Le syndicat des Teamsters utilise les menaces du gouvernement pour étouffer la grève au Canadien Pacifique

Les dirigeants syndicaux de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) ont capitulé devant la menace d’une loi spéciale brandie par le gouvernement conservateur et ont ordonné la fin de la grève des 3300 conducteurs de locomotive, chefs de train, agents de train et agents de triage lundi après-midi, à peine 36 heures après son déclenchement.

Selon une entente sanctionnée par la ministre du Travail Kellie Leitch, qui a dénoncé la grève avec véhémence le jour précédent, les Teamsters et le CP ont convenu d'accepter un processus de médiation et d'arbitrage pour aborder tous les enjeux non résolus dans la convention collective échue depuis décembre, éliminant ainsi toute menace de nouveaux moyens de pression. Toutes les questions cruciales concernant les horaires de travail, la sécurité ferroviaire, les pauses, les jours de repos et d’autres éléments seront maintenant soumis à la médiation et, si aucune entente ne survient, à l’arbitrage exécutoire.

Dimanche, le président du CFTC, Douglas Finnison, a répondu à l’annonce du gouvernement qu’il imposerait une loi d’exception lundi pour criminaliser la grève par le discours typique employé par la bureaucratie syndicale à travers le monde. Il a déclaré : «Les actions préventives du gouvernement visant à faire taire les travailleurs, miner le droit des travailleurs de négocier collectivement leurs propres conditions de travail et d’avantager l’employeur… sont un signal d’alarme pour les travailleurs canadiens.» Finnison a ensuite promis que «ne pas lutter n’est tout simplement pas une option que les Teamsters sont prêts à accepter. Si cela rend le gouvernement ou ses amis du milieu des affaires inconfortables, tant pis!»

Lundi, cependant, le syndicat se soumettait aux volontés des conservateurs et mettait fin à la grève sans même que ceux-ci aient à faire adopter au parlement une loi de retour au travail.

Le syndicat des Teamsters n’avait absolument aucune intention de s’opposer à l’attaque antidémocratique du gouvernement et encore moins aux horaires de travail éreintants et non sécuritaires que le CP a exigés afin d’accroître ses profits et la valeur de ses actions.

Dès le départ, il était évident que les cheminots du CP faisaient face non seulement à leur employeur – la deuxième plus importante compagnie ferroviaire au Canada –, mais aussi au gouvernement conservateur de Stephen Harper, lequel a criminalisé des grèves à maintes reprises. Malgré cela, le syndicat a fait tout ce qui était en son pouvoir pour démobiliser les travailleurs et confiner leur lutte au plus étroit cadre de négociation.

En 2012, le gouvernement Harper s’est rapidement porté au secours du CP pour rendre illégale une grève des conducteurs de locomotive et des chefs de train. Les Teamsters avaient immédiatement ordonné aux travailleurs de se conformer aux demandes patronales.

Trois ans plus tard, les mêmes litiges par rapport aux heures supplémentaires obligatoires et au manque de journées de repos demeurent sur la table, alors que le CP a eu le champ libre au cours de la dernière convention collective de trois ans qui vient d’arriver à échéance.

Au cours de la fin de semaine, le CFTC avait déjà conclu une entente avec le Canadien National (CN), l’autre grande compagnie ferroviaire canadienne, écartant ainsi toute lutte commune contre les deux géants ferroviaires. Dans le but de diviser davantage les deux groupes de travailleurs, les Teamsters ont collaboré avec la direction afin de retarder jusqu’à la mi-avril l’annonce des termes de leur entente avec le CN ainsi que le vote de ratification du contrat.

Les bureaucrates d’Unifor, qui représente 1800 préposés à l’entretien des voies du CP, se sont aussi efforcés d’isoler les chefs de train et les conducteurs du CP. Bien qu’il fût légal pour eux de déclencher une grève aux côtés des conducteurs et des agents de train, Unifor a ordonné à ses membres de demeurer au travail après avoir négocié séparément une entente avec le CP tard dans la nuit de samedi.

Quant au Conseil du travail du Canada, supposément la principale organisation syndicale du pays, il n’a même pas publié de communiqué de presse dénonçant le gouvernement pour avoir criminalisé la grève d’un de ses syndicats affiliés.

Pour sa part, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a publié une déclaration lundi matin qui faisait état d’évidences – la tendance du gouvernement à criminaliser les grèves joue en faveur des négociateurs de la partie patronale. Mais le NPD a laissé entendre que rien ne pouvait être fait face à un gouvernement conservateur majoritaire.

La réalité est que tant les syndicats procapitalistes que les politiciens néo-démocrates sont opposés à ce que les travailleurs défient la série de législations antisyndicales des conservateurs. Ils craignent avec raison qu’une telle lutte puisse devenir le catalyseur d’une offensive de la classe ouvrière contre l’assaut patronal sur les salaires, les conditions de travail et les services publics, et puisse miner la profitabilité et la «compétitivité» des entreprises canadiennes.

Les événements de lundi ne sont que les plus récents de toute une série où les syndicats ont utilisé l’application ou la menace imminente d’une loi antigrève pour justifier leurs propres actions visant à étouffer toutes luttes militantes.

À la longue liste de grèves que le gouvernement Harper a criminalisées ou menacé de rendre illégales au cours des quatre dernières années – y compris à Postes Canada, Air Canada et CN Rail – s’ajoutent les nombreuses mesures prises par les gouvernements provinciaux pour criminaliser les moyens de pression des travailleurs. Au Québec, le gouvernement du Parti québécois, avec le soutien complet des libéraux, l’opposition officielle à l’époque, a rendu illégale une grève de 80.000 travailleurs de la construction à l’été 2013. En Ontario, plus tôt la même année, le gouvernement libéral (qui avait alors l’appui du NPD) a criminalisé les moyens de pression des enseignants des écoles publiques et a imposé des baisses de salaire.

Le gouvernement Harper a aussi retiré le droit de grève à des dizaines de milliers d’employés de la fonction publique à l’aide d’une nouvelle loi sur les services essentiels.

À chaque occasion, les syndicats et le NPD sont rapidement revenus à la routine habituelle avec les employeurs et les gouvernements.

Dans un discours au parlement lundi, la ministre du Travail Kellie Leitch a soutenu qu’il fallait immédiatement mettre un terme à la grève pour empêcher que les entreprises qui dépendant du transport ferroviaire ne subissent de graves conséquences économiques. Mais au même moment où elle faisait ce discours, un train du CN transportant du pétrole brut de l’Alberta était toujours en flammes au nord de l’Ontario, deux jours après avoir déraillé, et bloquait tout le transport ferroviaire est-ouest des deux principales compagnies canadiennes.

Les accidents ferroviaires fréquents montrent à quel point l’industrie ferroviaire est précaire et non sécuritaire: des trains de plus en plus longs et lourds qui transportent des matières volatiles avec des employés surmenés.

La direction du Canadien Pacifique misait manifestement sur le soutien du gouvernement Harper dans les négociations. La compagnie est reconnue pour ses mesures de réduction des coûts. Une récente étude a révélé qu’il y avait eu une augmentation de 39% des blessures et une hausse marquée de 25% des accidents de trains depuis que le gouvernement a mis un terme à la grève de 2012.

Plus tôt cette même année, le fonds spéculatif Pershing Square Capitol Management prenait le contrôle de la compagnie. Sous la direction de Bill Ackman, Pershing a remplacé le PDG par E. Hunter Harrison, un dirigeant de compagnie de chemins de fer reconnu pour ses coupures et sa quête du «rendement» dans le but de faire augmenter rapidement la valeur des actions. Peu de temps après l’arrivée de Harrison, on annonça la mise à pied de 1700 travailleurs, et jusqu’à 2016, 4500 emplois devaient être supprimés. À l’annonce de ces mises à pied, les actions du CP ont atteint des valeurs records.

Harrison avait dirigé auparavant le Canadien National. Il s’était fait connaître pour l’utilisation de trains plus lourds et plus longs dans le but de diminuer le nombre d’employés. Cette pratique a causé plusieurs déraillements et déversements de produits chimiques dans les cours d’eau en Colombie-Britannique et ailleurs. Les trains ont été allongés et leur nombre diminué pour réduire le personnel. Le nombre d’employés en gare et en triage a été réduit et plusieurs gares de triage ont été fermées. Les investissements de capitaux pour améliorer les voies, la signalisation et les équipements ont eux aussi été réduits.

Le gouvernement et l’«opposition» au parlement qui déciment les emplois ainsi que les conditions de vie et de travail pour faire augmenter les profits des sociétés peuvent toujours compter sur le soutien des syndicats pour mener ces attaques. Pour les syndicats, aucun mensonge n’est trop gros pour leurs membres, aucune manœuvre pour diviser les travailleurs n’est trop difficile et aucune trahison n’est trop scandaleuse.

Les travailleurs doivent tirer les leçons de cette dernière trahison. Les syndicats d’aujourd’hui sont des organisations propatronales dévouées à la cause du commerce capitaliste aux dépens des conditions de vie de leurs membres.

Les travailleurs doivent prendre eux-mêmes la direction de leurs propres luttes en formant des comités de la base, indépendants des syndicats, pour défendre leurs revendications. Surtout, il est essentiel de saisir les questions politiques fondamentales qui sont en jeu: pour défendre leurs intérêts, les travailleurs doivent viser la prise du pouvoir politique dans le but de réorganiser la société internationalement selon des principes socialistes.

(Article paru d’abord en anglais le 17 février 2015)

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