Perspectives

L'impérialisme américain et l'enquête sur la corruption à la FIFA

Après des jours d'hyperboles officielles sur leur préoccupation sincère pour la réputation ternie du « beau jeu », l'objectif central des États-Unis dans l'enquête criminelle sur la FIFA, l'organisation directrice du football mondial, n'est que trop clair. 

Mercredi, le FBI a déclaré que son enquête porte maintenant sur les allégations de corruption, de

pots de vin et de fraude électorale liées à l'attribution par la FIFA des Coupes du monde de 2018 et de 2022 à la Russie et au Qatar. C'est un acte politique dirigé contre le régime du président russe Vladimir Poutine et conçu comme une propagande complémentaire indispensable à l'encerclement en cours de la Russie par l'Otan sous direction américaine.

Ce sont des événements extraordinaires qui ont conduit à l'arrestation le 27 mai de neuf hauts responsables de la FIFA et de cinq dirigeants d'entreprises par le ministère américain de la Justice sur la base d'un acte d'accusation pour 47 infractions criminelles à la Loi RICO, dont le racket, la fraude électronique et le blanchiment d'argent. Ils soulignent le fait qu'aucun aspect de la vie n'est exempt des effets de la montée des antagonismes économiques, politiques et militaires, il n'y a pas de limite à ce que Washington est prêt à faire pour imposer sa volonté. 

Le football européen (soccer) n'est pas vraiment une institution sportive majeur aux États-Unis, et l'argent que serait en jeu - 150 millions de dollars sur une période de 24 ans – est négligeable, du moins comparé à la corruption quotidienne du système financier américain. Pourtant, le FBI a consacré des ressources massives et projeté son autorité bien au-delà de ce qui peut être légalement justifié. 

Selon les déclarations officielles, une enquête sur la FIFA a d'abord été lancé en 2009, mais elle ne portait au début que sur des allégations de corruption qui ont émergé suite à l'effondrement du partenaire marketing de la FIFA, International Sports and Leisure, et impliquait les organisations de football CONMEBOL (Amérique du Sud) et CONCACAF ( Caraïbes, Amérique centrale et Amérique du Nord). La plupart des personnes arrêtées le mois dernier en Suisse étaient également associées à ces deux organisations, accusées d'avoir accepté des pots de vin versés avant les Coupes du Monde 1998 et 2010. 

Cependant, les arrestations à l'hôtel Baur au Lac en Suisse n'étaient pas ce que cherchait le FBI. En effet, il a travaillé avec les autorités suisses, qui avaient lancé une enquête criminelle officiellement séparée sur la façon dont, en 2010, la FIFA a attribué les Coupes du Monde de 2018 et 2022. Les personnes arrêtées se trouvaient en Suisse pour assister à la 65e Congrès de la FIFA le 29 mai, au cours duquel Sepp Blatter, la personnalité la plus étroitement associée aux décisions pour Moscou et le Qatar, devait être réélu pour la cinquième fois. 

La campagne contre Blatter, et la tenue de la Coupe du Monde en Russie, avait commencé avant les arrestations. Le 26 mai, un jour avant le raid en Suisse, le sénateur Robert Menendez, qui en avril a été inculpé pour corruption fédérale, et le sénateur John McCain, ont cosigné une lettre à la FIFA demandant que Blatter soit limogé à cause de son « soutien continu en faveur de l’accueil par la Russie de la Coupe du Monde de FIFA de 2018 – malgré les violations continues par la Russie de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et d'autres remises en cause de l'architecture de la sécurité post-Seconde Guerre mondiale ». 

Cette campagne fut intensifiée après l'action du FBI. Au Royaume-Uni, le Prince William, des dirigeants de la Football Association, le Premier ministre conservateur David Cameron, et le probable futur chef du Parti travailliste Andy Burnham, ont tous dénoncé Blatter et/ou se sont tous opposés à la tenue de la Coupe du monde à Moscou et au Qatar. 

Blatter a été placé de plus en plus dans la ligne de mire. Le 1er juin, le New York Times a indiqué qu’un « responsable de haut rang de la FIFA » jusqu’ici anonyme, impliqué dans un prétendu pot de vin de 10 millions de dollars, avait été identifié comme le bras droit de Blatter, le secrétaire général de la FIFA Jérôme Valcke. 

Sony, Emirates, Castrol, Continental et Johnson & Johnson se sont tous retirés en tant que sponsors de la FIFA. 

Puis, le 2 juin, Blatter a annoncé qu'il allait démissionner de la présidence de la FIFA en décembre. Mais cela n'a pas empêché le FBI de déclarer qu'il était également le sujet d’une enquête, tandis qu'une source anonyme a déclaré à Reuters que l'enquête s’était élargie pour inclure les processus d'appels d'offre pour les tournois de 2018 et de 2022. 

Et à point nommé, le secrétaire britannique de la Culture John Whittingdale a déclaré au Parlement que l'Angleterre était potentiellement prête à accueillir la Coupe du Monde 2022. Dénigrant la Russie avec cette proposition, il a fait remarquer que, « nous avons les installations dans ce pays et bien sûr nous avions montée une très impressionnante candidature, quoique sans succès, pour accueillir la Coupe du monde 2018 ». 

Le régime de Poutine à Moscou comprend très bien que c’est lui, et non le Qatar, qui est la cible principale de l'opération américaine contre la FIFA, Poutine a condamné « encore une autre tentative flagrante [des États-Unis] d'étendre leur juridiction à d'autres États ». 

Des responsables russes ont déclaré que la démission de Blatter n’aura pas d'effet sur ​​leurs préparatifs pour accueillir la Coupe, le vice-Premier ministre Arkadi Dvorkovitch a dit au Guardian, « Toute ingérence politique dans les affaires du football est illégale ». 

Illégaux ou non, il serait extrêmement naïf de croire que le tournoi de 2018 se déroulera sans les efforts les plus déterminés par les États-Unis pour l'empêcher. 

Le président ukrainien Petro Porochenko a déjà écrit que la démission de Blatter laisse espérer que « certaines décisions motivées par la corruption » de la FIFA seront annulées. 

En Grande-Bretagne, le 1er juin, les conservateurs et le Parti travailliste ont tous deux évoqué la possibilité d'organiser des Coupes du monde « alternatives » en 2018 et 2022, révélant ainsi que la FA discute actuellement ce projet avec l'UEFA, la fédération de football européenne. L’UEFA s’est réunie hier à Berlin et était, au moins avant la démission de Blatter, prête à discuter d’une scission de la FIFA et la tenue d'un tournoi rival en 2018. 

Compte tenu de la démission de Blatter il se peut que cette « option nucléaire » ne soit pas nécessaire, car la FIFA peut encore abandonner le projet de tenue du tournoi à Moscou. Un article dans le Daily Telegraph du 4 juin a suggéré que, si cela devait se produire, « On dit que le candidat le plus sérieux seraient les États-Unis. [...] ». 

Tout au long de ces événements, la couverture médiatique était continuellement en faveur des démarches des États-Unis – avec à peine la remise en cause de leur prétention à nettoyer les écuries d'Augias de la FIFA. Aucun journaliste faisant autorité n'a soulevé certaines questions évidentes : de quel droit les responsables américains osent-ils dénoncer la corruption à la FIFA, compte tenu de la corruption qui sévit dans les sports aux États-Unis, et des scandales pour des dizaines de milliards de dollars dans le système financier américain, pour lesquels personne n'a été tenu responsable ? De quel droit la classe dirigeante américaine s’arroge-t-elle le pouvoir d'arrêter les individus qui n'ont pas agi dans sa juridiction ni dans son pays ? 

Les motivations géopolitiques évidentes derrière l’intérêt soudain des procureurs américains pour la corruption à la FIFA sont à peine abordées. Une rare exception fut un article de Natalie Nougayrède dans le Guardian qui note que « la notion d'un monde multipolaire a pris un coup. [...] Il y a un renversement saisissant et très public du récit familier selon lequel l'Amérique perd son influence dans les affaires mondiales. Tout d'un coup, parler d'un monde post-américain semble moins convaincant ». 

Les implications sont bien plus profondes que ce que peut croire Nougayrède. Les États-Unis sont prêts à intimider, et à renoncer à des normes juridiques bien établies dans le but de remporter une victoire de propagande et d'isoler davantage Moscou. Mais cela n'est rien par rapport à la criminalité avec laquelle Washington se conduit dans d'autres sphères – l’espionnage des habitants de la planète, les arrestations extra-judiciaires, la torture, les frappes de drones, le lancement de guerres illégales et même le fait d'envisager une guerre contre des puissances nucléaires comme la Russie et la Chine ce qui menace le monde d'une catastrophe inimaginable.

 

 

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