«C'est une excellente convention collective pour notre entreprise»

Les dirigeants de Ford et les investisseurs de Wall Street se réjouissent du nouveau contrat conclu avec l'UAW

Lors d'une conférence téléphonique avec les investisseurs de Wall Street lundi matin, le PDG de Ford Mark Fields et d'autres dirigeants de l'entreprise se vantaient que la nouvelle convention collective de quatre ans conclue avec le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (United Auto Workers, UAW) donnerait au constructeur automobile plus de «flexibilité» pour augmenter le nombre de travailleurs à temps partiel temporaires et ajouter des heures supplémentaires obligatoires tous les jours et les weekends, en plus de pouvoir éliminer des milliers d'emplois dans l'éventualité d'une baisse des ventes.

Le patron de Ford – qui a reçu une augmentation de 83 pour cent, sa rémunération étant de 18,6 millions $ en 2014 – dit que la convention collective augmentera le coût total de la main-d'œuvre du constructeur automobile de moins de 1,5 pour cent par an. À la grande joie des analystes financiers, Fields a déclaré que les coûts supplémentaires comprenant les salaires, les avantages sociaux, les primes de ratification de la convention collective et les montants forfaitaires seront inférieurs au taux général d'inflation.

Après s'être fiés sur l’UAW pour dissimuler et fausser le contenu de la convention collective et l'imposer aux travailleurs de la base en ayant recours à l'intimidation et à la fraude lors des votes, les dirigeants de Ford se sentaient libres de se réjouir devant les analystes de JP Morgan, de la Bank of America/Merrill Lynch, d'UBS, de la Deutsche Bank, de Barclays, de Morningstar, de la Banque Royale du Canada et autres institutions financières.

La conférence téléphonique de 48 minutes vaut la peine d'être écoutée en raison du franc-parler de l'élite patronale et financière et parce que ses commentaires lèvent le voile sur chaque mensonge colporté par l'UAW pour faire adopter la convention collective.

Pendant le processus de ratification qui s'est terminé le 20 novembre parmi de nombreuses allégations que l'UAW aurait ajouté des bulletins de vote au complexe Ford Rouge de Dearborn au Michigan pour atteindre 51 pour cent de «oui», le vice-président de l'UAW James Settles a déclaré que la convention collective était l'«une des plus riches jamais négociées par l'UAW». En fait, elle comprend l'une des plus faibles augmentations des salaires et avantages sociaux de son histoire.

Fields a commencé par remercier l'UAW «d'avoir fait preuve de leadership pour arriver à une convention collective avec comme objectif commun de renforcer Ford». Il a attribué le «succès» de la ratification au «dialogue ouvert» entretenu avec l'UAW, c’est-à-dire la «transparence avec l'un l'autre au cours des négociations» et un «objectif commun».

Fields a esquivé une question d'un journaliste du Detroit News qui a demandé si l'entreprise était préoccupée quant à la façon dont le vote s'était terminé et par la signification d’un vote d'opposition de 49 pour cent des travailleurs. «On ne va pas faire des commentaires sur chaque événement des derniers jours, a dit Fields, ces votes-là ont toujours tendance à être très partagés.»

La convention collective, a dit Fields, met Ford «sur le même pied que ses concurrents nationaux» en éliminant l'avantage de coût de GM et en comblant l'écart avec Fiat Chrysler. La convention collective est «en ligne avec nos prévisions de planification», a dit Fields, avec une baisse de 600 millions $ de nos coûts au quatrième trimestre, une baisse largement utilisée pour payer les 8500 $ de primes versées en échange de la signature de la convention collective que l'entreprise et l'UAW ont utilisés pour exploiter les travailleurs économiquement vulnérables.

Diapositive de la présentation de Ford aux investisseurs

Fields a indiqué que la convention collective «élimine spécialement le plafond» sur l'embauche de travailleurs de second rang moins bien rémunérés, permettant à Ford d'en embaucher sans avoir à convertir une quantité égale de travailleurs dits «en progression» en «travailleurs permanents» mieux rémunérés.

«Alors que nous avons suivi la tendance de rétablir le congé du lundi de Pâques, a-t-il dit, les gains que nous obtenons avec une capacité supplémentaire en heures supplémentaires obligatoires sont importants pour nous. La nouvelle convention collective nous offre plusieurs possibilités d'accroître notre productivité. Nous améliorons de façon importante notre capacité d'utiliser les employés temporaires à moindre coût pour compléter l'effectif en cas d'absence imprévue, de remplacement de vacances et lors des lancements de produits. Cela va aussi nous permettre de réduire nos coûts structurels et d'améliorer la flexibilité de notre personnel.»

Une politique stricte de répression des retards et des absences permettra à l'entreprise d'utiliser des travailleurs temporaires pour remplacer les travailleurs mieux payés qui seront punis pour avoir manqué au travail en raison de blessures reliées au travail ou de responsabilités familiales.

Fields a annoncé avec satisfaction que les horaires de rechange continueront. Ces horaires comprennent habituellement 10 heures et plus de travail quotidien exténuant qui sapent la vie familiale et la santé des travailleurs. La nouvelle convention donne à l'entreprise la «capacité d'imposer des heures supplémentaires obligatoires tous les jours et les weekends afin d'augmenter la capacité de production pour répondre à la demande des clients».

Il a également expliqué qu'«en dépit de nos engagements en matière d'approvisionnement aux États-Unis, nous maintenons notre flexibilité pour tirer parti de notre présence mondiale dans le domaine de la fabrication afin d'améliorer notre compétitivité en matière de coûts des produits que nous pouvons vendre en Amérique du Nord». C'est là une référence aux plans de déménager la majeure partie de la production des petites voitures au Mexique, tandis que les véhicules plus gros et plus rentables seront fabriqués aux États-Unis.

Fields a continué en disant que des économies supplémentaires viendraient du fait qu'il n'y aurait pas d'augmentation des paiements à l'égard des prestations supplémentaires de chômage (PSC) qui assurent aux travailleurs une certaine sécurité de revenu. Joe Hinrichs, président de Ford Amériques, a ajouté que le gel des PSC «nous permettra d'ajuster notre main-d'œuvre de façon assez rentable parce que nos nouveaux employés ont moins d'ancienneté et qu'ils seront les premiers à être touchés en cas de ralentissement». Les PSC pour les travailleurs dits en progression «plafonnent à 26 semaines et équivalent à peu près à 74 pour cent de leur salaire», a-t-il dit.

Les questions posées par les analystes de Wall Street ont porté sur la poursuite de la réduction des coûts pour augmenter les profits de l'entreprise et les rendements des actionnaires. Un analyste de la Bank of America/Merrill Lynch a demandé si la société avait prévu d'éviter l'embauche de travailleurs à bas salaire en extrayant une «plus grande efficacité» de ses effectifs qui devrait réduire de façon significative au cours des huit prochaines années avec le départ des travailleurs âgés à la retraite.

«La convention collective comprend plus de flexibilité pour gérer la réduction des effectifs à l'avenir, a déclaré Hinrichs. Nous sommes très satisfaits de l’état actuel des choses.» La convention collective donne à Ford la «flexibilité pour optimiser l'horaire de rechange», a-t-il dit, un système qui «a très bien fonctionné pour nous dans la dernière convention en nous permettant d'accroître nos capacités et d'utiliser des travailleurs temporaires, en plus de nous permettre de nous entendre avec nos partenaires syndicaux sur les questions des heures supplémentaires quotidiennes et des heures supplémentaires obligatoires les weekends», entente prévoyant notamment six weekends de plus d'heures supplémentaires obligatoires et une demi-heure quotidienne de plus les weekends pour les travailleurs de l'équipe C. Cela permettra à l'entreprise de profiter d'un «effet de levier» sur une main-d'œuvre réduite plutôt que d'avoir à construire de nouvelles usines ou d'embaucher en grand nombre de nouveaux travailleurs.

Un analyste de JP Morgan Chase a salué la convention collective, en disant: «Je pense que c'est un très bon résultat que d'avoir une inflation du coût de la main-d'œuvre de 1,5 pour cent par année, ce qui diffère très peu de l'inflation générale.» Un autre analyste de la Deutsche Bank a fait remarquer que les coûts en main-d'œuvre étant estimés à 5,7 milliards $ par année, l'augmentation ne représenterait qu'entre 80 à 90 millions $ annuellement. (En fait, cela équivaut à environ trois jours de profits compte tenu des 10 milliards $ de profits prévus pour Ford en Amérique du Nord cette année.)

Attirant l'attention sur les mensonges cyniques utilisés par l'UAW et Ford pour vendre la convention collective aux travailleurs, un analyste de la Susquehanna Bank a demandé, «Il y avait un moratoire sur la sous-traitance. J'imagine que ce n'est pas très sérieux. Néanmoins est-ce que cela vous empêchera de faire comme vous avez fait avec GM en termes de partage de l'investissement en capital et de poursuivre des programmes plus gros avec un autre fabricant d'équipement d'origine ou d'autres fournisseurs?

Hinrichs a répondu: «Pour la sous-traitance, nous utilisons le même modèle depuis de nombreuses années. Chaque fois que nous voulons sous-traiter, nous nous assoyons, préparons un plan d'affaires et travaillons avec l'UAW pour en venir à une entente. Nous voyons donc cela plus comme un processus continu plutôt qu'un moratoire et c'est ce qui va se poursuivre avec la présente convention collective.»

En ce qui concerne les coûts en soins de santé, les dirigeants ont clairement indiqué que l'UAW allait travailler avec la société et l'administration Obama pour imposer pour la première fois des coûts payés par les travailleurs permanents tout en maintenant des avantages moindres pour les travailleurs «en progression». «Nous avons un langage très semblable à celui de GM et FCA, dit Hinrichs. Si l'on parle de prélever la taxe d'accise en 2018, des franchises pourraient être mises en place pour compenser le coût de la taxe d'accise...

«Pour ce qui est de faire passer la couverture en soins de santé des travailleurs en progression au niveau de celui des travailleurs permanents, en fin de compte ces coûts ne sont pas aussi importants qu'ils en ont l'air lorsqu'on regarde sur une base annuelle, déclare Hinrichs. Ce sont des employés plus jeunes qui ne coutent donc pas autant en soins de santé que nos employés actuels.»

Fields conclut: «Cette convention collective nous renforce. Nous l'avons obtenue sans interruption de production coûteuse. Par ailleurs, nous conservons notre flexibilité pour ce qui est de l'horaire de rechange, des heures supplémentaires quotidiennes et les weekends. Le plafond pour les travailleurs en progression est maintenant éliminé. Aussi, nous en avons parlé: nous avons la capacité d'utiliser des travailleurs temporaires dans certaines circonstances et, enfin, en dépit de nos engagements en matière d'approvisionnement aux États-Unis, nous avons la possibilité d'utiliser notre présence mondiale pour importer et vendre ici. Donc, avec du recul, nous pensons que cela est une excellente convention collective pour notre entreprise et nos employés et qu'elle renforce notre entreprise.»

(Article paru d’abord en anglais le 1er décembre 2015)

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