Visite en Iran du ministre français des Affaires étrangères

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius s’est rendu en Iran le 29 juillet pour une reprise des relations économiques et diplomatiques avec Téhéran. Cette visite, la première d'un ministre des Affaires étrangères français en 12 ans, fait suite à l’accord des puissances occidentales avec l'Iran sur son programme nucléaire le 14 juillet et à la levée des sanctions économiques.

Quelques jours avant la signature de cet accord, la France avait pris une position intransigeante, exigé de Téhéran plus de concessions et insisté sur le fait que Paris n’approuverait pas l'accord si l’Iran refusait d’inscrire l’inspection de ses sites nucléaires dans l'accord final.

Vantant l'accord, Fabius a déclaré aux journalistes que Paris cherchait à rétablir ses liens historiques avec Téhéran. « C’est un voyage important (...) Nous sommes deux grands pays indépendants, deux grandes civilisations. C’est vrai qu’au cours des dernières années, pour des raisons que chacun connaît, les liens se sont distendus mais maintenant grâce à l’accord nucléaire, les choses vont pouvoir changer », a-t-il dit.

Le président iranien Hassan Rohani a dit, « les relations Téhéran-Paris après la révolution [1979] ont eu des hauts et des bas, mais nous voulons regarder vers l'avenir ». Il a ajouté, « Les deux pays ont eu une histoire de bonne coopération politique et économique – un exemple en est la présence et l'investissement des entreprises françaises dans les industries pétrolières et gazières iraniennes ». Rouhani a été invité à visiter Paris en novembre pour promouvoir la coopération bilatérale.

Paris avait ces dernières années adopté une position belliqueuse envers Téhéran mais voit l'accord nucléaire comme l’occasion de renforcer son influence économique et diplomatique en Iran. Les Etats-Unis et la France ont fait pression sur Téhéran pour qu’il adapte sa politique aux intérêts prédateurs des États-Unis et de l'Union européenne dans la région riche en pétrole du Moyen-Orient. Les puissances impérialistes voulaient que, pour répondre à leurs intérêts, l’État islamique devienne plus réactionnaire et plus brutal.

« Avant les sanctions [contre l'Iran], Paris était un partenaire commercial important pour Téhéran, et ce dernier espère retrouver sa position du passé suite à l'accord de Vienne », a dit Fabius.

Du fait des sanctions, la France a subi d'importantes pertes économiques. Le commerce de la France avec l'Iran, d’environ €4 milliards il y a dix ans était tombé en 2013 à €500 millions. Les exportations iraniennes vers la France sont tombées, de €1,77 milliards, à €62 millions entre 2011 et 2013. Pendant la même période, les exportations françaises vers l'Iran ont chuté, de €1,66 milliards, à €494 millions.

Les constructeurs français d’automobiles, PSA Peugeot-Citroën et Renault étaient autrefois en tête des ventes sur le marché iranien. Renault a $562 millions bloqués dans les banques iraniennes, dû aux sanctions. Avant celles-ci, l'Iran était le deuxième plus grand marché de PSA hors de France avec près de 400.000 voitures vendues par an. PSA a mis fin à ses opérations en 2012 suite aux pressions de General Motors, son partenaire d'alors.

Après l'accord nucléaire préliminaire, les constructeurs français auraient commencé à rétablir des liens commerciaux avec l’Iran. Jean-Christophe Quémard, le directeur de PSA pour l'Afrique et le Moyen-Orient, a déclaré que le nouvel accord nucléaire entre l'Iran et les grandes puissances « permet un progrès important dans nos discussions en cours »

Les constructeurs français auront affaire à la concurrence des Coréens Kia et Hyundai, de Toyota, des firmes chinoises Chery et Lifan et de l'allemand Volkswagen.

Total, le géant français de l’énergie se prépare à reprendre sa coopération avec le secteur énergétique iranien, dont le développement de champs pétrolifères. Dans ce secteur, Total sera en concurrence avec le trust italien ENI et avec l’anglo-néerlandais Shell.

Le ministre iranien du Pétrole Bijan Zanganeh a dit, « la France a été parmi les pionniers de la coopération bilatérale de pétrole et de gaz avec l'Iran et est également parmi les pays avec lesquels l'Iran envisage d'élargir la coopération énergétique ».

Une délégation d'entreprises françaises de haut niveau, principalement de l’automobile, de l’agriculture, de l'énergie et de l'environnement, se rendra en Iran en septembre.

Loin d'apaiser les tensions dans la région, la course de l'impérialisme français à l'influence économique en Iran va encore les aggraver. Dans sa chasse aux marchés lucratifs iraniens, la France est confrontée à la concurrence de rivaux comme les Etats-Unis, l'Allemagne et la Chine.

Avant la visite de Fabius, l’Allemagne a envoyé une délégation d’affaires à Téhéran pour rétablir les liens économiques avec l'Iran. L'Express a écrit, « L'Allemagne a de son côté bien l'intention de profiter du retour de l'Iran dans le concert des nations. Principal partenaire européen de l'Iran avant les sanctions, Berlin a maintenu des relations plus soutenues pendant la mise au ban du pays, avec 1 milliard de dollars d'échanges en 2013 ».

L'année dernière, après la visite de cadres français de premier plan à Téhéran pour renforcer les liens d'affaires, Washington avait enjoint Paris de ne pas faire d’affaires avec l'Iran. L'organisation patronale Medef avait organisé la visite parce qu'elle savait que « les milieux d'affaires américains préparaient déjà leur retour», a dit l'économiste Michel Makinsky.

La ruée impérialiste vers le marché iranien souligne le caractère néo-colonial de l'accord nucléaire. Face aux sanctions paralysantes qui ont dévasté l'économie iranienne et réduit de moitié les exportations pétrolières de l'Iran, Téhéran cherchait coûte que coûte un rapprochement avec les USA et l'UE, ouvrant l'Iran à l'investissement étranger.

Le rapprochement avec l'Iran a été chaleureusement accueilli par les médias bourgeois français qui ont appelé à la consolidation des liens diplomatiques tant avec Téhéran qu’avec les régimes rivaux sunnites voisins.

Saluant le voyage de Fabius, Le Monde écrit: « Le ministre français des affaires étrangères a bien raison. Il faut renouer avec ce grand acteur régional… Les enjeux, pour l’UE et pour la France, ne sont pas seulement commerciaux. Idéalement, l’Union européenne devrait être bien placée pour jouer les ‘honnêtes courtiers’ entre l’arc chiite et le monde sunnite. La tourmente qui disloque le Moyen-Orient ne s’apaisera pas tant que Riyad et Téhéran ne dialogueront pas. Il revient aux Européens de favoriser ce dialogue. »

Avant l'accord nucléaire, Paris était, du fait de son soutien aux guerres néo-coloniales de l'OTAN en Libye et en Syrie, profondément hostile à Téhéran. Alors que Paris et Washington attisaient une guerre par procuration en vue de renverser le président Bachar al-Assad en armant les milices sunnites liées à Al-Qaïda, Paris critiquait sévèrement l'Iran pour son soutien au régime syrien. Il avait renforcé ses liens diplomatiques avec les rivaux régionaux de Téhéran, dont Israël et les monarchies sunnites réactionnaires du Golfe comme l'Arabie saoudite.

Paris voudrait que l'Iran renonce à ses prétentions anti-impérialistes et s’aligne davantage avec les ambitions de l'impérialisme français dans la région. Il vise en particulier à isoler la Syrie, à faciliter le départ du président Bachar al-Assad et à le remplacer par une marionnette plus favorable aux intérêts français.

Fabius a souligné que l'Iran était une « puissance influente » dans la région qui partageait avec la France « le même attachement à la paix et la stabilité » et cita des dossiers comme la Syrie, le Yémen et Israël. Il a appelé à « la stabilisation et [à] l’ouverture d’une voie vers la paix, bien que les choses prennent souvent du temps ».

 

 

 

 

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