Harper visite l'Irak pour glorifier le rôle du Canada dans la guerre au Moyen-Orient

Dans un voyage sans annonce préalable, le premier ministre Stephen Harper a visité la fin de semaine dernière les troupes des forces spéciales des Forces armées canadiennes (FAC) stationnées au nord de l'Irak et le personnel de la Force aérienne au Koweït.

Harper a utilisé ce voyage pour promouvoir le rôle croissant du Canada dans la nouvelle guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient, et la poussée de son gouvernement pour étendre considérablement les pouvoirs de l'appareil de sécurité nationale au pays – dépeignant faussement ces deux mesures comme des réponses requises au terrorisme islamique.

En réunion avec le premier ministre irakien Haider Al-Abadi et le président de la région autonome kurde Masoud Barzani, Harper a réaffirmé l'engagement du gouvernement conservateur à poursuivre ses opérations militaires continues dans le pays et dans la Syrie voisine.

Harper cherche à présenter cette intervention militaire comme une mission humanitaire visant à protéger la population civile contre l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL). Il a annoncé des sommes modestes totalisant quelque 160 millions de dollars pour aider à la reconstruction en Irak et soutenir d'autres pays du Moyen-Orient aux prises avec un afflux massif de réfugiés syriens.

Commentant son voyage, Harper a dit: «Le plus important, c'est que je suis arrivé à transmettre personnellement mes remerciements aux troupes canadiennes pour leur aide à protéger nos citoyens ainsi que les enfants, les femmes et les hommes innocents de la région contre les actes barbares de l'État islamique.»

En réalité, la guerre est une sale entreprise impérialiste découlant de la série de guerres que les États-Unis ont lancée depuis 2003 pour maintenir leur domination stratégique sur la plus importante région productrice de pétrole du monde. Alors que l'État islamique sert de prétexte pour le retour des troupes des États-Unis et d'autres puissances occidentales en Irak, le but ultime de Washington et de ses alliés du Moyen-Orient, comme l'Arabie saoudite et la Turquie, est le remplacement du régime Assad à Damas, proche allié de l'Iran et de la Russie, par un gouvernement plus accommodant aux intérêts américains.

En ligne avec son appui sans réserve à l'agression américaine impérialiste dans le monde entier, le Canada a déployé 69 militaires des Forces spéciales pour entrainer et conseiller les combattants kurdes dans le nord de l'Irak, six avions de combat CF-18, deux avions de surveillance et un avion avitailleur, le tout soutenu par quelque 600 membres des FAC, pour aider aux missions de bombardement de la coalition.

À la fin de mars, le gouvernement a prolongé la mission militaire du Canada au Moyen-Orient jusqu'en avril 2016 et a autorisé les FAC à participer à la campagne de bombardement en Syrie, faisant du Canada le seul des alliés occidentaux des États-Unis à attaquer la Syrie. Bombarder la Syrie est une violation flagrante du droit international et équivaut à une déclaration de guerre contre le gouvernement de ce pays.

À ce jour, les avions des FAC ont effectué plus de 800 sorties sur l'Irak et la Syrie, plus de 500 étant des missions de bombardement menées par les CF-18.

Au début, il a été affirmé que les troupes au sol en Irak n'étaient pas engagées dans une mission de combat, se limitant à entrainer et à conseiller simplement les miliciens kurdes derrière la ligne de front. Mais en quelques mois, il a été révélé que les troupes canadiennes se rendaient régulièrement au front pour diriger des attaques contre des positions de l'État islamique et demander des frappes aériennes par les avions de la coalition. En janvier, l'armée canadienne a reconnu que les troupes des Forces spéciales étaient au front près de 20 % du temps.

Cette question a été soulevée lors de la visite de Harper en raison de la mort en mars du sergent Andrew Doiron à la suite d'une confusion avec les forces kurdes. Doiron et un groupe de soldats canadiens auraient été pris pour des combattants de l'État islamique par un poste de première ligne kurde, entrainant une fusillade mortelle.

Avec les enquêtes qui se poursuivent, Harper a tenté de minimiser l'importance de la tragédie, tout en couvrant le véritable caractère des opérations de l'Armée canadienne dans la région. «Écoutez, ce fut une terrible tragédie. Nous allons obtenir les faits, mais que cela n'obscurcisse pas, franchement, le respect que je pense que nous devrions avoir pour les combattants kurdes dans la région», a déclaré Harper.

Le refus du premier ministre du Canada de répartir le blâme pour cette tragédie fait partie des tentatives en cours pour aplanir les tensions entre les forces canadiennes et kurdes qui, dans le sillage immédiat de la fusillade mortelle, ont offert des comptes-rendus différents des circonstances entourant la tragédie.

La participation du Canada dans la dernière guerre au Moyen-Orient est motivée par des considérations économiques ainsi que géopolitiques. Au cours des dernières années, l'Irak est devenu un partenaire commercial majeur pour le Canada, avec des échanges bilatéraux en 2012 totalisant plus de 4 milliards de dollars, ce qui fait du pays l'un des plus importants partenaires commerciaux du Canada au Moyen-Orient. En outre, l'Irak est considéré comme offrant d'importantes opportunités de croissance pour les sociétés pétrolières et d'infrastructures canadiennes.

En reconnaissance de cela, le gouvernement conservateur a nommé l'an dernier l'Irak comme l'un des «partenaires en développement» du Canada. Cette désignation permet à Bagdad de recevoir une aide financière supplémentaire ainsi que d'autres formes de soutien du gouvernement canadien.

La région kurde est l'une des parties les plus lucratives du pays pour les investissements canadiens. Plusieurs sociétés pétrolières et autres entreprises ont des opérations là-bas et le gouvernement Harper a ouvert l'an dernier un bureau commercial à Erbil, la capitale régionale. Ce bureau est responsable de l'expansion des investissements canadiens en Irak et a été promu à l'époque par le gouvernement comme nécessaire du fait que l'économie irakienne enregistrait l'une des croissances les plus rapides dans le monde.

À Erbil, Harper a pris le temps de visiter le bureau de Melwood Geometrix, une entreprise de Montréal spécialisée dans le béton préfabriqué.

Les commentateurs des médias ont noté le caractère électoraliste de cette visite, tout comme lors de beaucoup d'autres apparitions de Harper en Irak et au Koweït. Sa rencontre avec le gestionnaire local de Melwood Geometrix a eu lieu devant les caméras et après les salutations, Harper a reçu un chandail de hockey des Canadiens de Montréal.

Lors de son passage au Koweït, Harper a cultivé l'image d'un premier ministre en guerre avec des appels au nationalisme et au militarisme canadiens. Un article sur le site IPolitics décrit comme suit la scène où Harper s'est adressé au personnel de la Force aérienne au Koweït: «En face de lui, en tenue de combat, se tenaient les pilotes et les équipes de soutien déployés pour la mission canadienne contre l'État islamique d'Irak et du Levant. Derrière lui, deux CF-18 étaient garés en diagonale, avec au centre un gigantesque drapeau canadien.»

Bien qu'il reste difficile de savoir si les conservateurs vont déclencher des élections anticipées, il ne fait aucun doute que peu importe si le vote a lieu ce printemps ou en octobre prochain, ils vont monter une campagne ultradroitiste, fouetter le nationalisme canadien belliqueux et faire appel au sentiment antimusulman.

Harper a déjà signifié son intention de dépeindre les partis d'opposition comme étant «mous» sur la question du terrorisme parce qu'ils n'ont pas pleinement approuvé la mission de combat des FAC au Moyen-Orient. Il a également dit que si ceux-ci étaient élus, ils modifieraient le projet de loi C-51 des conservateurs qui donne de nouveaux pouvoirs étendus à l'appareil de sécurité nationale. Ces nouveaux pouvoirs autoriseraient notamment le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à enfreindre pratiquement n'importe quelle loi pour perturber ce qu'il juge comme une menace à la sécurité nationale et économique du Canada ou son intégrité territoriale, et donneraient le libre accès aux organismes d'État à toutes les informations du gouvernement sur des personnes nommées dans les enquêtes de sécurité nationale. 

Dans sa tournée en rafale du Moyen-Orient, Harper en a profité pour promouvoir le projet de loi C-51 en disant: «Nous travaillons pour donner à nos organismes de sécurité l'ensemble des outils modernes nécessaires pour identifier les terroristes et déjouer leurs plans, y compris une plus grande capacité pour endiguer le recrutement et le flux de combattants au pays.»

Dans les heures qui ont suivi le départ de Harper du Moyen-Orient, un long exposé paru dans le quotidien La Presse de Montréal faisait la lumière sur le véritable caractère néocolonial de la liste toujours croissante des interventions étrangères de l'Armée canadienne. La presse a révélé que sur une période de deux mois, entre décembre 2010 et janvier 2011, la police militaire des FAC a maltraité physiquement et torturé psychologiquement 40 détenus afghans pour les forcer à donner des renseignements. Des policiers militaires lourdement armés ont envahi à plusieurs reprises les cellules des détenus pour les plaquer au sol et contre les murs, les menacer et les maltraiter pour les terroriser. Après qu'une plainte ait été déposée, les autorités militaires ont été obligées d'enquêter, mais elles ont étouffé toute l'affaire, sans prendre quelque mesure disciplinaire contre qui que ce soit.

(Article paru d’abord en anglais le 6 mai 2015)

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