les avocats, les ingénieurs, les journalistes et les scientifiques – ont soit été tués soit contraints de fuir pour avoir la vie sauve.

Une guerre civile sectaire provoquée par la stratégie du diviser pour régner de l’occupation américaine a brisé le caractère multi ethnique de la ville, vu que les sunnites, les chiites, les Kurdes, les Assyriens et d’autres populations ont été chassés des zones où ils constituaient des minorités lors d’un exercice sanglant de « nettoyage ethnique. »

Cette politique sectaire s’est poursuivie sous le régime irakien du premier ministre Nouri al-Maliki, le dirigeant d’un parti politique fondé sur la religion chiite et qui a été mis en place sous l’occupation américaine. Maliki a aggravé le sentiment de désespoir de la population à majorité sunnite de la province d’Anbar et a créé une base de soutien pour des éléments tels qu’ISIS en emprisonnant, forçant à s’exiler ou en tuant d’influents politiciens sunnites et en assimilant au « terrorisme » toute opposition au sein de la population sunnite à son gouvernement.

La réaction des médias américains au fiasco en Irak a été dominée par la stupéfaction et l’incrédulité mêlées à des interrogations sur la façon dont cela avait pu se produire compte tenu des « sacrifices » faits par les Etats-Unis – 4.500 soldats tués et des dizaines de milliers d’autres blessés en plus de milliers de milliards de dollars investis.

Quelle hypocrisie! La catastrophe qui se passe en Irak est la conséquence directe des crimes – tant passés que présents – commis par l’impérialisme américain dans sa tentative d’asseoir son hégémonie au Moyen-Orient et de contrôler ses énormes réserves énergétiques.

Les Etats-Unis avaient envahi l’Irak en mars 2003 sous le prétexte que le régime de Saddam Hussein fabriquait des « armes de destruction massive » et qu’il avait noué des liens avec al Qaïda, ce qui était censé faire peser sur le monde la menace imminente d’un 11 septembre nucléaire.

Comme le sait à présent le monde entier, ce prétexte était un mensonge du début à la fin. Il n’y avait pas de WMD (armes de destruction massive) et, quels que soient ses crimes, le régime de Saddam, était un régime laïc et opposé à al Qaïda qui n’existait pas en Irak avant l’invasion américaine et la dévastation du pays.

Les crimes perpétrés sous Bush en Irak – qui ont causé plus d’un million de morts irakiens et la destruction d’une société entière – ont été suivis par ceux du gouvernement Obama en Libye et en Syrie. Là, l’impérialisme américain a encouragé et armé des forces agissant par procuration et fondées sur des éléments islamistes sunnites et liés à al Qaïda dans le but de mener des guerre en faveur d’un changement de régime. Il en a résulté un renforcement considérable de ces forces partout dans la région.

On a donné comme base à ces guerres la narrative de la « guerre contre le terrorisme » qui fut utilisée par le gouvernement Bush mais est toujours employée par la Maison Blanche d’Obama pour justifier un militarisme au niveau mondial. Des guerres lancées en réaction à un attentat terroriste commis par 19 individus – dont 15 Saoudiens – auxquels il fut permis de pénétrer sur le territoire des Etats-Unis et de détourner des avions, ont mené à la création de fait d’un Etat al Qaïda à cheval sur la frontière Irako-syrienne et qui s’étend d’Alep, près de la Mer Méditerranée à la frontière iranienne.

Le gouvernement Obama a fait du renversement du régime Assad à Damas un objectif central de la politique américaine. L’année dernière, il a subi un revers humiliant lorsque, devant l’immense opposition populaire aux Etats-Unis, les divisions internes régnant parmi les décideurs politiques et le manque de soutien de la part de la Grande-Bretagne, son principal allié impérialiste, il fut contraint de renoncer à son projet de frappes aériennes contre la Syrie. Il fut obligé en contrepartie d’accepter un plan négocié par la Russie pour obtenir le désarmement chimique de la Syrie et démarrer des pourparlers entre le régime Assad et les soi-disant « rebelles ».

La conséquence en fut une série de revers stratégiques pour les « rebelles » appuyés par les Etats-Unis et qui sont dominés par les milices islamistes sunnites, dont ISIS. Washington veut à tout prix changer la situation sur le terrain.

Un débat de plus en plus vif a lieu au sein des cercles dirigeants quant à l’armement des « rebelles » ; l’ancien ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford, a demandé mercredi dans une rubrique du New York Times, qu’on fournisse aux « modérés » d’entre les milices menées par les islamistes, des mortiers, des roquettes et des missiles surface-air et qu’il soient rémunérés directement par les Etats-Unis. Ford, bien évidemment, tout comme les autres responsables américains, affirme qu’une telle aide en faveur des « modérés » dont les organisations ne sont jamais nommées – servirait aussi à isoler les éléments liés à al Qaïda. Cette remarque ne sert cependant qu’à camoufler la véritable criminalité des opérations américaines dans lesquelles ces mêmes éléments jouent un rôle décisif.

Alors que le Washington officiel déplore publiquement la chute de Mossoul, l’effet de cette évolution sur la guerre par alliés interposés menée en Syrie par les Etats-Unis pourrait bien ne pas être tout à fait malvenue au sein d’une partie de l’appareil militaire et des services de renseignement.

Le fait que les stocks d’armes et de munitions de l’armée irakienne soient tombés entre les mains d’ISIS a donné aux forces qui cherchent à renverser le gouvernement syrien une des augmentations de leur puissance de feu les plus spectaculaires depuis que la guerre civile appuyée par les Etats-Unis a commencé. Selon une source, des centaines de véhicules blindés ont été saisis – suffisamment pour équiper une division blindée entière. ISIS s’est emparé de l’aéroport de Mossoul, obtenant l’accès à des hélicoptères militaires et à d’autres avions. D’énormes quantités d’armes et de munitions ont été saisies et pratiquement tout est renvoyé au-delà de la frontière en Syrie. Des milliers de prisonniers islamistes ont été libérés des prisons irakiennes pour s’y rendre et y combattre.

L’exigence de fournir des armes américaines aux « rebelles » a été pour une large part satisfaite par les événements de Mossoul. Le résultat en sera une nouvelle escalade du bain de sang en Syrie.

Chaque fois que Washington tente de recourir au militarisme pour promouvoir les intérêts de l’impérialisme US et de stopper le déclin du capitalisme américain, ce sont les masses de la population qui souffrent, depuis les millions de gens tués ou déplacés durant la décennie de guerre et d’occupation américaines en Irak, jusqu’au carnage organisé contre la population syrienne et à la transformation maintenant de près d’un demi million d’habitants appauvris de Mossoul en réfugiés sans abris.

Personne n’a été tenu responsable de ces agissements qui constituent incontestablement des crimes de guerre. Les responsables ne comprennent pas seulement George W. Bush, Dick Cheney, Donald Rumsfeld et d’autres membres du gouvernement précédent. Les deux principaux partis politiques, les médias, les grands groupes et chaque institution américaine sont responsables des mensonges qui ont dominé ces quinze dernières années la politique américaine – tant étrangère que domestique. Toute la politique criminelle appliquée sous Bush – guerre d’agression et torture – a été poursuivie par le gouvernement Obama. Avec son « pivot » vers l’Asie et le coup d’Etat en Ukraine, il est en train de planifier une confrontation militaire avec la Russie et la Chine et de préparer le terrain pour une Troisième guerre mondiale nucléaire.

(Article original paru le 12 juin 2014)

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