Brésil: la crise de Petrobras s'intensifie avec l'arrestation du trésorier du Parti des travailleurs

Par Bill Van Auken
4 mai 2015

L'arrestation mercredi 15 avril de Joao Vaccari Neto, trésorier du Parti des travailleurs (PT, Partido dos Trabalhadores) au pouvoir, dans le cadre du scandale de corruption qui secoue le géant pétrolier public brésilien Petrobras, représente une sérieuse escalade dans la crise politique du pays.

Avec cette arrestation, décrite par le PT comme « inutile et injustifiée », l'enquête de la police fédérale, dénommée « Lava Jato » (lavage auto), a atteint les plus hauts échelons du parti au pouvoir. Elle rapproche un peu plus encore le scandale de la présidente brésilienne Dilma Roussef, du Parti des travailleurs.

Vaccari et les autres personnes impliquées dans ce scandale sont poursuivis pour avoir supervisé un système de corruption dans lequel des compagnies qui signaient des contrats avec Petrobras pouvaient surfacturer leurs prestations en échange de pots-de-vin versés à des dirigeants de la compagnie ainsi qu'au PT et à d'autres partis politiques.

D'après les propres estimations de la compagnie, ces opérations de corruption lui ont coûté 1,9 milliard de dollars, soit 3 pour cent de tous ses avoirs.

Roussef elle-même a dirigé Petrobras de 2003 à 2010, lorsque ces pots-de-vin ont été versés. Si aucune preuve n'a été présentée qui pourrait l'impliquer dans ce scandale, ses opposants de droite insistent pour dire qu'elle devait savoir se qui se passait.

Vaccari est une figure emblématique du PT. Comme Luiz Inacio Lula da Silva, le fondateur du parti et premier président du Brésil issu du PT, il a débuté comme militant syndical, grimpé les échelons jusqu’à la direction du syndicat des employés de banque et jusqu’au sommet de la fédération syndicale affiliée au PT, la CUT. Il est ensuite passé de la fonction de syndicaliste des employés de banque à celui de dirigeant de banque.

Vaccari est également poursuivi pour détournement de fonds, blanchiment d'argent et d’autres infractions du temps où il était président de la Bancoop, une banque coopérative du secteur immobilier. Il aurait détourné plus de 20 millions de dollars appartenant aux investisseurs vers des caisses noires du PT pour financer des campagnes électorales.

Le trésorier du PT n'est qu'un parmi quarante politiciens dont les présidents des deux chambres du Parlement, à faire l'objet d'une enquête dans le cadre du scandale Petrobras. Des dirigeants des principales firmes de construction brésiliennes sont également en détention préventive; certaines de ces firmes ont dû se déclarer en banqueroute à la suite de ce scandale.

Vaccari a insisté pour dire qu'il n'aurait enfreint aucune loi sur le financement des campagnes électorales et des dirigeants du PT ont affirmé que son arrestation était politiquement motivée et destinée à donner des arguments à ceux qui veulent déclencher une procédure de destitution contre Roussef. De telles demandes ont été élévées lors de manifestations de masse de la droite qui ont fait descendre plus d'un million de manifestants, principalement des classes moyennes, dans les rues le mois dernier, et nettement moins dans une deuxième série de manifestations, dimanche dernier.

Dans un entretien accordé à des médias pro-gouvernementaux, Rousseff a condamné ce qu'elle a qualifié de « McCarthysme » et de « politique préméditée de criminalisation du PT. » En même temps, cependant, elle insiste sur le fait que son gouvernement n’est pas constitué du seul PT, qu’il est une coalition et que ce n'est pas son « boulot de résoudre les problèmes du PT. »

Après l'arrestation de Vaccari, le PT a annoncé qu'il avait accepté sa démission du poste de trésorier du parti et les assistants de Rousseff ont insisté pour dire qu'il n'était pas en charge du financement de sa campagne. Le quotidien Folha de Sao Paulo a cité un conseiller anonyme de Rousseff disant que « l'opinion personnelle de la présidente était que Vaccari aurait dû proposer sa démission du poste de trésorier, mais elle n'a fait peser aucune pression considérant que c'était une affaire interne au parti. »

Ces tentatives de mettre une distance entre Rousseff et le scandale n'ont fait qu'encourager ses oppsosants de droite. Aecio Neves, candidat du PDSB (Parti social-démocrate brésilien) qu'elle avait battu de peu lors du second tour des élections d'octobre dernier, a rencontré les dirigeants des groupes de droite financés par la grande entreprise qui avaient organisé les manifestations anti-gouvernement et a annoncé que son parti réfléchissait à la faisabilité d'une campagne de destitution.

Les fulminations de ces éléments contre la « corruption » sont cyniques et hypocrites. Ils ont tous été impliqués soit dans le scandal actuel à Petrobras soit dans d'autres affaires, comme le scandale « metro cartel » de Sao Paulo, où les politiciens du PDSB supervisaient le même genre d'opérations de pots-de-vin enéchange de contrats.

Si les allégations de corruption contre le PT ont une grande résonance politique, c'est en raison de la duplicité politique du parti au cours de ses près de 13 ans de pouvoir. Il s’est posé en champion de la classe ouvrière tout en menant des politiques taillées sur mesure sur les intérêts du capital étranger et brésilien.

La réponse du gouvernement Rousseff à la crise actuelle a été de se déplacer encore plus vers la droite et à confier des fonctions clés de sa présidence à des personnalités de droite indépendantes du PT.

Ainsi, la politique fiscale a été confiée au ministre des Finances Joaquim Levy, un diplômé de l'Université de Chicago, qui avait des fonctions dirigeantes au Fonds monétaire international et était responsable de la gestion des avoirs de la Banco Bradesco SA, le deuxième groupe bancaire privé du Brésil. Il a mis en place des coupes dans les allocations chômage et d’autres prestations et des coupes budgétaires visant à transférer des milliards de dollars de dépenses sociales pour dégager les sommes nécessaires au remboursement des intérêts versés aux spéculateurs de Wall Street.

Pendant ce temps, le Parlement brésilien fait passer des lois qui détruisent le droit du travail qui protège les travailleurs contre l’externalisation. Si celle-ci était jusqu'ici limitée aux fonctions de soutien telles que le nettoyage ou la sécurité, elle sera maintenant permise dans tous les domaines, ce qui entraînera des réductions drastiques des salaires, des aides sociales et des droits.

Si Rousseff a exprimé des réserves sur cette loi et si des secteurs du PT s'y sont opposés, le ministre des Finances Levy aurait lui, soutenu le projet. Manoel Dias, le ministre du Travail de Rousseff aurait affirmé que l’externalisation était une nécéssité et que la loi pourrait être soutenue par le gouvernement avec des changements relativement mineurs.

Rousseff a également désigné son vice-président, Michel Temer, comme son négociateur auprès du Parlement. Temer est le dirigeant du Parti du mouvement démocratique du Brésil (PMDB) dont le soutien est nécessaire pour faire passer le plan d'austérité de Levy. Les parlementaires du PMDB ont voté en grande majorité pour une législation sur l’externalisation.

Dans ces conditions, les manifestations de droite contre Rousseff d'un côté et le soutien accordé à son gouvernement par la bureaucratie syndicale du CUT et les organisations dites « de la société civile » de l'autre, ne servent qu'à dissimuler l'hostilité croissante au sein de la classe ouvrière brésilienne vis-à-vis du PT et de tout le mécanisme politique qui supervise un système d'exploitation capitaliste intense et une inégalité sociale massive.

(Article original paru le 17 Avril 2015)
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