Paris et Berlin en pourparlers sur une approbation du budget 2015 de la France par l’UE

Lundi, le ministre de l’Economie Emmanuel Macron et le ministre des Finances Michel Sapin se sont rendus à Berlin pour discuter du soutien de l’Allemagne au budget de la France pour 2015. Ce budget prévoit que le déficit public de la France s’élèvera l’année prochaine à 4,5 pour cent de son produit intérieur brut (PIB) et qu’il sera donc supérieur à la limite fixée par l’Union européenne. Il risque un éventuel rejet de la Commission européenne (CE).

Paris a présenté le budget à la Commission mercredi dernier pour approbation. Bien que le projet de budget du gouvernement PS (Parti socialiste) contienne des plans d’économie de 50 milliards d’euros en coupes sociales, dont une éviscération des allocations familiales et des dépenses des collectivités locales, elle pourrait le rejeter et exiger davantage de coupes afin de l’ajuster aux limites imposées par l’UE en termes de déficit budgétaire. La Commission devra décider d’ici fin octobre si elle approuve le budget, et au cas où elle ne le ferait pas, si elle infligera des amendes à la France ou renverra le budget à Paris pour modification.

Une tentative du gouvernement français de proposer une initiative commune franco-allemande au sommet de Berlin a échoué. Macron aurait demandé un programme d’investissement de 50 milliards d’euros de la part de l’Allemagne dans le but de stimuler l’économie et de compenser les 50 milliards de coupes de la France. Les deux pays se sont seulement mis d’accord sur l’élaboration d’un document économique d’ici début décembre.

Lors d’une conférence de presse commune à Berlin, Sapin a dit que si la France et l’Allemagne agissaient ensemble, c’était l’Europe tout entière qui en profitait.

Les responsables allemands ont dit à Euro News qu’ils n’accepteraient toutefois rien « d’extravagant » en réponse aux sollicitations françaises.

Le magazine d’informations allemand Der Spiegel a rapporté que la France et l’Allemagne tentaient en ce moment de négocier en coulisses un accord qui garantisse une approbation du budget français par la CE. L’accord serait fondé sur des projets de mesures d’austérité renforcées et à long terme dirigées contre de la classe ouvrière en France.

Selon Der Spiegel, « les deux gouvernements travaillent sur un accord écrit en vertu duquel la France fournira une feuille de route détaillée pour une réduction du déficit et une réforme structurelle. » En échange, « l’Allemagne ignorerait les engagements répétés et non tenus de la France de ramener son déficit budgétaire dans la limite des 3 pour cent du PIB prévu pour les pays de la zone euro et opposerait toute sanction que la Commission européenne serait susceptible de proposer. »

Des responsables allemands et français ont démenti l’article de Der Spiegel. Mais il est clair que Paris et Berlin sont en train de forger des plans non divulgués en vue d’attaques supplémentaires contre la classe ouvrière de la part de l’impopulaire gouvernement PS de François Hollande, indépendamment de l’approbation du budget francais par la CE.

S’exprimant au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro avant son voyage à Berlin, Macron avait prédit que la CE n’opposerait pas de veto au budget. « Je suis totalement sûr à ce stade qu’il n’y aura pas d’avis négatif de la Commission parce que nous ne nous mettons pas dans cette situation. C’est la Commission qui va décider mais la France est un grand pays qui a à mener ce débat, » avait-il déclaré.

Macron a dit être d’avis que la position française bénéficierait du soutien des principales banques et institutions financières qui craignent qu’une politique de stricte austérité pourrait entraîner un effondrement économique et des faillites dans toute l’Europe. « Nous menons un débat qui est un débat, qui d’ailleurs a lieu dans d’autres enceintes comme au FMI Fonds monétaire Internationale) et ailleurs, qui est un débat sur la situation de la zone euro. La zone euro est en anémie. Elle a une croissance faible et une inflation faible. »

Que le gouvernement PS présente la situation comme maitrisée et l’approbation de son budget par la Commission européenne comme acquis du fait que la France est un « grand pays » est une escroquerie. Paris est en train de préparer des mesures d’austérité aux conséquences dévastatrices dans une situation où l’économie européenne continue de plonger et les tensions entre la France et l’Allemagne prennent un caractère explosif.

Les prévisions de croissance pour l’économie européenne sont en régression rapide. L’Allemagne a fait état d’une baisse de 5,8 pour cent de ses exportations en août, qui a choqué les marchés financiers. La Bundesbank (banque centrale) a publié il y a deux jours un rapport prédisant, pour la première économie de la zone euro, une croissance économique faible ou presque nulle au deuxième semestre de l’année en cours.

Les taux d’intérêt des obligations gouvernementales ont flambé en Grèce, en Espagne, au Portugal et en Italie, réveillant le spectre d’une nouvelle crise de l’endettement qui a le potentiel d’être bien pire que celle de 2010. La semaine passée, le rendement des taux grecs à dix ans était passé à presque 9 pour cent, la plus forte hausse depuis juillet 2012.

Selon la Banque mondiale, l’économie ukrainienne, dévastée par la guerre civile suite au coup d’Etat de février à Kiev dirigé par des fascistes et soutenu par l’Occident, se contractera de 8 pour cent.

Avant-hier, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé d’une mesure controversée : accroître d’un millier de milliards d’euros la masse monétaire et d’utiliser cet argent nouvellement créé pour acheter des obligations sécurisées. Cette mesure est une manœuvre désespérée pour injecter des liquidités dans les banques européennes.

Les tensions qui existent entre la France et l’Allemagne déstabilisent encore davantage cette situation très difficile. Le gouvernement Hollande est discrédité du fait de l’effondrement économique et de la hausse du chômage causée par sa politique d’austérité. Au total, 84 pour cent de la population française et 75 pour cent des électeurs PS ne veulent pas qu’il se représente à une réélection en 2017. En août, il fut contraint de renvoyer deux ministre PS qui s’en étaient pris publiquement à sa politique d’austérité et en avait rejeté la faute sur Berlin.

Le principal bénéficiaire de l’effondrement du PS est le Front national (FN) d’extrême-droite qui demande la sortie de la France de l’euro et de l’UE pour s’embarquer sur la voie d’une politique indépendante de Berlin.

La bourgeoisie allemande est elle-même profondément divisée quant à savoir s’il faut accéder aux exigences françaises en vue de préserver les bonnes relations avec la France et « l’axe franco-allemand » sur lequel repose l’UE ou bien s’il faut continuer à insister sur la politique d’austérité.

Plusieurs responsables allemands ont fait des commentaires suggérant qu’une sorte d’accord serait conclu avec Paris. Der Spiegel a cité un membre haut placé du gouvernement allemand disant qu’un refus officiel par la CE du budget français « troublerait considérablement les relations franco-allemandes. »

« Vous ne pouvez pas vous permettre ceci avec la France, pas avec la France, » a dit un diplomate de l’UE. « Ceci serait présenté comme si nous étions en quelque sorte responsables dû à notre obsession pour l’austérité. »

D’autre part, Berlin intensifie ses appels à l’austérité, ce qui signifierait des coupes budgétaires encore plus sévères en France. Jeudi, la chancelière allemande Angela Merkel a dit, « Tous, j’insiste sur ce point, tous les Etats membres doivent respecter totalement les règles renforcées du pacte de stabilité et de croissance [de l’UE]. »

« Si nous faisons une exception ici pour Paris, alors nous remettons en cause l’ensemble du pacte de stabilité, » a dit Gunther Krichbaum, membre du parti conservateur de Merkel, l’Union démocrate-chrétienne d’Allemagne (CDU) et président de la Commission des Affaires étrangères du parlement allemand.

« La France et l’Allemagne l’ont déjà fait avant, » a-t-il dit en faisant référence aux violations par l’Allemagne et la France de la limite du déficit budgétaire à 3 pour cent en 2003 et en 2004. « Nous ne devrions pas permettre que ceci se reproduise. »

(Article original paru le 21 octobre 2014)

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