La victoire du «non» en Écosse et la crise de l’État nation britannique

L’indépendance de l’Écosse a été défaite lors du vote référendaire de la semaine dernière, où 55,3 pour cent des électeurs ont voté contre et 44,7 pour, avec un taux de participation de 84,6 pour cent.

Initialement, il y a eu un sentiment de soulagement dans les cercles dirigeants, étant donné qu’à un certain point, selon les sondages, le camp du «oui» semblait assuré d’une majorité – menaçant ainsi d’une imminente dissolution l’union vieille de 307 ans unissant l’Écosse, l’Angleterre et le pays de Galles. Une telle perspective a été comparée à un nouveau «cas Lehman» – une référence à la chute de la banque qui a entraîné la crise financière de 2008. Certains craignaient qu’une victoire du «oui» puisse affaiblir l’élite dirigeante britannique sur tous les fronts, ce qui a incité les politiciens, les économistes, les chefs d’entreprise et les personnalités militaires à lancer des avertissements.

La livre sterling et les actions britanniques ont grimpé vendredi matin, après avoir souffert d’importantes pertes au cours des jours précédents. Alex Salmond, le dirigeant du Parti national écossais (SNP), a annoncé sa démission après avoir admis l’échec de la campagne pro-indépendance.

Mais à la fin de la journée, la hausse des actions et de la livre sterling a fait marche arrière quand il est devenu évident que la crise aiguë de l’État nation britannique était loin d’être terminée.

Le fait le plus inquiétant pour la bourgeoisie est que la majorité des électeurs se sont opposé à la séparation en dépit, et non en raison, de la campagne des principaux partis – conservateur, travailliste, libéral démocrate – qui formaient l’épine dorsale du camp «Better Together» (Mieux ensemble).

La campagne a révélé l’immense niveau de désaffection et d’hostilité envers l’élite de Westminster, qui est associée aux guerres coloniales illégales et à l’austérité.

Le fait qu’une majorité ait rejeté les efforts de détourner la colère face à cet état de choses vers un soutien pour la création de nouvelles frontières nationales témoigne du profond sentiment d’unité partagé par les travailleurs et d’une méfiance justifiée face au SNP propatronal. Toutefois, la campagne du «oui» a réussi à exploiter le mécontentement parmi une section des travailleurs et des jeunes et augmenter le soutien à l’indépendance d’environ 15 pour cent par rapport à 2012. Plus de 2 personnes sur 5 ont voté en faveur de la séparation, alors qu’à Glasgow, la plus grande ville d’Écosse, le «oui» a enregistré une majorité.

Le SNP doit tout aux forces de la fausse gauche – le Parti socialiste écossais (SSP), Tommy Sheridan, le Parti socialiste des travailleurs (SWP) et la Campagne pour une indépendance radicale. Leur rôle a été de cacher les intérêts politiques et sociaux réactionnaires derrière l’indépendance de l’Écosse et de la dépeindre sous des couleurs pseudo-socialistes. À cette fin, ils ont agi comme fantassins de la campagne du «oui», transformant le SNP comme faisant partie d’un large mouvement pour une Écosse progressiste post-indépendance.

Les tendances de la fausse gauche affirment maintenant que l’augmentation du vote pour le «oui» est la preuve que le nationalisme écossais est associé à la classe ouvrière. Il n’en est rien.

L’immense développement de la production mondialisée et des marchés financiers a fourni l’opportunité à une section de la bourgeoisie régionale d’assurer des relations directes avec les sociétés transnationales et les banques, outrepassant le gouvernement central. De là vient la revendication centrale du SNP pour des réductions dans les impôts des sociétés. Autour de cette faction de la bourgeoisie gravite une couche des classes moyennes formée de fonctionnaires d’État, d’universitaires et de bureaucrates syndicaux qui fournissent une base sociale pour les groupes de la fausse gauche.

Le dirigeant du SSP, Colin Fox, a résumé l’avenir de l’organisation, affirmant que le résultat n’était qu’une «indépendance différée». Ils envisagent la possibilité de former un nouveau parti de «gauche» en Écosse, c.-à-d. nationaliste, qui pourrait inclure des sections du Parti travailliste et du SNP.

Le vote contre l’indépendance n’a en rien diminué les dangers qu’affronte la classe ouvrière à travers la Grande-Bretagne. Il y a de profondes divisions au sein de l’élite sur essentiellement toutes les questions. Loin d’ouvrir une période de «réconciliation», une lutte amère se développera sur tous les fronts durant les prochains mois.

Au lendemain de leur défaite, le SNP et ses alliés demandent le plus de concessions possible de la part de Westminster dans une lutte pour le contrôle des ressources vitales, comme les taxes sur le pétrole de la mer du Nord, grâce auxquelles ils espèrent devenir personnellement très riches.

Pour sa part, le premier ministre David Cameron a utilisé les résultats pour affirmer que l’Écosse a pu s’exprimer et que c’est maintenant le temps d’écouter les «millions de voix d’Angleterre». Tout en garantissant que la promesse des trois partis pour donner plus de pouvoirs au Parlement écossais serait «honorée en entier», il a juré que «les lois anglaises allaient être votées par les Anglais» – c’est-à-dire qu’il allait mettre un terme au droit des députés écossais et du Pays de Galles de voter sur certaines questions qui sont maintenant adressées directement au parlement d’Écosse et à l’assemblée du Pays de Galles.

Présentées par le Parti travailliste comme une alternative à un «gouvernement autonome» pour l’Écosse, les mesures qui visent à étendre les pouvoirs du parlement écossais incluent un engagement à élargir les compétences en matière de taxation et la gestion de certains programmes sociaux à Holyrood. L’annonce de Cameron montre clairement que ces mesures vont en fait être utilisées pour encourager la compétition régionale et nationale partout. Un commentateur a dit que la «bête endormie du nationalisme anglais» avait été réveillée.

En plus, Cameron espère paralyser de manière permanente le Parti travailliste en empêchant les députés écossais et du Pays de Galles, sur lesquels les travaillistes s’appuient, de voter sur des questions anglaises. Cela a amené le chef des travaillistes, Ed Miliband, à rejeter les propositions de Cameron.

Peu importe ce qui ressortira du conflit fratricide dans les cercles dirigeants, la facture sera payée par les travailleurs, qui seront dressés les uns contre les autres dans une course vers le bas pour les emplois, les salaires et les conditions sociales.

La campagne référendaire doit être vue comme un sérieux avertissement. Sans une réorientation de la classe ouvrière vers le socialisme, la crise de plus en plus grande du capitalisme britannique et mondial va prendre des formes réactionnaires, surtout dans l’attisement délibéré de divisions nationales.

Le Parti de l’égalité socialiste est la seule tendance qui a présenté une alternative politique. Nous avons appelé à un «non» lors du référendum, un «non» axé sur l’unité des travailleurs contre toutes les sections de la bourgeoisie dans la lutte pour une Grande-Bretagne socialiste.

Nous avons maintenu que le nationalisme alimenté par le SNP et la fausse gauche renforcerait des tendances similaires en Europe et internationalement. En opposition à la balkanisation du continent, c’est-à-dire la création d’une série de mini-États et de cantons ethniques, le PES a défendu l’idée qu’il fallait lutter pour les États Unis socialistes d’Europe.

Au cours de notre campagne, nous avons vendu plus de 10.000 exemplaires de notre déclaration «Vote No in the Scottish referendum—Fight for a Socialist Britain» et nous avons discuté avec des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes. Beaucoup étaient soulagés de rencontrer des socialistes opposés au nationalisme et défendant l’unité de la classe ouvrière.

Notre intervention s’est concentrée sur la lutte contre les mensonges et les déformations de la réalité provenant des groupes de la pseudo-gauche. Nous avons expliqué que l’éclatement possible de la Grande-Bretagne trouvait ses origines dans la crise de plus en plus profonde du capitalisme mondial et dans la division archaïque de la planète en États nations antagonistes. Nous avons exhorté la classe ouvrière à adopter un nouveau programme et une nouvelle direction socialiste et internationaliste.

Dans la prochaine période, cette offensive politique doit être intensifiée et elle le sera, non seulement en Grande-Bretagne, mais à travers une lutte unifiée de nos camarades en Europe et internationalement.

(Article paru d’abord en anglais le 20 septembre 2014)

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