Le pacte avec Ford en danger, l’UAW intensifie son chantage économique

Le syndicat United Auto Workers (UAW) a tenu une conférence de presse convoquée à la hâte mercredi matin pour tenter d’intimider les travailleurs et inverser la tendance à l’opposition croissante chez Ford avant que le scrutin ne se termine vendredi. 

La vague d’opposition a été exprimée dans un vote « non » écrasant à l’usine de montage Ford de Chicago, où les travailleurs ont voté deux fois plus contre ce contrat qu’en sa faveur mardi et mercredi. Cela faisait suite au rejet de cet accord par une marge similaire à l’usine de montage de Louisville et à l’usine de camions du Kentucky. 

Les travailleurs ont également voté « non » cette semaine à l’usine de montage de Kansas City, les usines d’emboutissage de Buffalo, les sites de Cleveland et Lima, l’usine de moteurs de l’Ohio et les l’usine de transmissions de Sterling et l’usine de groupes motopropulseurs de Rawsonville dans la banlieue de Detroit. 

La défaite de l’UAW dans les deux usines du Kentucky a changé la dynamique du vote national, qui avait préalablement été étroitement en faveur du pacte. L’UAW a rapporté que le vote est passé à 52 pour cent contre 48 en défaveur du contrat mercredi avant l’arrivée des totaux de l’usine de montage de Chicago. Les travailleurs de l’usine de montage de Flat Rock ont également voté mercredi. 

L’UAW a calculé que les 8500 travailleurs du complexe Ford Rouge à Dearborn, dans le Michigan, qui votent jeudi et vendredi, détermineront le sort de l’accord. Voilà pourquoi, dans une décision rare, si non sans précédent, il a convoqué cette conférence de presse au cours même du scrutin sur le contrat dans la salle de la section du Local 600 de l’UAW pour menacer les travailleurs de chômage ou d’une grève inefficace et financièrement ruineuse au cas où ils rejetaient l’accord. 

Ayant à peine survécu à une quasi rébellion des travailleurs de Fiat Chrysler et à un vote divisé des travailleurs de General Motors, les responsables de l’UAW présents, y compris le Vice-président James Settles et le Président du Local 600 Bernie Ricke, avaient l’air démoralisés et effrayés d’occupants d’un château assiégé, sinon de rats acculés. À un moment donné Settles à décrit la situation comme « paraissant très sombre. » 

Étant donné une situation sur le sur le fil du rasoir, l’UAW ne pouvait permettre aucune question susceptible d’exposer encore plus la nature de son accord à rabais et de faire pencher la balance. Tout en accueillant des journalistes des médias financés par les grandes entreprises, les responsables du Local 600 de l’UAW ont interdit l’accès aux journalistes de l’Autoworker Newsletter (Bulletin du travailleur de l’automobile) du World Socialist Web Site et les ont chassés de force quand ceux-ci ont demandé pourquoi ils étaient discriminés. (Voir en anglais : “Video shows UAW officials grabbing cell phone, forcibly ejecting WSWS reporters from press conference”) 

Settles et Ricke ont tenté de rassurer les médias, et à travers eux les patrons de l’automobile, sur le fait que l’UAW maîtriserait la situation et qu’ils peuvent encore compter sur eux pour vaincre la résistance des travailleurs et imposer les diktats de ces sociétés. 

Ricke a commencé la conférence de presse en saluant l’accord, disant qu’il y avait « beaucoup d’argent pour les salaires et les avantages sociaux et les soins de santé ». La raison de l’opposition des travailleurs, a-t-il insisté, était « la désinformation et des choses sur les médias sociaux ». Il a poursuivi en calomniant « 16.000 nouveaux membres qui n’ont pas vécu ce processus avant » pour leur manque de compréhension de la nécessité d’un accord « équilibré ». 

Par « accord équilibré », Ricke veut dire veiller à la poursuite des superprofits de Ford, qui a engrangé plus de 50 milliards de dollars depuis 2009 et est en voie de gagner près de 10 milliards de dollars cette année. Alors que les travailleurs ont subi les conséquences de l’approche « équilibrée » de l’UAW avec des salaires de misère pour les travailleurs de second rang et un gel des salaires depuis dix ans pour les travailleurs qui ont de l’expérience, les dirigeants d’entreprise ont raflé des millions de dollars en primes et en forfaits de retraite, et encore des milliards de dollars ont été balancés à Wall Street. 

Si les travailleurs faisaient pression pour des salaires plus élevés, a insisté Ricke, ils seraient au chômage. « Nous pouvons négocier 50 dollars de l’heure, mais sans investissement, il n’y a pas d’emplois », a-t-il ajouté : « Si nous mettons Ford à un désavantage de coûts trop important par rapport aux autres entreprises, c’est une société et ils vont faire ce qu’ils seront obligés de faire ». 

Dit comme un bon serviteur du patron ! La mission de l’UAW est d’assurer que la société ne soit pas soumise à un « désavantage concurrentiel » en réduisant sans relâche les conditions de vie des travailleurs que le syndicat prétend représenter.

Un journaliste a demandé, « Quel est votre message lorsque vous rencontrez les gens qui disent, « nous devrions simplement faire grève.'' Comment leur répondez-vous » ? 

Ricke a répondu en menaçant les travailleurs d’appauvrissement. « La réalité est que vous ne touchez rien pour la première semaine en grève, et vous obtenez $200 par la suite. Je ne pense pas que les gens comprennent la réalité de tout cela. Une grève ne fait du bien à personne. Ni au travailleur, ni à l’entreprise. C’est évidemment le dernier recours dans les négociations, mais je pense qu’une grève serait mauvaise pour les deux parties ». 

Une déclaration plus franche de prosternation devant les entreprises ne pourrait être imaginée. Ricke n’a pas expliqué pourquoi les travailleurs devraient être limités à des rations de famine de 200 dollars par semaine alors que les 600 millions de dollars de la caisse de grève de l’UAW sont suffisants pour payer tous les travailleurs de Ford 1000 dollars par semaine pendant trois mois. La vraie raison est que l’UAW a longtemps utilisé cet argent comme une caisse noire, détournant quelque 400 millions de dollars au cours des 30 dernières années pour ses avantages et privilèges. L’UAW n’a pas appelé à une grève nationale de l’automobile depuis le débrayage chez Ford en 1976. 

Alors que la menace d’une grève était d’habitude une arme dans les mains des travailleurs contre les entreprises, l’UAW l’a convertie en une arme du syndicat et de l’entreprise contre les ouvriers. Une grève sous le contrôle de l’UAW ne saurait être une véritable mobilisation de la classe ouvrière contre les entreprises, ce serait plutôt un lock-out visant à affamer les travailleurs jusqu’à leur soumission. 

Settles a réitéré cette menace après qu’un journaliste lui a rappelé ses déclarations en 2011, où il avait dit que si le contrat était rejeté, l’UAW allait autoriser une grève et que Ford pourrait embaucher des remplaçants. « Je ne me souviens pas avoir fait cette déclaration à propos de remplacements, mais selon la loi, si vous vous mettez en grève économique, ils ont bien le droit de faire ça ». 

Settles y a rajouté une menace explicite que si les travailleurs rejetaient le contrat leurs usines fermeraient et ils seraient jetés à la rue. « Nous avons plus d’investissements chez Ford qu’à General Motors et Chrysler combinés… Nous avons embauché plus de 22 000 personnes depuis 2011 grâce à cet accord [de 2011]. Je pense sérieusement que si nous ne ratifions pas, tout cela sera menacé ». 

Encouragé par un journaliste qui lui a demandé, « Risquons-nous de voir la fermeture des usines de pièces détachées ? » Settles a poursuivi avec des menaces, « Quand vous retournez à la table [de négociations], tout est retiré de la table et tout est susceptible de survenir, contrairement à l’opinion inappropriée, surtout des jeunes qui pensent qu’il suffit d’essayer autre chose et de voir ce que cela donne. Ce n’est pas comme cela que les vraies négociations se déroulent ». 

Settles a de nouveau calomnié les jeunes travailleurs pour ne pas avoir compris la stratégie de négociation de l’UAW. « Comme vous le savez, et beaucoup de nos jeunes gens ne le savent pas, nous menons les négociations par contrat type, ce qui signifie que le niveau de salaire est déjà déterminé quand notre tour arrive… Les jeunes travailleurs ne comprennent pas que si Ford paie plus que tout le monde, ils seraient dans une situation désavantageuse par rapport aux autres entreprises. Bien que nous ne soyons que 7 pour cent du coût total d’une automobile, ce coût doit être répercuté quelque part – et cela les met dans une situation défavorable pour l’emploi ». 

Ayant grimpé les échelons de l’appareil de l’UAW pendant une période où l’UAW a adopté les perspectives corporatistes du « partenariat » entre patronat et syndicat, Settles possède des arguments bien affinés qui sont indissociables de ceux des dirigeants de Ford. La seule conscience de classe que Settles et Cie possèdent est celle des cadres supérieures de la classe moyenne et des investisseurs ambitieux qui veulent augmenter leur part des bénéfices extraites sur le dos des travailleurs de l’automobile. 

Puis Settles a réitéré ses plaintes contre les « médias sociaux », terme par lequel il entend surtout l’Autoworker Newsletter du WSWS, vers lequel des milliers de travailleurs de l’automobile se sont tournés pour connaître la vérité sur cet accord au rabais. En épinglant de nouveau les jeunes travailleurs, il a dit : « Nous essayons de faire de notre mieux pour les éduquer quant au processus […] mais trop souvent ils comptent sur ​​des réponses d’autres personnes au lieu d’être dirigé vers notre site Web […] Il y a beaucoup de faux nez. Notre personnel garde un œil sur les actualités et il dit : « Hé, il y a ces faux nez et ils font des ravages en ne disant pas la vérité », et il est difficile de suivre tout cela ». 

Un journaliste est allé droit au but et a demandé, « Avec le vote “non” de Fiat Chrysler, le vote GM encore incertain, Wisconsin en grève contre Kohler, est-ce-que vous vous inquiétez que l’image de l’UAW d’une organisation plus conviviale prête à travailler avec les entreprises soit en péril si les travailleurs rejettent cet accord ? » 

En effet, l’UAW ne continue à exister qu’en raison des bonnes grâces des entreprises et du gouvernement, qui l’emploient comme une force de police industrielle contre la classe ouvrière. 

Si Settles a dit qu’il était « optimiste » sur leur capacité à forcer le passage de l’accord, le fait est que l’UAW a été démasqué pendant toute cette lutte des contrats comme un ennemi des travailleurs et un outil des patrons de l’automobile.

(Article paru en anglais le 19 novembre 2015)

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