Une résolution de l’ONU cache les profondes divisions sur la Syrie

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé vendredi à l’unanimité un projet de résolution fixant un calendrier pour mettre fin à près de cinq ans de guerre civile syrienne et négocier une solution politique à la crise créée par la campagne de changement de régime soutenue par l’Occident.

La résolution, élaborée lors d’une réunion préparatoire avec 20 ministres des Affaires étrangères, dont le secrétaire d’État américain John Kerry, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et leurs homologues iranien, saoudien et turc, laisse sans solution les principaux points de division entre ces pouvoirs.

Elle fournit le squelette d’un processus censé commencer début janvier par une campagne simultanée pour un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations entre forces gouvernementales et opposition sur la formation d’un gouvernement de transition devant être mis en place dans les six mois. Dix-huit mois après le début de ce processus auraient lieu des élections supervisées par l’ONU.

Les questions clés – qui serait inclut dans le cessez-le-feu, qui participerait aux pourparlers, qui constituerait le gouvernement de transition et à qui permettrait-on de participer à l’élection – sont toutes restées sans réponse.

Pendant que Washington et ses alliés régionaux, Turquie, Arabie saoudite et Qatar surtout, armaient et finançaient les milices liées à Al Qaeda qui leur servent de forces mandataires dans la guerre de changement de régime soutenue par l’Occident contre le gouvernement de Bachar el-Assad, Moscou est intervenu militairement pour fournir un appui aérien aux forces gouvernementales qui combattent ces milices. Le gouvernement de Vladimir Poutine cherche à empêcher les États-Unis et leurs alliés de priver la Russie de son unique allié au Moyen-Orient.

L’administration Obama a insisté de nombreuses fois pour dire qu’aucun règlement n’était possible sans éviction d’Assad, position réitérée par Obama lors de sa conférence de presse de fin d’année, le 18 décembre. Pour sa part, la Russie a soutenu Assad en tant que rempart contre le « terrorisme » et a rejeté toute tentative de la part de puissances extérieures de déterminer la composition du gouvernement syrien, affirmant que le sort d’Assad était une question à décider par le peuple syrien.

Pourtant, le nom « Assad » ne figure pas dans le projet de résolution et encore moins toute demande qu’il soit démis de ses fonctions ou encore défendu contre les puissances étrangères qui cherchent à le renverser. Il ne précise pas non plus si le président syrien pourrait se présenter à une nouvelle élection.

Lors de la séance du Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire d’État Kerry a reconnu les divisions qui persistaient sur la question d’Assad. « Il reste de toute évidence de fortes différences au sein de la communauté internationale, en particulier à propos de l’avenir du président Assad» a-t-il dit, ajoutant: « Le président Assad, selon notre jugement, et tout le monde ne le partage pas... a perdu la capacité et la crédibilité de pouvoir unir le pays. »

Le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov a souligné que la résolution adoptée par le Conseil de sécurité constatait que la transition politique devait être dirigée par les Syriens, ce qui représentait selon lui une « réponse claire aux tentatives d’imposer une solution de l’extérieur... sur toute question, y compris celle concernant son président. »

La question a encore été compliquée par la position prise par les chefs de milices et les politiciens en exil contrôlés par l’Occident et récemment réunis par la monarchie saoudienne à Riyad, à savoir que tout régime de transition devait débuter par le départ d’Assad.

Cette position a été présentée à la veille de la session de l’ONU par Riad Hijab, choisi à Riyad comme « coordinateur en chef » de la coalition anti-Assad rassemblée de bric et de broc par les Saoudiens. « Assad et son gouvernement ne doivent pas être au pouvoir, la période de transition doit se faire sans lui et il doit être jugé pour ses crimes », a dit Hijab.

Hijab avait été nommé premier ministre par Assad en 2012 mais avait fait défection deux mois plus tard. Il aurait pris de l’argent offert par le renseignement français et la monarchie qatarie pour inciter de hauts responsables syriens à se joindre à la campagne de changement de régime soutenue par l’Occident.

Le statut de ces soi-disant « rebelles » est le second point majeur opposant leurs sponsors, les États-Unis et leurs alliés régionaux, de la Russie et de l’Iran, qui eux, soutiennent le gouvernement Assad.

La résolution de l’ONU indique que les « groupes terroristes » seront exclus de tout cessez-le-feu proposé à l’opposition, mais quels groupes sont des terroristes et lesquels sont l’opposition n’est pas spécifié. Bien que les deux parties conviennent que l’État islamique d’Irak et la Syrie (EI) tombe dans la catégorie terroriste, il y a de vifs conflits sur le statut d’autres forces islamistes liées à Al-Qaïda.

Washington a longtemps été réticent à préciser quels groupes il considérait comme terroristes et lesquels constituaient la soi-disant « opposition modérée ». Des responsables américains ont dénoncé à maintes reprises la Russie pour avoir attaqué des « cibles non-EI », sans jamais préciser quels groupes selon eux ne devaient pas être frappés.

Le royaume jordanien, qu’on a chargé de faire la liste des groupes terroristes en Syrie, a rapporté qu’un certain nombre de pays approchés lui avait remis des listes avec quinze, vingt, voire plus d’organisations, qu’ils estimaient devoir être classés comme terroristes.

La liste terroriste jordanienne comprendrait plusieurs organisations armées et financées par la Central Intelligence Agency américaine, ainsi que des groupes réunis à Riyad par l’Arabie saoudite dans sa tentative de créer une opposition unifiée.

Kerry a déclaré le 18 décembre que le cessez-le-feu exclurait l’EI ainsi que le Front al-Nusra, filiale syrienne d’Al-Qaïda, et « tout autre groupe que nous pourrions décider à un certain moment de désigner. »

Le ministre jordanien des Affaires étrangères Nasser Judeh a dit croire qu’il y aurait « des mesures de suivi » pour la liste terroriste, « les pays se rencontrant à nouveau pour définir des critères qui aideront à filtrer la liste. »

La Jordanie aurait listé avec l’EI et les groupes du Front al-Nusra comme Ahrar Al-Sham, une formation islamiste fondée par un vieil adepte d’Al-Qaïda, ainsi que d’autres formations islamistes comme Fajr al-Islam, Jaish al-Islam, Jund al-Aqsa et le groupe Harakat Nour al-Din al-Zenki.

Au moment même où le Conseil de sécurité des Nations unies votait une résolution présentée comme une voie vers la paix en Syrie, les développements sur la frontière syro-turque, longtemps un conduit pour l’EI et d’autres milices islamistes, pour les armes comme pour les recrues, menaçaient de transformer le conflit en poudrière capable de déclencher une conflagration mondiale.

L’OTAN a annoncé le 18 décembre qu’elle avait accepté d’envoyer avions et navires de guerre à la Turquie, membre de l’OTAN, pour renforcer ses défenses aériennes à la frontière syrienne. « Nous avons convenu d’un paquet de mesures d’assurance pour la Turquie devant la situation instable dans la région », a dit le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg à l’agence Reuters.

Cette escalade se produit à la suite de la destruction en vol par la Turquie d’un avion militaire russe dans la zone frontalière le 24 novembre, une embuscade délibérée préparée en consultation étroite avec Washington.

Pendant ce temps, l'armée russe a déployé son système avancé de défense aérienne S-400 à la base aérienne syrienne de Hmeimim, à moins de 27 kilomètres de la frontière turque. Cet armement capable de cibler jusqu’à 36 avions simultanément, confère à la Russie la capacité de tirer sur tout avion turc menaçant ses forces, ce qui a le potentiel de déclencher une confrontation militaire directe avec les puissances nucléaires de l'OTAN.

(Article paru d’abord en anglais le 19 décembre 2015)

Loading