L'État brandit la menace de licenciements de masse à Air France

Suite à l'affrontement entre les grévistes et les responsables du comité central d'entreprise (CCE) à Air France lundi, l'État menace de licencier des milliers de travailleurs à Air France. 

Hier, l'hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné a publié quelques détails sur les projets de restructuration d'Air France, confiés aux syndicats. « Selon des documents que n'auraient pas dû recevoir certains syndicalistes, le plan de réduction des effectifs sera suivi après 2017 d'une autre saignée qui, elle, portera sur 5.000 suppressions d'emplois », écrit l'hebdomadaire. 

Selon les informations du Canard, le PS et Air France avaient jusqu'alors tenté de cacher ces détails aux travailleurs afin de minimiser l'impact sur la popularité déjà désastreuse de Hollande et d'éviter une explosion de revendications et de luttes ouvrières en France et à travers l'Europe. Dans sa tribune au Canard, Erik Emptaz écrit que la restructuration actuelle « est juste un hors-d'œuvre pré-électoral censé tenir les comptes et une explosion sociale jusqu'en 2017 ». 

Le PS aurait fait pression pour qu'Air France n'annonce que 2.900 suppressions d'emplois avant les prochaines présidentielles en 2017. Ce plan « qui se négocie dans la fureur pour 2.900 départs, essentiellement volontaires, a en effet été calculé au plus juste pour ne pas trop perturber la campagne du candidat Hollande », écrit le Canard. « Dans la prochaine mouture, d'ores et déjà dans les tuyaux, des licenciements secs seront inévitables ». 

Cette révélation du Canard témoigne de la frayeur immense provoquée dans les milieux politiques et médiatiques par la confrontation lundi entre les grévistes d'Air France d'un côté et les cadres et chefs syndicaux. Les deux chemises déchirées de cadres de la société, et encore plus l'illustration de l'hostilité entre la classe ouvrière et les appareils syndicaux, ont ébranlé la bourgeoisie. 

Sachant que la confrontation de lundi n'est qu'un pâle reflet de la colère qui monte dans la classe ouvrière contre le patronat, le PS et ses alliés politiques et syndicaux, la classe dirigeante tente désespérément d'empêcher un embrasement général des travailleurs à travers l'Europe. Il essaie à la fois d'intimider les travailleurs avec des menaces de licenciement et de les subordonner au dialogue « social » entre le patronat et des syndicats passés corps et biens dans le camp du grand capital. 

C'est dans ce contexte qu'il faut évaluer la révélation du Canard. Cet hebdomadaire, bien que lancé par des poilus il y a un siècle lors de la Première Guerre mondiale, s'est largement embourgeoisé au cours des décennies et parle à présent pour des couches de la petite-bourgeoisie aisée proches des appareils syndicaux. 

La tribune d'Emptaz, qui n'a rien de satirique, prêche tout bonnement la soumission des travailleurs au diktat d'Air France et des syndicats. Il dénonce les actions des grévistes lundi comme étant « aussi déplorables que contre-productives », et critique l'État depuis la droite, pour n'avoir pas suffisamment intimidé les travailleurs d'Air France en leur faisant sentir à quel point ils sont concurrencés par des travailleurs moins bien payés qu'eux. 

Selon lui, « l'État actionnaire (17 pour cent) a beaucoup contribué au fait que le personnel se sente plus dans le secteur public que dans le secteur privé concurrentiel, cela ne facilite évidemment pas un dialogue social mal engagé ». Emptaz conclut en demandant au patronat et aux syndicats de trouver un accord, et « plutôt que de s'entre-déchirer la chemise, de la mouiller pour y arriver ». 

L'affrontement entre les grévistes et le CCE lundi expose de manière irréfutable l'antagonisme entre les travailleurs d'une part et de l'autre les directions et les appareils syndicaux. 

La seule voie pour aller de l'avant est une large mobilisation de l'ensemble de la classe ouvrière en France et à l'international dans une lutte contre le capitalisme et les politiques d'austérité. Plutôt que d’égaliser le niveau de vie des travailleurs vers le bas, de vastes luttes ouvrières internationales doivent le niveler vers le haut. Les prémisses essentielles de telles luttes, qui auraient un caractère révolutionnaire, sont la formation d'organisations ouvrières indépendantes des syndicats et la création d'une direction politique dans la classe ouvrière luttant pour le socialisme. 

La politique des couches sociales réactionnaires, par contre, est de tenter de renforcer au maximum ces mêmes syndicats, afin de subordonner l'opposition des travailleurs aux manœuvres tactiques de divers appareils syndicaux et d'étrangler leur combativité. La faiblesse des appareils syndicaux français inquiète la bourgeoisie française et internationale, qui craint que cela n’empêche les syndicats d'étrangler les luttes ouvrières. 

Ainsi, le premier ministre Manuel Valls a attaqué les commentaires de l'ancien président Nicolas Sarkozy, qui avait comparé mardi l'action des grévistes d'Air France à la Terreur révolutionnaire de 1793 et à la « chienlit » dénoncée par de Gaulle lors de la grève générale de Mai 1968. 

« La remise en cause permanente des corps intermédiaires, des syndicats ... par ce mot de 'chienlit' est dangereuse », a déclaré Valls. 

Même son de cloche chez les commentateurs médiatiques. « Le problème est non pas la force, mais la faiblesse des syndicats. La violence en est le résultat », explique Hubert Landier, stratège du dialogue social, à la Sueddeutsche Zeitung de Munich. « Des syndicats assez forts pour faire passer quelque chose à la table de négociations auraient pu empêcher une radicalisation sur les lieux de travail ». 

Le journal libéral de Munich est tombé d'accord avec Landier. « L'impression que donnent les photos des grandes manifestations françaises est trompeuse », s'inquiète la Sueddeutsche Zeitung. « En dehors du secteur public, le taux de syndicalisation est très bas. Selon les chiffres de l'OCDE, il n'est que de 8 pour cent, le plus bas de tous avec l'exception de l'Estonie. Le problème est aggravé par les rivalités puissantes entre les syndicats ». 

En fait, les syndicats n'arrivent pas à faire passer facilement leurs accords pour les mêmes raisons qu'ils ont perdu la vaste majorité de leurs membres: ils prétendent représenter les ouvriers, tout en négociant des accords qui leur sont hostiles et en fonctionnant comme une police du patronat sur les lieux de travail, comme en témoigne leurs commentaires dans le Canard.

« Ce n'est pas la première fois que les syndicats manifestent lors de la tenue d'un CE, mais, habituellement, la CGT fournit un service d'ordre très efficace », s'agaçait un syndicaliste qui regrettait que la CGT n'ait pas pu mater l'opposition ouvrière lundi à Air France. « Or cette fois, aucun de ses gros bras n'était présent. »

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