Perspectives

La légitimation de Marine Le Pen

La campagne internationale menée pour légitimer la politique fasciste du Front National (FN) a atteint un stade nouveau avec la publication lundi, dans le New York Times, d’un article d’opinion de la dirigeante de ce parti, Marine Le Pen, sur la fusillade à Charlie Hebdo.

En ouvrant ses colonnes à Le Pen, le Times, pilier branlant du libéralisme américain, indique que des segments influents de la classe dirigeante américaine considèrent que les idées du FN doivent faire partie du débat public et le déterminer. Ce journal a franchi une étape supplémentaire en incluant à l’article une traduction française pour assurer une diffusion aussi large que possible en France.

L’élévation de Le Pen fait partie d’une tentative plus générale des élites dirigeantes de jouer la carte ethnique antimusulmane face à une opposition farouche aux interventions impérialistes au Moyen-Orient et à la réaction sociale sur le plan intérieur. On a proclamé que les caricatures antimusulmanes publiées par Charlie Hebdo étaient des symboles de démocratie et on présente maintenant Le Pen comme son sauveur.

Les arguments chauvins avancés par Le Pen dans le Times (sous le titre « Bien nommer la menace ») sont largement tirés de l’arsenal politique de la « guerre contre le terrorisme » des Etats-Unis. La France, « patrie des droits de l’homme et des libertés, a été attaquée sur son sol par une idéologie totalitaire : le fondamentalisme islamiste, » écrit-elle.

Elle appelle ensuite à se débarrasser de fait de la liberté et des droits de l’homme pour conduire une guerre politique contre une population musulmane de cinq millions de personnes; elle propose « une politique de restriction migratoire », de nouvelles mesures pour priver les gens de leur citoyenneté et de « lutter contre le repli communautaire et le développement de revendications de mode de vie spécifique… en contradiction » avec les traditions françaises.

Le Times fournit une plateforme politique à Le Pen mais ne se donne pas la peine d’informer ses lecteurs de ses origines politiques. Le FN fut constitué en 1972 par d’anciens partisans de Vichy, le régime de collaboration avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale et par des défenseurs du régime colonial français en Algérie. Il est notoire pour son racisme antimusulman et antisémite, son nationalisme virulent et ses attaques violentes contre ses adversaires politiques.

Pour justifier sa décision de publier cet article, la rédaction du Times prétendra peut-être que le Pen ne peut être ignorée, que cela plaise ou non. Le Times et ses apologistes affirmeront probablement qu’en lui fournissant une plateforme, on lui fournira l’occasion de se démasquer elle-même.

Cela n’a pas de sens. Le Pen est délibérément légitimée par le Times, tout comme le président François Hollande a rehaussé sa stature et celle du FN en l’invitant au palais de l’Elysée peu après l’attentat contre Charlie Hebdo.

L’élévation de Le Pen fait partie de la promotion plus générale d’organisations fascisantes et d’extrême-droite sur le plan international. L’année dernière, les Etats-Unis et l’Allemagne ont collaboré avec Secteur droit et Svoboda – des organisations qui vénèrent les collaborateurs nazis de l’Ukraine durant la Seconde Guerre mondiale – dans le but de renverser le gouvernement pro-russe de Viktor Ianoukovitch. Cette opération fut présentée dans l’ensemble de l’establishment politique comme un mouvement pour la démocratie.

En Allemagne, la classe dirigeante s’apprête à supprimer toutes les entraves imposées au militarisme allemand après la Seconde Guerre mondiale et s’efforce donc de minimiser et de justifier les crimes du passé. Jörg Baberowski, un historien influent de l’université Humboldt de Berlin, a récemment soutenu qu’« Hitler n’était pas cruel, » et comparé favorablement ses actions par rapport à ceux de Staline et de la direction soviétique.

Dans un récent discours, la chancelière Angela Merkel a dit que les chrétiens devaient « renforcer leur identité » et « parler davantage et avec plus d’assurance de leurs valeurs chrétiennes » – l’encouragement d’un sentiment antimusulman destiné à promouvoir et à légitimer l’agitation raciste du mouvement droitier Pegida en Allemagne.

Pour des secteurs croissants de l’aristocratie patronale et financière, la voix des néofascistes doit être entendue. Parallèlement à la parution de son article dans le Times, Le Pen était présentée de façon élogieuse dans une interview au Wall Street Journal. Laissant voir les calculs de la classe dirigeante, le Journal raisonne que, « jadis une marginale politique, Mme Le Pen a gagné en importance au fur et à mesure que les problèmes – une économie moribonde et une population musulmane non assimilée – sont devenus plus aigus et apparemment insurmontables pour la classe politique traditionnelle en France. »

Le Wall Street Journal parle ici du fait que dans les conditions d’une crise économique prolongée, l’establishment politique est profondément discrédité en France et internationalement. Afin de générer du soutien pour son règne, l’élite financière cherche à mobiliser une partie de la petite bourgeoisie sur la base d’un nationalisme extrême. Dans le même temps, les partis d’extrême-droite profitent de la faillite de la « gauche » pour se présenter comme une force d’opposition.

La logique des événements suit des voies déjà empruntées par le passé. La politique assume de plus en plus son caractère des années 1930 où les élites dirigeantes de l’Europe se sont tournées vers les partis et les forces fascistes pour défendre leur domination. Aujourd’hui, la promotion de gens comme Le Pen fait partie d’une volonté plus générale d’utiliser le racisme antimusulman comme élément essentiel des opérations impérialistes menées à l’étranger et du vaste assaut contre les droits démocratiques à l’intérieur. Les classes dirigeantes de France, des Etats-Unis, d’Allemagne, de Grande-Bretagne et des autres principaux pouvoirs impérialistes sont en train de lancer et de tramer de nouvelles guerres au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Sur le plan intérieur, la classe dirigeante est de plus en plus inquiète de la montée de l’opposition sociale dans la classe ouvrière. Cette semaine, alors que les milliardaires se réunissent à Davos pour leur forum économique annuel, est paru un rapport montrant que d’ici 2016, le un pour cent le plus riche de la population mondiale possédera plus que les 99 pour cent restants. Les 80 individus les plus riches possèdent autant de richesse que la moitié des habitants les plus pauvres de la planète (environ 3,5 milliards de gens.) De telles conditions sont insoutenables. Une opposition sociale de masse est inévitable.

En même temps qu’elle mène une campagne brutale contre la population immigrée, la classe dirigeante promeut et légitime les mouvements fascistes et chauvins dans le but de les déchaîner contre la classe ouvrière tout entière. La leçon fondamentale de l’expérience des années 1930 est que la lutte contre le fascisme doit être menée comme une lutte contre le système capitaliste et tous ses représentants politiques.

(Article original paru le 20 janvier 2015)

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