Perspectives

Propagande fasciste à la une du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung

« Lorsqu’on raconte un gros mensonge et qu’on le répète suffisamment, les gens finissent par le croire ». Ce principe de Joseph Goebbels, le ministre nazi de la propagande, sert aujourd’hui de guide à de nombreux organes de presse quand ils mènent campagne contre la vaste opposition à une reprise du militarisme allemand.

Depuis que Berlin et Washington ont aidé un régime droitier à accéder au pouvoir en Ukraine et qu’ils ont provoqué un dangereux conflit avec la Russie, certains organes médiatiques de premier plan ne reculent devant aucun mensonge pour justifier cette politique. Ils minimisent l’importance des fascistes du parti Svoboda et de Secteur droit, présentent la résistance à l’Est de l’Ukraine comme un complot ourdit par la Russie et dénoncent ceux qui les critiquent en se servant de la formule : « les bienveillants envers Poutine »

Mais cela ne suffit pas. Afin de miner toute opposition à la « fin de la retenue militaire » proclamée il y a peu par le gouvernement allemand, ils nient encore les crimes commis par l’impérialisme allemand dans l’Histoire.

Lundi 2 juin a paru à la une du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), un commentaire intitulé « Amitié unilatérale » où l’on trouve une attaque haineuse contre Poutine et la Russie accompagnée d’une représentation de la deuxième Guerre mondiale comme on ne la trouvait jusque là que dans les pages de publications nazies.  

Le rédacteur en chef de FAZ, Frank Pergande, se plaint du « genre de bienveillance avec laquelle on considère Poutine, en particulier à l’Est de l’Allemagne » et se moque de « la soi-disant amitié avec le ‘grand frère’ en RDA ». Il fait l’éloge de la chancelière Merkel, qui « déjà à une époque où elle n’était pas encore femme politique » (donc à l’époque de la RDA), « savait déjà ce qu’il fallait penser de la Russie. »

En réalité, écrit Pergande, la relation avec l’Union soviétique a été marquée par la peur, aussi à l’époque de la RDA. « Qui a vécu la fin de la guerre » écrit-il, « devait taire ses pires expériences : les meurtres et les suicides, les expulsions, les viols, les camps, les réparations. La déferlante de l’Armée rouge a détruit sur le chemin qui la menait à Berlin des villes comme Francfort-sur-l’Oder, Prenzlau ou encore Demmin, de telle façon que les plaies sont encore douloureuses aujourd’hui. »

Pergande n’a pas soufflé mot de la guerre d’anéantissement menée avant cela par les nazis et qui a coûté la vie à 25 millions de personnes dans la seule Union soviétique, parmi lesquelles plus de trois millions de prisonniers de guerre. A lire son article, on pourrait croire qu’en 1944 l’Armée rouge a agressé une Allemagne pacifique et désarmée.

Il ne mentionne pas non plus le fait que Hitler a même envoyé au front des vieillards et des mineurs et qu’il ordonnait à ses soldats une résistance jusqu’au dernier homme. A cause de cela, 80.000 soldats de l’Armée rouge sont tombés et 275.000 furent blessés dans la seule bataille de Berlin qui a finalement scellé la fin de Hitler

Pergande interprète la défaite d’Hitler non pas comme une libération, mais comme une « expérience pénible ». Il indique par là qu’il aurait mieux valu que les nazis restent au pouvoir. On n’est pas loin de la propagande fasciste.

Le fait que la FAZ, qui avec son tirage de 320.000 exemplaires compte parmi les principaux jouraux d’Allemagne, publie un article aussi minable, sans déclencher la moindre protestation en dit long sur le climat politique qui règne en Allemagne. Ce qu’on ne trouvait imprimé, il y a encore quelques années, que dans des feuilles néonazies comme la National-Zeitung ou la Jungen Freiheit, est à présent le consensus politique qui existe dans les élites au pouvoir.

Pergande lui même n’est pas qualifié pour écrire sur des sujets historiques à la une de la FAZ. Né en 1958 en RDA, il a fait des études de journalisme à Leipzig. Pour la FAZ il écrit sur des événements locaux dans les trois Lands du Nord de l’Allemagne. Son œuvre littéraire comprend plusieurs guides de voyage ainsi que quelques romans policiers ayant pour cadre le Land de Mecklembourg-poméranie.

Son commentaire est de la propagande pure. Comme tant d’autres commentaires parus tant dans la FAZ que dans d’autres organes de presse, celui-ci sert à bourrer le crâne d’une opinion publique qui s’oppose obstinément à la propagande officielle sur l’Ukraine.

La minimisation du national-socialisme qui s’y exprime a fait l’objet d’une préparation systématique. Lorsque l’historien Erich Nolte avait osé présenter au public en 1986 sa thèse selon laquelle le national-socialisme n’était qu’une réaction compréhensible au bolchevisme, il avait encore été violemment contredit.

Depuis, Jörg Baberowski, le titulaire de la chaire d’Histoire d’Europe orientale à l’Université Humboldt de Berlin peut proclamer dans les pages du magazine Der Spiegel que « Nolte avait raison » et Nolte lui-même peut dire que les Polonais eux-mêmes sont pour moitié responsables de la deuxième Guerre mondiale, sans que la politique officielle ne le contredise. En Ukraine, les fondations de tous les partis allemands des Verts jusqu’à la CDU en passant par le SPD, collaborent avec des forces politiques qui glorifient des criminels de guerre et des collaborateurs des nazis comme Stepan Bandera.

La raison de ce virage à droite est l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme allemand. Six années après l’éruption de la crise financière la plus grave depuis les années 1930, l’Union européenne menace d’éclater et les marchés et les matières premières font plus que jamais l’objet d’une lutte acharnée.

C’est là la cause de la détermination des élites gouvernantes à abandonner la retenue militaire à laquelle elles avaient été forcées après les crimes commis pendant la deuxième Guerre mondiale, et à poursuivre une nouvelle fois leurs intérêts impérialistes par la violence.

Le fait que des journalistes, des universitaires et les fonctionnaires des partis aient adopté ce cours ne signifie cependant pas qu’il soit soutenu par la masse de la population. Au contraire, cette politique y rencontre une méfiance et une opposition généralisée. C’est la raison du flot constant de propagande et de mensonge au moyen duquel on veut réprimer et intimider cette opposition.

(Article original publié le 4 juin 2014)

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