Hollande en Asie : les divergences euro-américaines s’accentuent à propos de la Chine

Le président François Hollande a terminé mardi une visite de deux jours en Chine dont le but était de resserrer les liens financiers et stratégiques avec ce pays et de préparer la conférence sur le climat Cop21 qui se tiendra ce mois-ci à Paris.

C'était la dernière d’une série de visites d’Etat qui soulignent le rapprochement entre l’Europe et la Chine. Le président chinois Xi Jinping s’était rendu en Grande Bretagne afin de faire de Londres l’un des principaux centres d’affaires pour le renminbi (RMB), la monnaie chinoise. Il y a quelques jours à peine, la chancelière allemande Angela Merkel dévoilait une liste d'accords commerciaux conclus lors de son huitième voyage à Beijing.

Outre les négociations sur la conférence écologique Cop21, Hollande et les hommes d’affaires qui l’ont accompagné ont aussi signé des accords à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Ils ont signé un accord d’un montant de 20 milliards d’euros sur les déchets nucléaires et exhorté la Chine à investir dans Areva après qu'elle a acquis d’importantes part de la société Engie (anciennement Gaz de France-Suez) et du constructeur automobile PSA.

Ils ont aussi négocié des accords sur la vente du RMB à Paris. Les investissements directs étrangers (FDI) de la France en Chine ont atteint 17,9 milliards d’euros par an, les FDI chinois en France 4,3 milliards d’euros. La disponibilité de dizaines de milliards de RMB dans les banques françaises permettra aux investisseurs de contourner le dollar américain en faisant ces transactions.

Par rapport aux négociations précédentes entre responsables français et chinois, l’aggravation des divergences entre la stratégie européenne et américaine à l’égard de la Chine fut bien plus difficile à masquer.

En mars, les puissances européennes, dont la France avaient ignoré l’appel de Washington de ne pas rejoindre la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). L’AIIB faisait partie d’un projet chinois annoncé fin 2013, l'initiave « Silk Road Economic Belt » ou « One Belt, One Road » (OBOR). C'est un énorme projet, à la hauteur de 1.400 milliards de dollars pour financer l’infrastructure routière et ferroviaire permettant un transport terrestre rapide entre de la Chine et les marchés européens en passant par la Russie et l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Europe de l’est.

En Chine, Hollande était resté muet sur le « pivot vers l’Asie » américain qui vise à encercler la Chine. Il n’a accordé aucun soutien aux Etats-Unis, pourtant membre de l’OTAN, dans la confrontation en Mer de Chine du sud entre la marine américaine et les forces chinoises.

Par contre, le journal chinois Global Times a salué le soutien de la France pour OBOR : « Les deux pays ont fait un effort pour se donner la main pour étudier de nouveaux marchés dans le cadre de l’initiative ‘One Belt, One Road’ et mettre à profit leurs ressources technologiques et financières dans l’économie mondialisée ».

Actuellement, les critiques fusent en Europe de la politique américaine en Ukraine. Hollande a averti que l’OTAN risquait de provoquer « une guerre totale » avec la Russie ; l’ancien président Nicolas Sarkozy s’est rendu en Russie pour critiquer publiquement les sanctions financières que l’Europe impose à la Russie sous la pression des Etats-Unis. Ces sanctions vont à l’encontre des intérêts français, tels que les investissements russes de la société pétrolière française Total.

Ces critiques françaises alignent Paris sur la Chine qui l’année dernière a offert une planche de salut à la Russie en lui accordant un crédit l’aidant à échapper aux sanctions financières.

Les divergences euro-américaines sur AIIB/OBOR reflètent non seulement une politique financière divergente mais aussi une aggravation des conflits stratégiques entre l’impérialisme américain et ses rivaux européens. Le « pivot vers l’Asie » de Washington amène des sections de la classe dirigeante européenne à envisager le développement de liens stratégiques plus étroits avec la Chine aux dépens de leurs relations avec les Etats-Unis.

L’initiative chinoise OBOR fut initialement une réaction au « pivot vers l’Asie » annoncé par le gouvernement Obama en 2011. Quand la Chine regardait vers l’Océan pacifique et les voies maritimes qui la relient à ses sources d’énergie au Moyen-Orient, elle faisait face à une coalition hostile rassemblée par Washington : le Japon, l’Australie, les Philippines, le Vietnam et l’Inde. Largement devancé en termes de force navale, Beijing décida de développer des itinéraires commerciaux terrestres en Eurasie.

En lançant OBOR en 2013, Beijing revenait à une stratégie qu’il avait envisagée aux années 1990, après la dissolution de l’URSS. A l'époque, Beijing avait projeté des voies terrestres reliant la Chine au Moyen-Orient, un « Pont énergétique pan-asiatique mondial » (Pan-Asian Global Energy Bridge). Ces projets furent subitement interrompus par l’invasion américaine en Afghanistan en 2001 et l’influence exercée par la suite par Washington en Asie centrale.

Quatorze ans plus tard, sur fond d’aggravation de la crise du capitalisme mondial et après le retrait américain de l'Afghanistan, le projet OBOR revêt une importance bien plus grande. La position économique relative de l’impérialisme américain s'est affaiblie depuis le krach de 2008; le capitalisme chinois est lui aussi confronté à une économie en baisse et recherche à tout prix des débouchés commerciaux. Quant à l’Europe, qui fait face à sa propre crise économique insoluble, l’impérialisme européen est de plus en plus tributaire de ses liens lucratifs avec la Chine, comme le montre la visite de Hollande.

Les tensions géostratégiques explosent. Suite aux désaccords américains avec la Russie au sujet de la Syrie en 2013 et de l’Ukraine en 2014, ainsi qu'avec la Chine en Corée en 2013, les gouvernements contemplent tous le danger d’une guerre entre des puissances nucléaires.

A présent, des sections de l’élite dirigeante chinoise commencent à considérer le développement d'une alliance avec l’Union européenne (UE) contre les Etats-Unis.

Dans l'article « Les liens avec l’UE peuvent contrebalancer l’alliance Etats-Unis/Japon », le Global Times écrit : « La Chine prend l’initiative dans les relations sino-européennes. C’est plus qu’une simple coïncidence que les trois principaux chefs d’Etat européens ont rencontré en un mois le dirigeant chinois. Les médias américains se plaignent ou blâment l’Europe d’avoir abandonné ses 'principes'. Le courroux des Américains provient de leur jalousie envers la plus grande détermination de l’Europe d'avoir une relation amicale avec la Chine. »

De telles remarques sont un avertissement à la classe ouvrière internationale de la faillite de l’ordre social. Les contradictions d’une ampleur catastrophique enracinées dans les contradictions entre le développement des forces productives et le caractère irrationnel du système d’Etat-nation, se développent dans la structure du capitalisme mondial.

Des obstacles énormes existent à la formation d’une alliance sino-européenne : l’alliance de l’OTAN entre les Etats-Unis et l’Europe, l’instabilité des régions que la Chine tente d’unir à l’OBOR et les divisions en Europe même. Selon le Global Times, « La Chine doit savoir que les relations euro-américaines sont loin d’être aussi mauvaises que nous le pensons, et la soi-disant rivalité entre le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France pour obtenir les faveurs de la Chine n'est pas aussi fiable que nous le prévoyons. »

Il n’en reste pas moins cependant que la Chine et les puissances européennes collaborent pour le moment contre la volonté de Washington pour planifier l’embryon des infrastructures de transport et financières qui fédéreraient le continent eurasien en une unité économique. Une telle unité, si elle se développait, serait non seulement le grand rival géostratégique des Etats-Unis, mais les surpasserait en termes de population et de force industrielle.

L’un des principaux dangers issus des actuelles divisions euro-américaines est le risque que ces contradictions n’explosent en une guerre, par laquelle l’impérialisme américain chercherait à éviter d’être relégué à un statut de second rang. En effet, un objectif central de la politique étrangère américaine a longtemps été d'empêcher à tout prix l'unification du continent eurasien.

La nécessité d’agir agressivement pour empêcher un tel résultat est l’un des principaux thèmes du livre de l’ancien conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier, publié en 1997.

Observant la montée du pouvoir économique des deux côtés de l'Eurasie, il écrivait : « la question de quelle attitude une Amérique engagée mondialement devrait adopter vis-à-vis des affaires complexes de l’Eurasie – surtout, si elle peut prévenir l’émergence d’une puissance eurasienne dominante et antagoniste – demeure le problème essentiel posé aux Etats-Unis s’ils veulent conserver leur primauté sur le monde… L’Eurasie est donc l’échiquier où se déroule le combat pour la primauté mondiale. »

En 2005, la société d’analyse stratégique Stratfor a écrit que la crainte d'une Eurasie dominée par la Russie était une raison suffisante pour démembrer la Russie : « L’URSS a été plus loin que toute autre pays dans la direction de l'unification de l'Eurasie en une puissance unique, intégrée et continentale – le seul événement externe susceptible de mettre fin au primat mondial des Etats-Unis. Ces petits faits sont des éléments que les décideurs n’oublient pas et ne prennent pas à la légère… La politique américaine à l’égard de la Russie est simple et définitive : la dissolution, » avait-il écrit.

A présent, face à l’escalade d’une crise pour laquelle elles n’ont pas de solution, le danger est grand que les principales puissances appliquent une politique encore plus agressive.

(Article original paru le 4 novembre 2015)

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