Pas d’inculpation pour le policier qui a tué Michael Brown à Ferguson

La déclaration faite par Robert P. McCulloch, l’avocat général du district de St. Louis, lundi soir, selon laquelle il n’y aurait pas de charges retenues contre le policier Darren Wilson de Ferguson, Missouri, pour le meurtre de Michael Brown est une parodie de justice.

La procédure toute entière par laquelle le Grand jury est arrivé à sa décision est une fraude juridique. Son résultat n’est pas la conséquence d’un procès équitable, mais de calculs politiques. Le Grand jury a rendu le verdict désiré par l’Etat: pas d’inculpation d’un policier pour le meurtre d’un jeune Afro-américain non-armé.

Malgré le fait que la décision ne fut rendue publique qu’après 21h (heure locale à New York), il y eut, lundi soir, des manifestations partout aux Etats-Unis.

A Ferguson et dans les villes des alentours, la police a réagi en déployant des escadrons de la police anti-émeute, en tirant sur les manifestants avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Des convois de véhicules blindés de la police roulaient lentement dans les rues. Les toits de certains des véhicules étaient bordés de sacs de sable et portaient des tireurs d’élites qui braquaient leurs fusils d’assaut sur des manifestants non-armés.

Le maire de Ferguson a requis le déploiement de la Garde nationale – une action que le gouverneur du Missouri Jay Nixon avait déjà initiée quand il déclara un « état d’urgence » préventif la semaine dernière.

Le président Barack Obama a parlé immédiatement après l’annonce de McCulloch, faisant des commentaires de circonstance à moitié cohérents, dont le but était de se solidariser avec la décision du Grand jury.

La chaîne de télévision CNN afficha sur l’écran deux images côte à-côte montrant à la fois la répression à Ferguson et Obama qui déclarait : « Nous sommes une nation bâtie sur le respect de la loi, » insistant pour dire que tout le monde devait accepter la décision du Grand jury.

Alors que la police tirait des salves de lacrymogènes et de balles en caoutchouc, Obama dénonçait « la méfiance » envers la police, déclarant que « personne n’avait plus besoin du maintien de l’ordre que les communautés pauvres ». Obama consacra une bonne partie de ses brefs commentaires, délivrés sur le ton indifférent qui lui est propre, à réprimander les pillards potentiels.

« Il n’y a jamais de prétexte pour la violence, » dit Obama. Cela veut dire qu’au nom du respect de la loi, Obama – qui est responsable dans le monde entier d’une violence sans borne et aux Etats-Unis de la destruction des droits démocratiques – a donné son approbation à une décision qui accorde essentiellement à la police l’autorisation de tuer.

Dans ses propres remarques, McCulloch a insisté pour souligner le fort degré de coordination entre la Maison-Blanche et le ministère de la Justice pendant toute la procédure.

Dans un discours étendu qui comportait une dénonciation des média et de l’opinion publique qui « spéculaient » sur les faits, McCulloch a cherché à masquer le fait le plus important de l’affaire : un homme qui n’était pas armé fut tué par six balles policières dont deux à la tête, à bonne distance de la voiture de police de Wilson.

McCulloch a dit que « les preuves matérielles » avaient contredit les récits de nombreux témoins, mais il ne précisa pas en quoi consistaient ces preuves matérielles, mis à part ce qu’il qualifia de blessure à la main de Brown par une balle tirée à courte distance. Il dit également que des témoins avaient indiqué que Brown « s’était précipité » vers Wilson, mais que ces témoins ne s’étaient jamais manifestés précédemment.

« Les décisions relatives à l’inculpation d’un individu pour crime ne peuvent être fondées sur autre chose qu’une enquête rigoureuse sur les faits, » a dit McCulloch. Cet exercice intéressé d’apologétique n’eut pour effet que de souligner le caractère illégitime de toute la procédure.

Depuis le début, la procédure du Grand jury, qui dura trois mois, fut utilisée comme moyen de contourner un procès public du meurtrier de Brown. Dans les conditions d’un réel procès, les faits du dossier et les déclarations des témoins seraient sujets à une procédure de confrontation entre adversaires. Mais à la place de celle-ci le procureur, connu pour ses liens avec la police, a substitué des audiences à huit-clos, les preuves étant manipulées afin de produire le résultat recherché.

Finalement, l’establishment politique a décidé qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre Wilson – même pas la charge moindre d’homicide involontaire. Les procureurs n’ont pas obtenu d’inculpation parce qu’ils n’en voulaient pas.

La décision de ne pas inculper Wilson fut prise sur toile de fond d’une vague montante de violence policière partout aux Etats-Unis, ses dernières victimes étant un garçon de 12 ans qui fut tué par la police alors qu’il jouait avec un pistolet factice la semaine dernière à Cleveland, Ohio, et un homme qui n’était pas armé à New York.

Cette décision est la marque d’une position adoptée par l’establishment politique: celui-ci maintiendra le droit de la police à tuer qui elle voudra. Comme toutes les classes réactionnaires confrontées par une crise, la classe dirigeante américaine a décidé que toute concession aux réclamations de la population que Wilson soit poursuivi en justice ne servirait qu’à encourager l’opposition et serait dangereux du point de vue politique.

Cette décision de justice et la répression policière qui s’en est suivie illustrent la rupture, sous la pression de l’inégalité sociale montante et de la marche vers la guerre, d’avec les formes démocratiques de gouvernance aux Etats-Unis. Autrement dit, « la guerre contre la terreur » est arrivée au pays.

(Article original publié le 25 novembre 2014)

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