Portugal : une motion de censure fait tomber le gouvernement de droite

Le gouvernement minoritaire de droite, coalition formée il y a onze jours au Portugal et comprenant le Parti social-démocrate (PSD) et le Centre démocratique et social-Parti Populaire (CDS-PP), a démissionné le 10 octobre suite au vote d’une motion de censure à l’Assemblée nationale. 

La motion de censure a été votée par le Parti social-démocrate (PS), le Parti communiste portugais (PCP), les Verts (PEV) et le Bloc de gauche (BE). Lors des élections d’octobre, ces partis avaient recueilli ensemble 50.8 pour cent des voix; le BE avait doublé ses voix, obtenant 10,2 pour cent. Le président Anibal Cavaco Silva avait tout d’abord présenté un gouvernement minoritaire PSD/CDS-PP.

A présent, Cavaco Silva, un ancien premier ministre PSD, doit soit nommer le secrétaire général du PS Antonio Costa premier ministre, soit laisser le secrétaire général du PSD, Pedro Passos Coelho, à la tête d’un gouvernement intérimaire, jusqu’à l’organisation de nouvelles élections, au plus tôt en juin prochain.

Les efforts du PS pour former un gouvernement appuyé par le PCP, le PEV et le BE sont des tentatives réactionnaires pour neutraliser la colère sociale grandissante contre l’austérité dans la classe ouvrière. Tout comme la Grèce, le Portugal croule sous le poids des mesures dévastatrices imposées par l’Union européenne depuis l’éclatement de la crise économique mondiale de 2008. Comme en Grèce, les partis pro-capitalistes de « gauche » sont en train de manœuvrer cyniquement pour poursuivre l’austérité même s’ils arrivent au pouvoir, à l’exemple de Syriza en Grèce.

Le député PS Mario Centeno, un ancien économiste de la Banque du Portugal et architecte du programme économique promu par le PS, le BE et le PCP, a dit au Financial Times qu’un gouvernement PS ne « donnerait pas sans compter à l’économie. »

Il a indiqué qu’un gouvernement mené par le PS continuerait à suivre le cours austéritaire. « Nous resterons sur la voie de la consolidation fiscale… Ce n’est pas la direction que nous remettons en question mais la vitesse du voyage… Nous continuerons à réduire le déficit et la dette mais à un rythme plus lent, » a-t-il expliqué.

Centeno insista pour dire qu’un gouvernement PS n’approuverait aucune forme de restructuration de la dette et ajouta, « Aucune personne censée ne penserait à ne pas payer les dettes qu’elle a contractées. »

On fait appel au PCV, au PEV et au BE pour qu’ils apportent une couverture de « gauche » à un nouveau gouvernement réactionnaire du PS, déterminé à mener des attaques brutales contre la classe ouvrière. C’est le PS qui en premier a accepté le renflouement des banques en 2011 et le programme d’ajustement économique qui l’accompagnait, et qui a lancé les mesures d’austérité au Portugal. Mais devant la colère grandissante de la population face à l’écroulement de l’économie portugaise, les sociaux-démocrates ont décidé qu’ils devaient présenter un visage politique différent.

Pour prendre ses distances de la coalition PSD/CDS-PP et empêcher tout mouvement indépendant de la classe ouvrière, le PS a choisi l’an dernier Costa comme dirigeant et s’est proclamé parti anti-austérité, affirmant ne plus vouloir mettre en œuvre les exigences du FMI.

Costa a dit vouloir « tourner la page de l’austérité » et annoncé un paquet de 55 mesures qui ont formé la base du manifeste électoral du parti. Y figurait une augmentation des dépenses de santé et d’éducation, la suppression des réformes du marché du travail, un réexamen des privatisations, la réduction des cotisations de sécurité sociale pour les travailleurs et les employeurs, l’augmentation des salaires du secteur public et l’introduction d’un nouvel impôt sur l’héritage. En fait, même les partis droitiers PSD et CDS-PP s’étaient sentis obligés de promettre des mesures identiques.

L’élection de Costa et ses 55 mesures furent le signal pour que le BE lance un appel en faveur d’un soi-disant « gouvernement de la gauche » incluant le PS.

Mais comme l’a montré la capitulation de Syriza en Grèce, il est impossible d’obtenir un allègement quelconque des mesures d’austérité écrasantes sans répudier la dette et sans rompre avec l’UE. Les partis pro-capitalistes comme Syriza et le PS et ses satellites au Portugal toutefois, sont farouchement opposés à une telle politique. Les promesses faites par le PS de satisfaire les banquiers et l’UE d’un côté et d’apporter de légères améliorations au niveau de vie des travailleurs de l’autre, s’avéreront rapidement être des mensonges pas moins éhontés que ceux colportées par Syriza.

Aucune différence fondamentale n’existe entre ces partis et l’UE et la droite portugaise. Cavaco Silva a en effet mis en place, le 30 octobre, un gouvernement minoritaire PSD/CDS-PP parce qu’il espérait que le PS et ses alliés pourraient encore être convaincus de le soutenir tacitement. Le PSD/CDS-PP jouissait d’un vaste soutien au sein de l’élite dirigeante pour avoir promis de poursuivre l’application des mesures d’austérité impopulaires de l’UE en dépit d’une opposition de masse de la population laborieuse.

La chancelière allemande Angela Merkel, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avaient félicité Passos Coelho pour sa « victoire ».

Toutefois, devant ce vote inattendu en faveur du BE et l’énorme taux d’abstention qui indiquait une situation sociale et politique explosive, le PS changea de tactique. Il signala vouloir former un gouvernement. Cavaco Silva rejeta ces propositions en déclarant que « des forces anti-européennes » ne seraient jamais autorisées à faire partie du gouvernement.

Depuis, le PS est en discussion avec le BE, le PCP et le PEV pour trouver un accord. Dans le même temps, Costa a assuré Cavaco Silva qu’il pouvait former un gouvernement qui garantirait que le Portugal resterait membre de l’UE, de l’eurozone et de l’OTAN.

Compte tenu de la grave crise économique, ces engagements sont toutefois incompatibles avec une politique en faveur de la population laborieuse. Le total cumulé de la dette publique et privée se chiffre encore à plus de 370 pour cent du PIB, le plus élevé d’Europe. Le FMI a exigé que le prochain gouvernement impose une « réforme approfondie des salaires du secteur public et des retraites. » Le gouvernement PSD/CDS-PP n’a toujours pas rendu publiques ses dernières prévisions budgétaires, ce qui suggère qu’elles pourraient être pires que prévu. L’UE exige des coupes supplémentaires de 600 millions d’euros.

Les marchés et les institutions financières ont déjà commencé à faire pression sur le Portugal. Les taux d’intérêts des obligations gouvernementales portugaises ont grimpé depuis le début d’octobre de 0,58 pourcentage de points. Les analystes économiques ont prévenu que le pays pouvait perdre son statut de pays en catégorie d’investissement, indispensable à l’obtention de nouveaux prêts du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE, dont il est le plus grand bénéficiaire.

Les responsables financiers pointent maintenant le danger d’une spéculation boursière contre le Portugal, susceptible de déclencher une nouvelle crise financière en Europe.

Ecrivant pour le Hill de Washington, l’ancien vice-directeur du FMI, Desmond Lachmann, a averti que « Ce serait une erreur d’écarter le Portugal comme étant une petite économie située à la périphérie sud de l’Europe et n’ayant que peu d’impact systémique. » Il a prévenu que « l’arrivée imminente d’un gouvernement socialiste tributaire du soutien d’un bloc anti-austérité d’extrême gauche pourrait inaugurer une nouvelle phase de la crise de la dette souveraine européenne. »

Lachmann a aussi évoqué le risque qu’une telle crise provoque la désagrégation de l’UE. Il a averti que la crise portugaise « coïncidait avec une nouvelle lenteur en Grèce dans l’application de son programme FMI-UE, avec des tendances séparatistes en Catalogne (Espagne), le passage en Espagne du bipartisme à un système à quatre partis, la montée en Italie d’un mouvement anti-euro et le fait que l’autorité d’Angela Merkel en Allemagne est de plus en plus remise en cause sur la question de l’immigration. »

(Article original paru le 11 novembre 2015)

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