Le rôle malhonnête de Québec solidaire dans la controverse bidon sur le niqab

À l’initiative de Québec solidaire, l'Assemblée nationale du Québec a adopté à l'unanimité jeudi dernier une motion où elle «s'inquiète» de nombreuses «déclarations à caractère islamophobe» et «condamne les appels à la haine et à la violence».

Deux jours plus tôt, les médias rapportaient que deux adolescents avaient agressé une femme enceinte portant le hijab (foulard islamique) dans le quartier Anjou, au nord de Montréal. Une recrudescence de propos haineux sur les réseaux sociaux a également été notée. Plusieurs ont pointé du doigt avec raison la campagne électorale fédérale, dominée par un débat réactionnaire sur le port du niqab (voile recouvrant tout le visage sauf les yeux) à la prestation de serment des nouveaux citoyens canadiens.

La motion «contre l'islamophobie», parrainée par la porte-parole et députée de Québec solidaire Françoise David, est de la pure hypocrisie. La montée de l'intolérance envers la minorité musulmane est le résultat du discours toxique véhiculé par toute l'élite dirigeante québécoise depuis des années. Le Québec y est dépeint comme la cible d'intégristes musulmans venus imposer leurs vues rétrogrades à la majorité, notamment sur le rôle subordonné des femmes.

Cette image déformée de la réalité fait partie d'une campagne concertée pour faire des immigrants – et les musulmans en particulier – des boucs-émissaires de la profonde crise du capitalisme mondial, la véritable source de l'assaut sans fin sur les emplois, les salaires et les services publics.

Tout le bla-bla sur «l'égalité entre les hommes et les femmes» sert aussi à donner un visage pseudo-démocratique aux guerres de pillage menées par Washington, et ses alliés européens et canadien, dans la région riche en pétrole du Moyen-Orient.

Durant la campagne électorale, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a combiné des appels belliqueux en faveur d'opérations militaires accrues du Canada en Irak-Syrie à des critiques acerbes du premier ministre Harper pour ne pas être allé assez loin sur la question du niqab.

Le niqab, a insisté Duceppe, devrait être interdit pas seulement lors du serment de citoyenneté, mais aussi lors du vote. «Vous avez vu comment Mme David a voté sur le vote à visage couvert», a noté Duceppe lors du deuxième débat des chefs en français, «elle est contre».

Duceppe faisait référence à une motion adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 17 septembre pour exhorter les partis fédéraux à «s'engager formellement à interdire le vote à visage couvert».

Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, avait pris la parole pour indiquer que son parti n'avait «aucune difficulté à joindre sa voix à cette motion», tout en réclamant une «charte de la laïcité» stipulant «que l'on doit avoir le visage découvert pour obtenir un service public, sauf en cas d'urgence, y compris dans les écoles et les établissements de santé».

Sous le prétexte fallacieux de la «laïcité», Québec solidaire accepte que des femmes musulmanes soient privées de services essentiels comme la santé ou l'éducation. Il soutient aujourd’hui à toutes fins pratiques le projet de loi 62 du gouvernement libéral de Philippe Couillard voulant que les services publics soient «donnés et reçus à visage découvert». En 2013, il avait accueilli la Charte des valeurs québécoises du gouvernement péquiste de Pauline Marois, qui aurait forcé les travailleuses musulmanes du secteur public à ne plus porter de hijab sous peine de congédiement.

Québec solidaire est un parti des classes moyennes privilégiées qui aspire, comme son modèle grec Syriza, à atteindre les corridors du pouvoir en démontrant à la classe capitaliste dirigeante qu'il est pleinement respectueux du cadre socio-économique et politique existant – y compris lorsqu'il dégage des relents de chauvinisme et de xénophobie.

Le rôle particulier qu’est appelé à jouer Québec solidaire, en tant qu'aile «gauche» du parti souverainiste bourgeois qu'est le Parti québécois (dont le Bloc québécois est le parti frère sur la scène fédérale), c'est de cacher les implications réactionnaires de son discours anti-immigrant et anti-musulman.

«C'est normal qu'il y ait un débat sur le port ou non du niqab», a déclaré Françoise David. «Mais qu'on en parle pendant 15 jours, que des partis politiques et particulièrement les conservateurs finissent par en faire l'enjeu électoral de tout premier plan en se posant en défenseur des femmes, là je dis stop.»

N'en déplaise à David, le mouvement souverainiste québécois dont Québec solidaire est partie prenante, n'a pas le monopole du chauvinisme anti-musulman. Dans le climat de droite qui caractérise la politique canadienne, Stephen Harper n'a eu aucun mal à invoquer «l'égalité entre les hommes et les femmes» pour justifier le maintien au pouvoir d’un gouvernement de guerre et de réaction. Dans un développement politique incriminant pour Québec solidaire, le principal allié de Harper s'est avéré être Gilles Duceppe – le champion de la lutte contre le niqab et de la guerre impérialiste au Moyen-Orient.

La motion «contre l'islamophobie» de Françoise David est une manœuvre politique visant à effacer ces traces compromettantes. Cette manœuvre a d’ailleurs failli être déraillée par la virulente opposition du Parti québécois à inclure le mot «islamophobie» dans la motion. David a dû reconnaître en point de presse que même si le PQ a fini par voter pour, ce «n'était pas entièrement de bon cœur». Elle s’est empressée d’ajouter : «Comprenez-moi bien, je ne dis pas du tout que ... les gens du Parti québécois sont islamophobes. Sous la torture, je ne dirais pas ça.»

C’est un aveu remarquable. Depuis sa défaite au référendum de 1995 sur la séparation du Québec, le PQ s’est tourné vers un nationalisme identitaire qui encourage les sentiments anti-immigrants. Québec solidaire embrasse pleinement ce tournant réactionnaire, qui dément les vieilles allégations sur le caractère démocratique du mouvement nationaliste-indépendantiste et le montre sous son vrai visage – le projet égoïste d’une section de la bourgeoisie québécoise pour ériger son propre État capitaliste où elle règnerait en maître sur les travailleurs.

Il n'est pas question pour Québec solidaire d'abandonner, même «sous la torture», son orientation politique envers le mouvement souverainiste et ses offres répétées d'alliance électorale avec le PQ pour «chasser les libéraux». Et tant pis si cela doit se faire sur le dos des femmes musulmanes et dans un climat politique malsain, empreint d'intolérance et de xénophobie.

 

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[5 août 2015]

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