Pendant que Washington mène des pourparlers avec l'Iran, la France discute d'un rapprochement avec le président de la Syrie

Une délégation non officielle de quatre parlementaires français s'est rendue à Damas le mois dernier et a rencontré le président syrien Bachar Al-Assad le 25 février. Au même moment, des pourparlers conduits par les Etats-Unis à Genève s'acheminent vers une éventuelle normalisation des relations entre Washington et l'Iran, principal allié régional de la Syrie. 

Les délégués étaient le socialiste Gérard Bapt et les conservateurs Pierre Vial, François Zocchetto et Jacques Myard, tous membres du groupe parlementaire Amitié France-Syrie que préside Bapt. 

Cette visite a provoqué un certain embarras au sein de l'élite dirigeante française. Paris avait rompu ses relations diplomatiques avec le régime du président Bachar Al-Assad en 2012 et avait même reconnu comme gouvernement de la Syrie le groupe Coalition nationale syrienne (CNS), qui s'est depuis effondré. La France avait oeuvré énergiquement pour une guerre contre la Syrie en 2013, mais avait dû reculer quand le gouvernement Obama avait décidé de ne pas partir en guerre. Cependant, au moment où les relations américaines avec l'Iran sont en pleine évolution et où Washington cherche à rassembler une coalition de forces par procuration contre les milices du groupe Etat islamique (EI), Paris envisage la possibilité de sortir Assad de son isolement. 

En conformité avec la propagande qui a prédominé jusqu'à présent, le président François Hollande et le premier ministre Manuel Valls ont cyniquement critiqué les quatre parlementaires pour avoir traité avec un «dictateur» et «boucher» de son propre peuple. Bien entendu, cette posture humanitaire hypocrite n'a pas empêché Paris de vendre des dizaines de chasseurs Rafale le mois dernier au président Abdel Fattah El-Sisi d'Egypte, dont le régime a perpétré des massacres de masse d'Egyptiens dans les rues. 

Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a annoncé le 26 février que Bapt serait sanctionné pour son initiative diplomatique en Syrie. 

Cependant Paul Quilès, ministre de la Défense sous le président PS François Mitterrand (1981-1995), a pris la défense de la délégation dans Le Figaro, qualifiant ces critiques d'«excessives» et «injustes». Des députés du parti droitier Union pour un mouvement populaire (UMP) ont également défendu son initiative.

Une fraction jusqu'ici inaudible qui prône la collaboration avec Assad est sortie de l'ombre. Le Monde du 27 février a qualifié les forces qui veulent un changement de politique de «coalition hétéroclite qui va de l’extrême droite (Front national) à la gauche radicale (Front de gauche), en passant par le lobby pro-russe, les pro-iraniens (dont des proches de Michel Rocard), les catholiques traditionalistes (...) et certains lobbyistes d’affaires, notamment dans le pétrole et l’armement.» 

Le débat parmi les cercles impérialistes sur la façon de procéder témoigne de la catastrophe déclenchée au Moyen-Orient par les guerres par procuration de l'OTAN contre la Libye et la Syrie, menées par les insurgés islamistes et soutenues par des groupes de la pseudo-gauche tel le Nouveau Parti anticapitaliste français.

La société syrienne a été laminée par une brutale guerre impérialiste par procuration, en vue d'un changement de régime, justifiée par la diabolisation du régime Assad. Plus de 200.000 Syriens ont été tués; et plus de 10 millions de personnes déplacées, dont au moins 3,3 millions de réfugiés syriens sont passés à l'étranger et 7,2 millions ont été déplacés à l'intérieur de la Syrie elle-même, selon les chiffres des Nations unies. 

Le rapprochement avec Assad des puissances impérialistes, confrontées à l'émergence du groupe EI suite au chaos provoqué dans la région par leur guerre, indique clairement que leurs guerres visant à dominer cette région riche en pétrole ont été vendues sur la base de mensonges et d'hypocrisie. 

Laurent Fabius et Philip Hammond, respectivement ministres français et britannique des Affaires étrangères, ont essayé de maintenir l'ancienne ligne dans une déclaration commune publiée dans Le Monde le 27 février. Ils ont rejeté la «démarche d'auto-réhabilitation» d'Assad qui essaie «de profiter de l'effroi provoqué par les extrémistes». 

Néanmoins, Fabius et Hammond ont suggéré que certains éléments du régime d'Assad continueraient à jouer un rôle en Syrie. Ils prévoient une alliance avec «les différentes parties syriennes conduisant à un gouvernement d'unité» qui «devraient réunir certaines des structures du régime existant, la Coalition nationale et d'autres composantes qui ont de la Syrie une vision modérée ...» 

Dans Le Figaro, Quilès a souligné la vigueur persistante du régime d'Assad, qui «dispose donc encore d'un soutien significatif, non seulement parmi les minorités, notamment alaouites, mais aussi parmi une fraction des sunnites, majoritaires». 

Quilès a brossé un tableau dévastateur des conséquences de la guerre par procuration de l'OTAN en Syrie: «La Coalition nationale syrienne soutenue par l'Occident semble subir l'influence des Frères musulmans. L'Armée syrienne libre, à l'origine composante essentielle de l'insurrection, est divisée, en désaccord avec la Coalition nationale et militairement très affaiblie.» 

Il a attaqué l'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie, supposés alliés, pour leur attitude «complaisante à l'égard du Front Al-Nosra et même de l'organisation de l'État islamique (…) Aujourd'hui, la chute d'Assad sans transition organisée conduirait à une situation de type libyen, à l'effondrement de l'État, au chaos, puis à la déstabilisation du Liban et sans doute aussi de la Jordanie.» 

Réclamant de nouveaux pourparlers à Genève et de meilleures relations avec la Syrie et l'Iran, Quilès a vivement recommandé une initiative de la France afin de contribuer à changer la politique américaine: «N'attendons pas que, pour les besoins de leur politique iranienne, les États-Unis décident seuls de faire un pas vers le régime syrien.» Il a proposé à la place une offensive conjointe immédiate contre le groupe EI. 

Il a également fait remarquer que Washington et Paris collaborent déjà avec Assad. Les services du renseignement français ont rencontré leurs homologues en Syrie en 2013 «pour obtenir des renseignements nécessaires à la lutte contre le terrorisme», et des avions américains frappant des positions du groupe EI «partagent le ciel avec les forces d'Assad». 

Dans l'esprit de l'adage impérialiste «Nous n'avons pas d'alliés permanents, seulement des intérêts permanents», l'ancien ministre de la guerre de Mitterrand soutient que la France ne renonce pas, à plus long terme, à l'objectif d'un changement de régime contre Assad en Syrie et au-delà. «Il ne s'agit pas de s'accommoder du maintien au pouvoir d'Assad, et encore moins d'oublier ses crimes. Mais il faut mener une politique qui réponde à la réalité et à l'urgence de la situation, qui est alarmante.», a-t-il dit. 

(Article original publié le 9 mars 2015)

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