Perspectives

Un tournant décisif dans la crise de l'impérialisme américain

Avant-hier était la date limite pour les pays de s'inscrire comme membres fondateurs de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) proposée par la Chine. Cette date marque une défaite importante pour la politique extérieure de l'impérialisme américain. 

Contre une vive opposition de Washington, plus de 40 pays ont indiqué qu'ils feraient partie de l'AIIB. Les grandes puissances européennes, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, ainsi que la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas, y participent. Presque tous les pays de l'Asie du Sud-Est, qui comptent la Chine comme leur principal partenaire commercial, ont également signé. L'Inde est signataire, comme le Taïwan. 

Le coup le plus significatif a été porté par la Grande-Bretagne, le principal allié européen des USA, qui a annoncé sa décision de rejoindre la banque le 12 mars. Ceci a ouvert les vannes pour les autres, y compris deux alliés clé des USA dans la région Asie-Pacifique - l'Australie et la Corée du Sud. Le Japon envisagerait également de rejoindre l'AIIB, peut-être dès juin. 

L'envergure de la défaite des États-Unis et ses implications profondes émergent plus clairement lorsqu'on la considère dans une perspective historique. 

L'une des principales objections de l'administration Obama par rapport à la nouvelle banque était qu'elle minerait le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ces institutions, avec l'accord de Bretton Woods de 1944, étaient les piliers centraux de l'ordre économique mondial établi après la Seconde Guerre mondiale par les Etats-Unis, qui a joué le rôle central dans la reconstruction du capitalisme mondial après la dévastation des deux guerres mondiales et les luttes révolutionnaires que cette dévastation a produites. 

Bien sûr, ces deux institutions, ainsi que le Plan Marshall pour la restabilisation de l'Europe, a tourné à l'avantage économique et stratégique de l'impérialisme américain. 

Si l'Amérique a profité énormément de l'ordre de l'après-guerre, sa conception n'était pas bornée. Les cercles dirigeants politiques et économiques reconnaissaient que si le capitalisme américain allait survivre, il faudrait utiliser les énormes ressources à sa disposition pour assurer la croissance et l'expansion d'autres puissances capitalistes, surtout celles que les Etats-Unis venaient de battre dans un conflit atroce et sanglant. 

La reconstruction d'après-guerre a permis l'expansion de l'Allemagne et l'a transformée une fois de plus en bastion industriel de l'Europe. Parallèlement, des concessions au Japon sur la valeur de sa monnaie, fixée à ¥ 360 le dollar, ouvraient des marchés d'exportation à son industrie. La décision de construire des camions et d'autres équipements militaires au Japon lors de la guerre de Corée a jeté les bases du développement de l'industrie automobile du Japon ; ce pays a incorporé, puis développé, les techniques de production de pointe établies aux États-Unis. 

Les capacités industrielle et économique des États-Unis, même si elles servaient à des fins réactionnaires comme lors de la guerre de Corée, ont été utilisées pour inaugurer une nouvelle phase d'expansion : les trentes glorieuses de l'après-guerre. 

Quel contraste avec la situation actuelle! Le capitalisme américain n’est plus le centre industriel du monde, capable d’assurer le développement de l'économie capitaliste mondiale. Il fonctionne plutôt comme le parasite-en-chef mondial. Ses banques d’investissment rapaces et ses fonds spéculatifs parcourent le monde entier, engagés non pas dans la production, mais dans l'appropriation des richesses produites ailleurs, souvent par le biais d’opérations criminelles ou semi-criminelles. 

Dans la période d'après-guerre, les États-Unis était le champion du libre-échange, en reconnaissant que le protectionnisme et le chacun-pour-soi des années 1930 avaient produit une catastrophe. Aujourd'hui, grâce à des mesures telles que le Partenariat Trans-Pacifique et des arrangements similaires avec l'Europe, Washington cherche à forger des accords d’exclusivité pour protéger les positions monopolistes des sociétés américaines. L’Amérique, a déclaré Obama, doit écrire les règles mondiales pour le commerce et l'investissement du 21e siècle.

L'influence américaine dans la période d'après-guerre ne se limitait pas à la sphère économique. Malgré toutes ses fonctions contradictoires, la société américaine semblait avoir quelque chose à offrir au monde dans son ensemble, qui avait souffert des décennies de guerre, de fascisme et de dictatures militaires, accompagnés de dévastation économique.

Encore une fois, le contraste avec la situation actuelle ne pourrait pas être plus saisissant. La démocratie américaine, autrefois citée en exemple, est une caricature flétrie d'elle-même, n’étant plus capable de cacher la dictature des élites financières et des entreprises.

Les conditions sociales sont caractérisées par la pauvreté et la violence de l'État, reflétée dans les meurtres quotidiens par la police. L'Amérique a le taux d'incarcération le plus élevé au monde ; à Détroit, autrefois le centre de l'économie industrielle américaine, on coupe l'eau aux habitants démunis. Le gouvernement américain pratique la torture, les enlèvements, les assassinats et l'espionnage de masse sur son propre peuple et d'autres à travers le monde. Le pays est dirigé par des criminels qui commettent leurs crimes en toute impunité.

Après la dissolution de l'Union soviétique en 1991, qui éliminait son rival mondial, la classe dirigeante américaine a été saisi par l'idée que, si sa situation économique avait été sévèrement affaiblie - le krach boursier de 1987 présageait d'autres choses à venir - l'hégémonie américaine pourrait néanmoins être maintenue par des moyens militaires. 

Mais comme Frederick Engels avait déjà expliqué, en réfutant un autre partisan de la «théorie de la force », la notion qu'on pourrait « débarrasser le monde, grâce au feu des canons Krupp et des fusils Mauser », des contradictions produites par la vie économque – le progrès de l'industrie, le crédit, et le commerce – était une illusion. 

Au courant des 25 dernières années, la politique étrangère américaine, basée sur les missiles de croisière et les drones, les invasions et les opérations de changement de régime justifiées par des mensonges, a produit une débâcle après l'autre. 

Maintenant c’est le retour de manivelle ; les autres puissances capitalistes, grandes ou petites, commencent à conclure que s’atteler au mastodonte américain mène droit au désastre. C’est là la signification historique de leur décision d’adhérer à l'AIIB. 

Comment l'impérialisme américain répondra t-il? En augmentant ses provocations militaires, menaçant de plonger le monde dans de nouvelles guerres. 

En traçant la montée de l'impérialisme américain aux années 1920, Léon Trotsky a remarqué qu'en période de crise, son hégémonie se ferait « sentir plus complètement, plus ouvertement, plus impitoyablement que durant la période de croissance », et qu'il serait tenté de surmonter ses difficultés et ses maladies au détriment de ses rivaux, si nécessaire par la guerre. 

Cependant, il y a un autre aspect, qui est décisif dans l'analyse finale, lié au déclin économique de l'impérialisme américain, si puissamment marqué par les événements d'hier. 

Pendant des décennies, la classe ouvrière américaine était désorientée par l'idée d'une puissance en constante ascension – que « les meilleurs jours » de l'Amérique étaient toujours à l'avenir. La réalité commence maintenant à s’imposer dans la conscience collective de plus en plus brutalement. 

Les événements brisent les illusions du passé et propulseront la classe ouvrière américaine sur la voie de la lutte révolutionnaire, créant ainsi les conditions pour unifier la classe ouvrière internationale dans la lutte pour la révolution socialiste mondiale. 

(Article original publié le 1 Avril 2015)

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