Le rôle du Kremlin dans la catastrophe européenne

Trotsky a écrit cet article alors que les forces françaises se rendaient à l'invasion allemande en 1940 et que la bourgeoisie française préparait sa collaboration avec l'Occupation nazie. Il y analyse le rôle du stalinisme et les causes de l'effondrement fulgurant des armées françaises, mettant en garde le prolétariat de l'URSS, dont l'armée avait été décapitée par la purge des officiers menée par Staline, contre une invasion nazie. Cette invasion s'est produite un an plus tard. Elle s'est soldée par quatre ans de terribles combats, faisant des dizaines de millions de morts, durant lesquels les forces de l'URSS ont joué le rôle décisif dans la défaite du régime nazi. 

17 juin 1940 

La capitulation de la France n'est pas un simple épisode militaire. Elle fait partie de la catastrophe européenne. L'humanité ne peut continuer à vivre sous le régime de l'impérialisme. Hitler n'est pas un accident. Il n'est que l'expression la plus consistante et la plus bestiale de l’impérialisme qui menace d'engloutir toute notre civilisation. 

Mais, en liaison avec les causes générales de la catastrophe inhérente à l'impérialisme, il n'est pas permis d'oublier le rôle criminel sinistre joué par le Kremlin et le Comintern. Personne n’a aidé Hitler autant que Staline. Personne d'autre que Staline n'a créé une situation aussi dangereuse pour l'URSS. 

Durant cinq années, le Kremlin et son Comintern ont fait de la propagande pour une «alliance des démocraties» et des «fronts populaires» avec l'objectif d'une guerre préventive contre les «agresseurs fascistes». Cette propagande, comme en témoigne de manière très frappante l'exemple de la France, a eu une puissante influence sur les masses populaires. Mais, quand la guerre approcha réellement, le Kremlin et son agence du Comintern sautèrent soudain dans le camp des «agresseurs fascistes». Staline, avec sa mentalité de maquignon, cherchait à sa façon à rouler Chamberlain, Daladier, Roosevelt et à obtenir des positions stratégiques en Pologne et dans les Pays baltes. 

Mais la volte-face du Kremlin a eu des conséquences plus importantes, impossibles à mesurer: non seulement elle a roulé les gouvernements, mais elle a désorienté et démoralisé les masses populaires, en premier lieu dans les prétendues démocraties. Avec sa propagande des «Fronts populaires», le Kremlin avait détourné les masses de la lutte contre la guerre impérialiste. En passant du côté de Hitler, Staline a brutalement brouillé les cartes et paralysé la puissance militaire des «démocraties». En dépit de toutes les techniques de destruction, le facteur moral conserve encore une importance décisive dans la guerre. En démoralisant les masses populaires d'Europe – et pas seulement d'Europe – Staline a joué le rôle d'agent provocateur de Hitler. La capitulation de la France est l'un des résultats de cette politique. 

Mais ce n'est pas du tout le seul. Malgré les conquêtes territoriales du Kremlin, la position internationale de l'URSS s'est considérablement aggravée. Le glacis polonais a disparu. Le glacis roumain va disparaître demain. La puissante Allemagne, maîtresse de l'Europe, acquiert une frontière commune avec l'URSS La Scandinavie, où se trouvent des pays faibles, et presque désarmés, est occupée par la même Allemagne. Ses victoires à l'Ouest ne sont qu'une préparation à une gigantesque marche vers l'Est. Dans son attaque contre la Finlande, l'Armée rouge décapitée et démoralisée encore une fois par Staline a démontré sa faiblesse au monde entier. Dans sa marche prochaine contre l'URSS, Hitler aura le soutien du Japon. 

Les agents du Kremlin commencent à reparler d'une alliance des démocraties contre les agresseurs fascistes. Il est possible que Staline, dupeur dupé, soit forcé de faire une nouvelle volte-face en politique étrangère. Mais malheur aux peuples s'ils font de nouveau confiance aux agents malhonnêtes du Kremlin ! Staline a contribué à faire de l'Europe un chaos sanglant et à mener l'URSS au bord du gouffre. Les peuples de l'URSS ne peuvent que ressentir la plus grande angoisse… 

Seul le renversement de la clique totalitaire de Moscou, seule la régénérescence de la démocratie soviétique, peuvent libérer les forces des peuples soviétiques pour le combat contre l'inévitable et prochaine attaque de l'Allemagne impérialiste. Ainsi le patriotisme soviétique est-il inséparable de la lutte impitoyable contre la clique stalinienne.

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