Maithripala Sirisena intronisé président du Sri Lanka

Le candidat présidentiel du Nouveau Front démocratique, Maithripala Sirisena, a été intronisé hier soir président du Sri Lanka après la défaite du président sortant Mahinda Rajapakse aux élections du 8 janvier. Sirisena a obtenu 51,28 pour cent des votes, quatre pour cent de plus que Rajapakse. Sirisena a rapidement nommé comme nouveau premier ministre Ranil Wickremesinghe le dirigeant du Parti national uni (UNP).

L’arrivée au pouvoir de Sirisena fait partie de l’opération de changement de régime orchestrée par Washington pour garantir que Colombo soutienne pleinement le « pivot vers l’Asie » du gouvernement Obama, qui vise à l’isolement diplomatique et à l’encerclement militaire de la Chine. L’éviction de Rajapakse était voulue par Washington parce que son gouvernement avait établi des liens militaires avec Pékin. L’arrivée au pouvoir de Sirisena suit le modèle des opérations menées par les Etats-Unis partout dans la région Asie-Pacifique, y compris au Japon et en Australie, et qui ont pour but d’obtenir des gouvernements à cent pour cent en faveur du « pivot ».

Le président américain a rapidement félicité Sirisena et dit que les Etats-Unis « se réjouissaient d’approfondir leur partenariat avec le peuple et le gouvernement sri lankais. » Le secrétaire d’Etat John Kerry a publié un communiqué identique. La veille des élections, Kerry avait téléphoné à Rajapakse pour le menacer implicitement, insistant pour qu’il conduise des « élections libres et équitables » et garantisse une passation du pouvoir « pacifique » au cas où Sirisena remporterait le scrutin.

Si ces messages donnent l’impression d’être routiniers et superficiels, ils sont une indication des efforts concertés entrepris par le gouvernement Obama pour manipuler à ses propres fins les élections sri lankaises. Sirisena, ministre important du gouvernement Rajapaske, a démissionné un jour après l’annonce en novembre dernier de la tenue d’élections et a déclaré vouloir se présenter comme le « candidat d’une opposition commune ». Il fut immédiatement soutenu par l’UNP dans le cadre d’un alignement politique organisé par l’ancienne présidente sri lankaise Chandrika Kumaratunga qui jouit de liens étroits avec Washington.

Suivant l’éviction de Rajapakse, un article paru le 9 janvier dans le New York Times indiquait jusqu’où Washington avait l’intention d’aller pour déterminer la politique étrangère sri lankaise et isoler davantage encore la Chine.

Ce journal déclarait: « La question centrale est de savoir si le Sri Lanka commencera à se distancer de la Chine qui était devenue un allié majeur sous M. Rajapakse, octroyant des prêts à hauteur de milliards de dollars pour la construction de nouveaux ports et de nouvelles autoroutes. Cette tendance avait inquiété l’Inde qui s’était officiellement plainte ces derniers mois après que des sous-marins militaires chinois ont mouillé à l’improviste dans le port de Colombo. »

Le porte-parole pour les Affaires économiques de l’UNP, Harsha de Silva, a dit au journal que le nouveau gouvernement « réexaminerait tous les principaux projets d’infrastructure… Nous adopterons une approche équilibrée entre l’Inde et la Chine, contrairement au régime actuel qui avait presque contrarié l’Inde de par ses rapports étroits avec la Chine. »

Sirisena a suggéré que son gouvernement se montrerait obéissant vis-à-vis des exigences américaines. Dans un bref discours prononcé après son investiture, il a dit que son gouvernement « changerait la politique étrangère afin de nouer des relations amicales avec tous les pays du monde. » Dans son manifeste électoral Sirisena promettait d’établir « des relations équitables » avec l’Inde, la Chine, le Pakistan et le Japon.

Dans une claire référence aux relations de Rajapakse avec la Chine, le manifeste déclarait : « Le pays que l’homme blanc a conquis par la force militaire [en référence au régime colonial britannique au Sri Lanka], ce sont actuellement des étrangers qui l’obtiennent en payant une rançon à une poignée de personnes » et « si cette tendance se poursuivait pendant encore six ans, notre pays deviendrait une colonie et nous serions des esclaves. »

Le premier ministre indien Narendra Modi a téléphoné à Sirisena pour le féliciter. Si le gouvernement Modi n’a exprimé aucune préférence politique durant les élections, les organes de presse indiens, dans leurs reportages à partir de Colombo, soulignaient que Sirisena répondrait aux préoccupations soulevées par New Delhi quant à l’influence chinoise au Sri Lanka et qu’il établirait des relations amicales avec l’Inde.

Le Nouveau Front démocratique (NDF) comprend l’UNP, le parti cingalais extrémiste Jathika Hela Urumaya (JHU) et le Parti démocratique de Sarath Fonseka, candidat à la présidence en 2010. Il a été soutenu par l’Alliance nationale tamoule, la principale coalition des partis de l’élite tamoule, le Congrès musulman du Sri Lanka (SLMC), l’All Ceylon Muslim Congress et plusieurs centrales syndicales. Le parti communautariste cingalais Front populaire de libération (Janatha Vimukthi Peramuna-JVP) a appuyé Sirisena jusqu’au bout tout en restant à l’extérieur du NDF.

Les résultats des élections ont bien plus traduit la haine ressentie par les électeurs à l’égard du régime de Rajapakse qu’un soutien populaire en faveur de Sirisena et de l’UNP. Jusqu’à sa défection du gouvernement, Sirisena en avait été un des piliers et il est entièrement complice des attaques sociales et politiques imposées par Rajapakse. L’UNP est largement discrédité parmi les travailleurs et les pauvres en raison de ses attaques anti-ouvrières impitoyables alors qu’il était au gouvernement.

Des formations de la pseudo-gauche, telle le Nouveau parti pour une société de l’Egalité (Nava Sama Samaja Party, NSSP), l’United Socialist Party (USP) et le Frontline Socialist Party (FSP), portent une responsabilité toute particulière pour avoir canalisé l’opposition populaire des travailleurs et des pauvres des zones rurales vis-à-vis du gouvernement Rajapakse, vers l’aile droite et le front pro-américain qui a soutenu Sirisena. Ils ont tous approuvé l’affirmation frauduleuse selon laquelle l’élection de Sirisena conduirait à un changement « démocratique » par rapport à la « dictature » de Rajapakse. 

Dans les quartiers ouvriers de Colombo et de ses environs, Sirisena a recueilli des scores plus élevés que Rajapakse. Sirisena a battu de façon décisive Rajapakse dans le district de Nuwara Eliya, où vivent principalement des travailleurs des plantations de langue tamoule, recueillant 63,88 pour cent des voix contre 34,06 pour cent pour Rajapakse.

Dans la province du Nord, majoritairement tamoule, le candidat de l’opposition a obtenu plus de 70 pour cent des voix. Dans la province de l’Est qui a une importante population musulmane, son score a, dans certaines circonscriptions, dépassé les 80 pour cent. Les habitants des deux provinces n’ont pas seulement vécu le meurtre brutal de milliers de civils au moment où le gouvernement Rajapakse et l’armée ont écrasé les séparatistes des LTTE en 2009, mais ils ont encore subi une répression militaire continue.

Indépendamment des promesses creuses faites par Sirisena dans son manifeste électoral d’aider la population laborieuse et les pauvres, son gouvernement intensifiera les mesures d’austérité demandées par le Fonds monétaire International (FMI) et mènera plus d’attaques encore contre les conditions de vie et les droits démocratiques. Les exportations sri lankaises sont touchées par une baisse de la demande sur les marchés mondiaux dans les conditions d’une crise mondiale croissante. Selon la Banque centrale du pays, le total de la dette du Sri Lanka est monté à 7,4 milliers de milliards de roupies (65 milliards de dollars), contre 2,2 milliers de milliards de roupies en 2005, 43 pour cent de cette dette représentant la dette extérieure.

Rajapakse se vantait d’une croissance économique actuellement autour de 7 pour cent au Sri Lanka, mais celle-ci a essentiellement été le résultat d’investissements dans des infrastructures financées par des prêts étrangers. Le FMI a demandé à ce que le déficit budgétaire soit abaissé cette année à 5,2 pour cent du produit intérieur brut, contre 5,8 pour cent l’année dernière. L’objectif pour 2016 est de 3,2 pour cent, ce qui nécessitera une attaque massive des droits sociaux des gens ordinaires du Sri Lanka par le gouvernement Sirisena.

Dans le même temps, l’intégration du Sri Lanka par Sirisena à la toile des alliances militaires du « pivot » américain contre la Chine, conformément aux diktats de Washington, accentuera les tensions géopolitiques partout en Asie, multipliant les risques de guerre. Sirisena laissera rapidement tomber ses beaux discours sur la « démocratie et la bonne gouvernance » et déchaînera l’appareil d’Etat policier développé par Rajapakse dans le but de réprimer l’inévitable résistance des travailleurs et des paysans pauvres au programme de l’austérité et du militarisme.

Le Socialist Equality Party (Parti de l’Egalité socialiste, SEP) est intervenu dans les élections présidentielles en présentant son propre candidat, Pani Wijesiriwardena, contre à la fois Rajapakse et Sirisena et ses partisans de la pseudo-gauche.

Le SEP fut l’unique parti à s’opposer au programme réactionnaire de Rajapakse et à avertir que le camp de Sirisena était partie intégrante d’une opération américaine de changement de régime en ligne avec les décisions stratégiques prises par Washington contre la Chine. En unisson avec nos condisciples du Comité International de la Quatrième Internationale, le principal objectif de notre campagne était de construire un mouvement internationalement unifié de la classe ouvrière contre la guerre et la contre-révolution sociale.

Le candidat du SEP, Pani Wijesiriwardena, a obtenu 4.277 voix. Ces voix étaient des voix données consciemment en faveur de la lutte de principe menée par le SEP pour une mobilisation indépendante des travailleurs et des jeunes sur la base d’un programme socialiste internationaliste et pour l’abolition du capitalisme, la cause première de la guerre.

(Article original paru le 10 janvier 2015)

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