Le gouvernement américain a ciblé un deuxième citoyen américain à assassiner

Un article de première page du New York Times de lundi qui relatait un débat au sein du gouvernement américain quant à la possibilité d'assassiner un autre citoyen américain met en relief un fait essentiel: les États-Unis sont dirigés par des criminels.

L'article du Times a révélé le nom d'un citoyen américain placé sur la fameuse «Kill List», cette liste de personnes à assassiner par attaque de drone. En raison d'un certain nombre de facteurs, la vie de Mohanad Mahmoud Al Farekh, citoyen américain né au Texas, a été épargnée. Capturé lors d'un raid au Pakistan l'année dernière, il a été emmené aux États-Unis pour subir un procès à Brooklyn (New York).

Il est de notoriété publique que depuis 2010 l'administration Obama a décidé d'inscrire au moins un citoyen américain sur sa «Kill List», pour être assassiné par drone. Il s'agissait d'Anwar al-Awlaki, assassiné au Yémen le 30 septembre 2011 quelques mois plus tard. Ce meurtre était un acte prémédité et inconstitutionnel, mettant fin à la vie d'une personne non inculpée, et encore moins condamnée pour quelque crime que ce soit.

Dans un discours prononcé en mai 2013 à la National Defense University, le président Barack Obama a formellement reconnu avoir fait tuer al-Awlaki, admettant également que trois autres Américains avaient été tués dans le cadre de «dommages collatéraux» lors d'autres frappes de drones, notamment le fils adolescent d'Awlaki un mois après l'assassinat de son père.

En février 2014, l'agence de presse Associated Press citant de «hauts responsables américains», rapportait qu'à la Maison-Blanche «on se disputait pour savoir si on devait tuer [un autre citoyen américain] par frappe de drone». Cet homme, resté anonyme à l'époque, était évidemment Farekh.

L'article du New York Times de lundi montre clairement que la vie de Farekh a été épargnée non pas en raison de quelque préoccupation constitutionnelle ou démocratique fondamentale, mais plutôt en raison de désaccords tactiques et de conflits en ce qui a trait au partage des compétences entre les organismes responsables des homicides par drones, notamment la CIA, le Pentagone et le ministère de la Justice.

Selon le Times, «Le Pentagone a mis M. Farekh sur la liste des personnes à abattre soupçonnées de terrorisme; et des responsables de la CIA ont également poussé la Maison-Blanche à autoriser son assassinat. Mais le ministère de la Justice, notamment le procureur général Eric H. Holder Jr., s'est montré sceptique quant au contenu du dossier de M. Farekh préparé par les services de renseignements.»

En d'autres termes, la décision de ne pas assassiner Farekh relève entièrement d'une question de circonstances, sur la base, selon le Times, que sa capture et sa conviction par le ministère de la Justice serviraient mieux les fins de l'impérialisme américain que son exécution extrajudiciaire.

Toujours selon l'article du Times, l'une des raisons majeures de ne pas tuer Farekh est le fait qu'il ait passé entre les mailles du filet des compétences partagées entre le Pentagone et la CIA dans leurs opérations au Pakistan.

Le Times écrit qu'en 2013, «La Maison-Blanche a ordonné que ce devait être le Pentagone, plutôt que la CIA, qui devait mener les frappes létales contre des citoyens américains soupçonnés de terrorisme... Mais le Pentagone s'est vu longtemps interdit de mener des frappes de drones au Pakistan, suite à une entente conclue en 2004 avec le Pakistan selon laquelle toutes ces attaques devaient être menées par la CIA qui avait l'autorité de prendre des mesures secrètes, permettant du coup au Pakistan de nier publiquement toute connaissance de ces frappes et aux responsables américains de garder le silence.»

Entre 2004 et 2015, les États-Unis ont tué, au Pakistan seulement, 3949 personnes par frappes de drones, selon le Bureau of Investigative Journalism.

De hauts responsables de l'administration sont bien conscients que ce qu'ils font est illégal et inconstitutionnel, en particulier en ce qui concerne les citoyens américains. Un «ancien haut fonctionnaire» resté anonyme a déclaré au Times qu'«après le meurtre d'Awlaki, il y avait beaucoup de nervosité» quant à l'idée de tuer des citoyens américains, reflétant la très réelle prise de conscience au sein de l'administration Obama que ses gestes pourraient l'exposer à des poursuites judiciaires éventuellement.

Quelles que soient ces préoccupations cependant, l'administration Obama, tout comme l'ensemble de l'establishment politique, a vigoureusement défendu le droit du président américain d'assassiner des citoyens sans procédure régulière.

Fait révélateur, le Times rapporte que les dirigeants du Congrès ne tentaient pas d'exercer de contrainte ou de contrôle sur les actions criminelles de la Maison-Blanche et de la CIA, mais qu'ils cherchaient plutôt à aiguillonner la Maison-Blanche à assassiner Farekh. Selon l'article: «Au cours d'une audience à huis clos du House Intelligence Committee en juillet 2013, les législateurs n'ont cessé d'interroger les responsables militaires et du renseignement pour savoir pourquoi M. Farekh n'avait pas été tué.»

En février 2013, le ministre de la Justice Holder n'a laissé aucun doute planer que l'administration se réclamait du droit de procéder à des assassinats extrajudiciaires de citoyens américains, même à l'intérieur des frontières des États-Unis.

Holder a en effet écrit dans une lettre au sénateur Rand Paul : «Il est possible je suppose, d'imaginer des circonstances extraordinaires dans lesquelles il pourrait être nécessaire et approprié, en vertu de la Constitution et des lois applicables des États-Unis, que le président autorise l’armée à utiliser la force meurtrière sur le territoire même des États-Unis.»

Dans son discours prononcé en mai 2013, Obama a renforcé son engagement envers le programme des assassinats par drones, déclarant que «Les gestes des États-Unis sont légaux... Nous avons été attaqués le 11 septembre 2001. En une semaine alors, le Congrès a majoritairement autorisé l'utilisation de la force.»

Obama a ensuite déclaré, se contredisant en apparence, que «Pour être clair, je ne crois pas que ce serait constitutionnel pour le gouvernement que de cibler et de tuer un citoyen américain – que ce soit avec un drone ou un fusil de chasse – sans procédure régulière.»

Cette déclaration s'articule autour d'un vulgaire sophisme. En 2012, le procureur général Holder a en effet prétendu que la déclaration de la Constitution selon laquelle «nul ne pourra… être privé de sa vie… sans procédure juridique régulière» ne précise pas vraiment de processus judiciaire, et qu'elle peut s'appliquer aux délibérations internes au sein de l'exécutif.

Il s'ensuit, selon l'administration, que les négociations du type ayant trait entre les représentants de la Chambre, les agences de renseignement et les gouvernements alliés, tels que rapportées dans l'article du Times de lundi, peuvent être acceptées comme étant l'équivalent d'une «procédure régulière».

L'article du Times sur Farekh a certainement été soumis à l'approbation de l'administration Obama et des organisations de renseignement américaines avant d'être publié. Cela peut révéler que les luttes internes qui y sont décrites se poursuivent et que l'article fait partie de manœuvres en cours entre l’armée et les organisations de renseignement de l'appareil d'État des États-Unis.

L'article s'inscrit également dans un processus de légitimation et de normalisation des infractions manifestement illégales et répréhensibles qui y sont décrites. En juin de l'année dernière, l'administration Obama a publié une note de service sur les assassinats par drone dans laquelle était décrite la justification pseudo-légale pour tuer des citoyens américains. Pas plus la note de services que les crimes qui y sont décrits n'ont suscité la moindre objection perceptible au sein de l'appareil d'État ou de l'establishment médiatique, ou parmi les représentants et les porte-parole de l'aristocratie financière et du monde des affaires aux États-Unis.

(Article paru d’abord en anglais le 14 avril 2015)

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