Québec: les syndicats prêts à imposer les coupes dans les retraites

Dans une entrevue au quotidien montréalais La Presse, le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Daniel Boyer, a fait savoir que les syndicats étaient prêts à collaborer avec le gouvernement libéral du Québec pour imposer des coupures massives dans les régimes de retraites des employés municipaux.

«Nous, on est prêt à mettre de l'eau dans notre vin», a affirmé Boyer, en ajoutant que «la pire des choses est de ne rien faire», et qu’il était «conscient de la problématique des régimes de retraite».

Il s’agit d’une sérieuse mise en garde pour les employés municipaux et l’ensemble de la classe ouvrière. Si les travailleurs ne prennent pas en main la lutte contre le projet de loi 3 des libéraux, les chefs syndicaux vont la torpiller.

La déclaration de Boyer fait écho à celle de Marc Ranger, le porte-parole de la coalition syndicale en charge des négociations actuelles. «Il n’y a pas de sujets tabous, du moment que tout se fait par la négociation», a déjà affirmé ce dernier. «Nous sommes prêts à mettre plus d’argent» dans les cotisations, a-t-il précisé, et à «revoir certains bénéfices et les critères de l’âge de la retraite».

Ces propos démontrent une fois de plus que les syndicats acceptent de faire payer les travailleurs pour la crise du système capitaliste. La FTQ et le Syndicat canadien de la fonction publique – qui représentent la grande majorité des employés municipaux – ont récemment proposé de revoir «tous les régimes dont le degré de capitalisation est inférieur à 85 pour cent».

La campagne contre les employés municipaux aura des impacts non seulement au Québec, mais aussi dans le reste du Canada. Une défaite des travailleurs municipaux ne pourra que faciliter la tâche au gouvernement fédéral de Stephen Harper qui a mis la «réforme» des retraites au centre de son programme d'austérité.

Il devient de plus en plus évident que l’assaut sur les retraites des employés municipaux du Québec sera utilisé par la classe dirigeante canadienne comme fer-de-lance d’une offensive sur l’ensemble des acquis sociaux de la classe ouvrière. Face à ce danger, les syndicats font tout pour isoler la lutte des employés municipaux et empêcher qu’elle ne s’étende aux travailleurs des autres secteurs et ailleurs au pays.

Depuis les derniers mois, il ne passe pratiquement pas une semaine sans que le gouvernement libéral du Québec n’annonce de nouvelles coupures dans les services publics et les emplois. Le mois dernier, le premier ministre Philippe Couillard a comparé la situation actuelle aux crises de 1982 et de 1997, qui avaient mené à une réduction massive des salaires et des emplois dans les réseaux de l'éducation et de la santé par les gouvernements péquistes de René Lévesque et Lucien Bouchard.

Utilisant le même vieux prétexte de l’«équilibre budgétaire», le gouvernement libéral a mis la hache en éducation, dans les soins de santé, les garderies, les universités puis dans les régimes de retraites des employés municipaux.

Ces mesures font partie du plan de réduction de 4 milliards de dollars dans les dépenses sociales qui a été annoncé dans le budget d’austérité adopté au printemps. Le gouvernement libéral a mis sur pied une Commission sur la révision permanente des programmes dont l’objectif est de réviser «tous» les programmes sociaux pour trouver des économies de 3,2 milliards.

Il ne fait aucun doute que le gouvernement prévoit aussi des coupes massives dans les salaires et conditions de travail du demi-million d’employés des secteurs public et parapublic dont les conventions collectives arrivent bientôt à échéance.

Dans la mesure où les bureaucrates syndicaux se permettent de critiquer le projet de loi 3, c’est parce qu’ils reconnaissent l’immense colère des travailleurs. Mais leurs critiques viennent du fait que ce projet de loi mine leur place à la table des négociations, menaçant ainsi leur position sociale privilégiée en tant que police industrielle et politique de la classe dirigeante. Comme le note la FTQ, «le projet de loi 3 empêche la tenue d’une véritable discussion entre l’employeur et les représentants des travailleurs».

Ce que les syndicats cherchent par-dessus tout c’est de se présenter à l’élite comme de bons partenaires pour imposer les mesures d’austérité. Boyer s’est d’ailleurs vanté des contrats de concession adoptés dans le secteur municipal ce printemps comme preuve de l’utilité des syndicats. La réalité est que les syndicats ont présenté aux travailleurs l’important recul dans les régimes de retraites comme le prix à payer pour une hausse salariale d’à peine 2 pour cent par an pour les trois prochaines années.

Cette récente trahison rappelle l’année 1996-97 où les syndicats eux-mêmes avaient conseillé au gouvernement péquiste de Lucien Bouchard de mettre en place un programme de retraites anticipées, qui devait mener à l’élimination de dizaines de milliers d’emplois dans l’éducation et la santé au nom du «déficit zéro».

Il existe une profonde opposition au sein de la classe ouvrière face à ces attaques, qui s’est exprimée le 20 septembre dernier alors que plusieurs dizaines de milliers de travailleurs de la province ont manifesté à Montréal contre les coupures dans les retraites des employés municipaux. Cette opposition, toutefois, ne trouve pas d’expression politique.

Les syndicats sont les principaux responsables de cet état de fait. Au cours des dernières décennies, les syndicats pro-capitalistes ont imposé les concessions et les coupures d’emplois exigées par le grand patronat. Chaque fois que les travailleurs ont voulu résister, menaçant de sortir du cadre imposé par les syndicats, les bureaucrates syndicaux sont intervenus pour étouffer leurs luttes au nom de la «paix sociale». Au même moment, ils ont subordonné les travailleurs du Québec au parti de la grande entreprise qu’est le Parti québécois et les ont isolés de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada.

Les centrales syndicales ont joué le même rôle traitre lors de la grève étudiante de 2012. Tout au long du conflit, les syndicats ont refusé de mobiliser les travailleurs en défense des étudiants opposés à la hausse des frais de scolarité du Parti libéral de Jean Charest, laissant ces derniers seuls face à la répression d’état.

Lorsque la grève menaçait de s’étendre à la classe ouvrière, les syndicats, avec l’appui des associations étudiantes et de Québec Solidaire, ont consciemment détourné le mouvement derrière l’élection du Parti québécois pro-indépendance. Une fois au pouvoir, le PQ est allé de l’avant avec des coupures encore plus draconiennes que ses prédécesseurs libéraux, y compris une hausse permanente des frais de scolarité, ainsi que l’imposition d’une loi spéciale qui criminalisait la grève de 75.000 travailleurs de la construction.

L'argument qu’ «il n’y a pas d’argent» est un mensonge de l’élite dirigeante que les syndicats tentent de vendre aux travailleurs pour justifier les concessions qui leur sont imposées. La réalité est que les abondantes richesses sociales créées par le travail de la classe ouvrière sont transférées dans les poches d’une infime minorité, notamment par une réduction massive de l'impôt sur les riches et la grande entreprise.

La lutte des employés municipaux contre le projet de loi 3 peut servir d’étincelle à une vaste contre-offensive de la classe ouvrière pour la défense de tous les services publics. Mais pour ce faire, les travailleurs doivent rompre politiquement avec les syndicats qui les contrôlent et former des comités ouvriers indépendants voués à une lutte contre l’ensemble du système de profit.

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