Québec cible la communauté musulmane avec les projets de loi 62 et 59

Répondant aux appels des sections les plus chauvines de la classe dirigeante québécoise, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a déposé, le mois dernier, deux projets de loi ciblant la minorité musulmane. Ces mesures s'attaquent aux droits démocratiques de la classe ouvrière et visent à légitimer la «guerre contre le terrorisme» défendue par la bourgeoisie canadienne.

Le projet de loi 62 sur le «respect de la neutralité religieuse» stipule que les services publics, y compris l’instruction publique et les soins de santé, devront dorénavant être «donnés et reçus à visage découvert». Le projet de loi 62 vise également à restreindre les «accommodements raisonnables» à l’endroit des minorités ethniques et religieuses.

Bien que le projet de loi cible explicitement l’infime minorité de femmes musulmanes au Québec qui portent le voile intégral (la burqa et le niqab), son objectif est de stigmatiser l’ensemble de la population musulmane, un des plus importants groupes ethniques au Québec.

Le gouvernement Couillard affirme vouloir défendre l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais ses nouvelles mesures vont priver des femmes musulmanes de services publics essentiels et restreindre leur accès à l’emploi, uniquement à cause de leurs croyances.

Démontrant toute l’hypocrisie et le caractère anti-démocratique de la législation libérale, le projet de loi 62 impose des restrictions aux minorités culturelles alors qu’il exclut de son champ d'application «le patrimoine religieux du Québec». Ainsi, le crucifix restera accroché au Salon bleu de l’Assemblée nationale et la grande croix électrifiée continuera de trôner au sommet du Mont-Royal.

Au même moment où ils ont déposé le projet de loi 62, les libéraux ont présenté le projet de loi 59 sur la «prévention et la lutte contre les discours haineux». Le dépôt simultané des deux projets de loi trace un parallèle sinistre à peine voilé entre les musulmans et l’extrémisme religieux.

Selon ce projet de loi – dont le langage est si flou que la loi pourrait être utilisée dans une foule de circonstances – quiconque exprime publiquement des propos jugés «haineux» ou «incitant à la violence» envers un groupe «de personnes présentant une caractéristique commune» pourra être dénoncé anonymement et faire l'objet d'une enquête de la part de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.

La tolérance d’un comportement dit haineux permettra au ministre responsable de retenir ou d’annuler une subvention destinée à un établissement d’enseignement privé, à une commission scolaire ou à un collège d’enseignement général et professionnel.

Québec mettra notamment en place une équipe intégrée à la Sûreté du Québec qui surveillera les réseaux sociaux pour détecter les messages haineux, une mesure en ligne avec la décision du maire de Montréal, Denis Coderre de créer le «Centre de prévention à la radicalisation menant à la violence».

Avec ces nouvelles mesures, le gouvernement libéral de Couillard ravive et s’adapte entièrement à l’agitation anti-musulmane et anti-immigrante mise de l’avant par le Parti québécois au cours des dernières années, en particulier avec sa «Charte des valeurs» présentée en 2013. Cela fait partie d’une campagne de longue date orchestrée par les éléments les plus chauvins de l’establishment politique.

Aux élections de 2007, la grande entreprise et les médias ont évoqué des «accommodements raisonnables» brimant supposément les droits de la majorité pour promouvoir l’ADQ de Mario Dumont (aujourd’hui fusionnée à la CAQ). L’ADQ, en collaboration avec les tabloïds du magnat de presse et actuel chef du PQ, Pierre-Karl Péladeau, avait alors joué un rôle d’avant plan pour alimenter le chauvinisme anti-immigrant et tourner le débat politique à droite en exigeant un assaut frontal sur les services publics. Peu de temps après, le gouvernement libéral de Jean Charest avait déclenché la commission Bouchard-Taylor, une manœuvre cynique servant à légitimer le débat de droite sur la menace potentielle représentée par l’immigration pour les soi-disant valeurs québécoises.

Depuis, le PQ pro-indépendance a mis les bouchées doubles pour redevenir le champion des questions identitaires. En 2010, le PQ avait proposé d’adopter une «citoyenneté québécoise» qui aurait retiré d’importants droits politiques pour les immigrants ne maîtrisant pas suffisamment la langue française. La «Charte des valeurs», que le PQ a présentée lorsqu’il était au pouvoir, allait beaucoup plus loin que Bouchard-Taylor et proposait d’interdire le port de tous symboles religieux «ostentatoires» aux centaines de milliers d’employés des services public et parapublic – tout en permettant le port discret d’une croix chrétienne.

Après la défaite du PQ aux mains des libéraux aux élections de 2014, le débat sur la «neutralité» religieuse de l’État a été temporairement mis de côté. Toutefois, les attentats de Charlie Hebdo en France ont été l’occasion, non seulement au Québec mais à travers le monde, de ramener la campagne antimusulmane à l’avant-scène.

Les libéraux se sont également servis des reportages plus tôt cette année entourant six jeunes Montréalais supposément partis rejoindre des djihadistes en Syrie, ainsi que l’inculpation de deux étudiants du collège de Maisonneuve pour «activités terroristes» afin de lancer leur campagne contre la «radicalisation».

Sans étonnement, tous les représentants de l’Assemblée nationale ont attaqué de la droite le projet de loi 62 du gouvernement Couillard.

Le Parti québécois a fortement dénoncé le fait que les libéraux refusent d’interdire le port de signes religieux, particulièrement le tchador. «Comment la ministre de la Justice, qui est aussi responsable de la Condition féminine, peut-elle défendre le port du tchador dans la fonction publique?» a déclaré la députée péquiste Agnès Maltais.

Le chef de la CAQ, François Legault, a critiqué le premier ministre pour avoir accepté «qu'un policier ait un turban, une kippa, qu'une policière ait un voile». «Je ne comprends pas pourquoi M. Couillard est aussi frileux de défendre les valeurs québécoises», a-t-il commenté en point de presse.

De son côté, Québec Solidaire, le parti de la pseudo-gauche québécoise, appuie les mesures contre le voile intégral, qu’il juge anti-féministe. Dans le but de donner un vernis progressiste à ces mesures chauvines, QS exige que le mot «laïcité» apparaisse dans le projet de loi. Il faut rappeler que QS avait accueilli favorablement, bien qu’avec certaines réserves, la charte du PQ.

Le projet de loi 62 a aussi été accueilli avec enthousiasme par le gouvernement fédéral de Stephen Harper, lequel a rapidement présenté une mesure similaire qui forcerait les nouveaux arrivants à avoir le visage découvert lors des cérémonies de citoyenneté. Cela s’inscrit dans la campagne électorale des plus réactionnaires que les conservateurs mènent autour des thèmes de la sécurité et du militarisme dans le cadre des élections fédérales de 2015.

Comme les autres puissances impérialistes à travers le monde, depuis les attentats du 11 septembre, la bourgeoisie canadienne emploie le prétexte de la «guerre au terrorisme» pour attaquer les droits démocratiques au pays et justifier sa participation accrue dans les guerres menées par les États-Unis à l’étranger.

L’an dernier, peu de temps après les fusillades d’Ottawa et de St-Jean-sur-Richelieu, Harper annonçait l’intensification du rôle du Canada dans la guerre contre l’État islamique en Iraq, puis déposait le projet de loi C-51. Sous une façade légale, ce dernier donne de nouveaux pouvoirs autorisant notamment le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à enfreindre pratiquement n'importe quelle loi pour perturber ce qu'il juge comme une menace à la sécurité nationale et économique du Canada.

L’assaut sur les droits démocratiques – y compris les mesures pour attiser le chauvinisme et diviser les travailleurs sur des lignes ethniques et religieuses – constitue la réponse de la classe dirigeante à l’intensification de la lutte des classes et à l’hostilité grandissante des travailleurs aux inégalités sociales et aux menaces de guerres.

En dépit des divergences existant entre les diverses sections de l’élite dirigeante canadienne, l’appui unanime – de Québec Solidaire aux Conservateurs – pour des politiques anti-immigrantes démontre qu’elle est unie contre la classe ouvrière.

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