La NSA espionne les contacts de la chancelière allemande

Après la promesse du président Barack Obama de ne plus espionner les communications téléphoniques de la chancelière allemande Angela Merkel, l’Agence nationale de sécurité (NSA) a renforcé les opérations d’écoute visant ses interlocuteurs. La nouvelle de leur mise sur écoute émane d’un article publié dimanche dernier dans l’édition dominicale du quotidien allemand Bild.

Selon ce journal, la NSA espionne actuellement en Allemagne 320 hauts responsables, « principalement des décideurs dans le domaine politique mais aussi du monde des affaires. » Ce cercle restreint de personnes comprend notamment les politiciens proches de la chancelière. Le journal cite tout particulièrement le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière (Union chrétienne-démocrate, CDU) qui avait également fait l’objet d’une mise sur écoute quand il était ministre de la Défense.

Parmi les entreprises visées se trouve le premier éditeur européen de logiciels SAP, un concurrent du groupe américain Oracle.

Bild se réfère à un informateur anonyme de la NSA mais a également discuté avec Caitlin Hayden, la porte-parole du Conseil national de la sécurité des Etats-Unis.

Le journal rapporte que la NSA dispose de 297 agents travaillant en Allemagne. Suite à l’ordre d’Obama de ne plus espionner Merkel, la NSA y a intensifié ses acticités de surveillance. « Nous avons l’ordre de ne permettre aucune perte de renseignement suite à l’arrêt des écoutes directes des communications téléphoniques de la chancelière, » a dit le journal en citant son informateur.

La porte-parole du Conseil national de la sécurité a justifié les activités d’espionnage de la NSA et indiqué « que les Etats-Unis recueillaient des renseignements de la même manière que tous les autres Etats ».

Aussi bien le BND (Bundesnachrichtendienst, Service fédéral du renseignement extérieur) que son homologue du BfV (Bundesamt für Verfassungsschutz, Protection de la constitution) ont profité de l’espionnage à grande échelle de la NSA, écrit Bild. C’est la raison pour laquelle les « hauts responsables américains du renseignement » ne furent pas emballés du « double-jeu mené par les Allemands » à la suite du « récent tollé au sujet de la mise sur écoute du téléphone de Merkel ». 

En réalité, le gouvernement allemand n’a pas d’objection à ce que les gens soient espionnés en Allemagne ou dans le monde entier, ce en quoi les services de renseignement allemands et américains collaborent étroitement. Mais, il a protesté contre la surveillance visant le gouvernement même et les intérêts économiques des entreprises allemandes.

C’est dans ce contexte qu’il faut voir le projet à hauteur de 185 millions de dollars de la mise en place d’un câble sous l’Atlantique et qui relie directement l’Europe au Brésil. Jusqu’à présent, toutes les connexions de données Internet entre l’Europe et l’Amérique du sud passaient par les Etats-Unis.

Les connexions entre la capitale portugaise, Lisbonne, et Fortaleza, ville au nord-est du Brésil, devrait être finalisées dans le courant de l’année, a dit la présidente brésilienne, Dilma Roussef, lors du sommet Union Européenne-Brésil qui s’est tenu cette semaine à Bruxelles. Roussef a elle aussi été espionnée par la NSA. Elle a aussi mis l’accent sur le fait qu’elle « ne voulait pas que les entreprises soient espionnées ».

Les divulgations d’Edward Snowden concernant les opérations d’espionnage des agences de renseignement américaines et britanniques en Europe ont créé des tensions transatlantiques considérables. Tant les politiciens allemands qu’américains se sont efforcés depuis d’arranger les choses.

Washington, n’a cependant pas voulu approuver un « accord de non-espionnage » sur lequel les politiciens allemands avaient insisté. Comme il l’avait annoncé mi-janvier dans un discours important, le président Obama n’était disposé qu’à restreindre les interceptions des communications de dirigeants amis. Cette attitude a suscité de vives critiques dans certaines sections de l’establishment allemand, allant jusqu’à demander l’imposition de sanctions économiques contre les Etats-Unis.

Le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, qui s’était auparavant exprimé avec une certaine retenue, parlant de discussions confidentielles en cours entre les Allemands et les Américains, avait par la suite sévèrement critiqué les agences de renseignement américaines lors de la conférence sur la sécurité à Munich, en janvier: « Le préjudice causé aux intérêts allemands est énorme. Les explications que nous avons reçues sont insuffisantes. Les dommages politiques sont plus importants que les avantages tirés de la politique de sécurité outre Atlantique ».

Selon un article paru dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, de Maizière a demandé au gouvernement allemand d’envoyer un « signal » allant contre les opérations d’espionnage de la NSA, mais rejeta l’idée d’un « accord de non-espionnage ». « Qu’est-ce-qui devrait être réglementé ? Et qui le contrôlerait ? » dit-il. Par contre, il a exhorté les Etats-Unis à « envoyer un signal à l’un de leurs principaux alliés européens ».

Mi-février, le magazine Der Spiegel a rapporté que le gouvernement allemand projetait « de placer ses propres agents pour espionner des pays partenaires comme les Etats-Unis. » La décision de « briser le tabou » n’a pas encore été prise mais a été acceptée par tous les membres de la coalition gouvernementale, même par l’Union sociale-chrétienne (CSU) qui est par tradition pro-américaine. Le magazine a cité le spécialiste des affaires intérieures, Michael Hartmann (Parti social-démocrate, SPD) disant : « Nous devons nous protéger, peu importe d’où vient le danger ».

L’écoute téléphonique, le recrutement de sources ou l’observation des partenaires occidentaux n’étaient pas prévus à l’origine mais nous « devrions faire tout notre possible pour savoir ce qui se passe, notamment dans les ambassades et les consulats – qui travaillent sur place et les possibilités techniques qui existent. » Le fait, par exemple de déterminer si des agences gouvernementales allemandes étaient surveillées à partir de l’ambassade américaine à Berlin.

Les services secrets allemands avaient déjà « appelé l’ambassade américaine à fournir les noms et des informations concernant des agents de renseignement diplomatiquement accrédités en Allemagne. » De plus, le chef de l’Agence de renseignement BfV (Protection de la constitution), Hans-Georg Maassen, avait exigé des informations pour savoir « avec quelles entreprises privées les Américains collaboraient en Allemagne dans le domaine de l’espionnage, » a écrit Der Spiegel. Le service de renseignement militaire allemand (MAD) est actuellement en train de discuter s’il « ne devait pas aussi suivre de plus près les services de renseignement amis lors d’opérations de contre-espionnage. »

De plus, le ministre de la Justice, Heiko Maas, celui des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et de l’Economie, Sigmar Gabriel (tous SPD) se sont entendus avec leurs collègues Peter Altmaier (chancellerie) et de Maizière (ministère de l’Intérieur) pour ne pas mettre fin à une enquête pénale pour espionnage en Allemagne, ouverte pour des raisons politiques par le procureur général.

Mais la Maison Blanche n’est pas prête à faire des concessions. Bild am Sonntag a cité Caitlin Hayden disant, « Si nos agences de renseignement continuent à recueillir des renseignements sur les intentions des gouvernements… du monde entier, de la même manière que le fait le service de renseignement de chaque pays, nous ne nous excuserons pas pour le fait que nos services peuvent travailler plus efficacement. »

(Article original paru le 1er mars 2014)

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