Le Conseil constitutionnel approuve une loi de surveillance draconienne

Le 23 juillet, le Conseil constitutionnel a approuvé avec des modifications mineures une loi de surveillance électronique réactionnaire, qui légalise l’espionnage de masse et la rétention des données électroniques sans l’autorisation d’un juge. La loi, qui met en place l’infrastructure de surveillance d’un état policier en France, a été adoptée en dépit de nombreuses critiques de groupes de droits de l’homme.

Après l'adoption de la loi par le parlement le 24 juin, pour tenter de répondre aux critiques que la loi piétine les droits démocratiques, le président François Hollande a pris l’initiative inhabituelle de soumettre la loi au conseil pour assurer qu’elle ne serait pas contestée comme étant illégale. C’était la première fois qu’un président français a envoyé une loi au Conseil constitutionnel pour approbation avant même qu’elle ait été officiellement promulguée.

Le Conseil a publié un communiqué déclarant la loi conforme à la Constitution. Il a déclaré : « Le Conseil constitutionnel a enfin jugé conformes à la Constitution l'ensemble des dispositions du code de justice administrative qui régissent le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement. »

Le 24 juillet, Gauri van Gulik, directeur adjoint d’Amnesty International pour l’Europe, a déclaré : « La décision du 23 juillet lève le dernier obstacle à l'application de cette loi, qui portera gravement atteinte aux droits humains en France. Les mesures de surveillance qu'elle autorise sont totalement disproportionnées. De larges franges de la population française pourraient bientôt se retrouver sous surveillance pour des motifs obscurs, sans même qu'un juge ait donné son accord»

Le comité de l’ONU pour les droits de l’homme a déclaré que les pouvoirs de surveillance que la loi octroyait aux autorités des renseignements français étaient « excessivement larges ». Il a appelé la France à « garantir que toute ingérence dans la vie privée doit être conforme aux principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité. »

En fait, le Conseil constitutionnel a approuvé une loi antidémocratique, lancée officiellement en profitant de l'émotion produite par l’attentat contre Charlie Hebdo. La décision du Conseil souligne comment l’élite dirigeante française s’est déplacée loin vers la droite, en réponse à la montée des tensions sociales en mettant en place l’infrastructure d’un État policier en France.

La loi autorise les services de renseignement à mettre sur écoute des téléphones, à lire des emails, et à pirater les ordinateurs, et transforme l’industrie des télécommunications en extension de l’appareil de surveillance de l’État. Les fournisseurs de services Internet et de téléphone doivent surveiller les métadonnées, y compris le temps et la fréquence d’utilisation des sites Web donnés. Ils doivent aussi installer des « boîtes noires, » des algorithmes complexes permettant de signaler aux autorités toute personne dont le comportement en ligne est réputé « suspect. »

Grâce à ces algorithmes secrets, l’État peut dresser automatiquement des profils politiques détaillés de l’ensemble de la population, sélectionner les opinions et les sites web dont il veut suivre les adeptes, et, éventuellement, les cibler pour la répression et l’arrestation.

La loi autorise les services des renseignements à écouter les communications mobiles et numériques de toute personne liée à une enquête de « terreur » et à installer des caméras et des micros secrets dans les maisons privées. Ils peuvent aussi installer des logiciels sur les ordinateurs pour suivre les frappes en temps réel. La loi autorise aussi l’utilisation de « IMSI Catchers », qui imitent les tours de téléphonie cellulaire et recueillent tous les données de localisation et de transmission de tous les téléphones portables dans une région.

La loi met également en place un groupe consultatif, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – composée de magistrats, députés et sénateurs – afin de permettre un espionnage plus intrusif hors de tout contrôle juridique.

Comme la loi menace clairement les droits démocratiques fondamentaux, le Conseil a voulu fournir une couverture pseudo-démocratique pour l'espionnage de masse en annulant symboliquement certains articles de la loi.

Le Conseil a invalidé un article traitant de la surveillance des communications internationales qui auraient permis l’interception de communications « émises ou reçues » à l’étranger. Il a rejeté une clause mettant les gens hors de France sous surveillance. Il a aussi rejeté un article permettant aux renseignements d'effectuer une surveillance sans autorisation dans des situations d’urgence.

Le rejet de ces provisions ne nuit pas à la fonctionnalité de la loi. Même si les agences d’espionnage obéissaient à ces restrictions — ce dont il est permis de douter, vu le fait largement rapporté que l’espionnage de masse s'est déroulé sans entrave avant que la loi soit adoptée — les renseignements français peuvent intercepter des communications internationales grâce à ses alliés étrangers ou en ciblant directement les étrangers hors de France.

Le cabinet de Hollande a salué l’approbation de « l’essentiel du contenu de la loi » et a déclaré que le rejet de certains articles ne poserait pas obstacle au travail des agences de renseignement.

Le PS a salué la décision du Conseil et affirmé cyniquement que la loi de surveillance protégerait les citoyens français du terrorisme tout en respectant les libertés civiques. Selon un communiqué de l’Élysée, « cette loi donne aux services de renseignement des moyens modernes et adaptés à la menace à laquelle nous sommes confrontés, tout en respectant les droits individuels et la vie privée. »

Jean-Jacques Urvoas, le député PS qui a rédigé la loi, s'est vanté : « La quasi-totalité de la loi sur le renseignement est jugée conforme à la Constitution, aucun des griefs médiatiquement agités n’ayant été retenu. Contrairement à ce qui été martelé, ce texte n’organise en rien une surveillance de masse. C’est au contraire une loi qui garantit la protection des libertés par le renforcement de l’Etat de droit. »

En fait, l’espionnage de masse en France est largement comparé à la loi « Patriot » américaine, introduite au lendemain de l’attaque terroriste de 9/11. Cela a donné à la National Security Agency (NSA) américaine la capacité de stocker et de fouiller les données de la population des États-Unis et du monde entier, comme l'a révélé le lanceur d’alerte Edward Snowden.

(Article paru d'abord en anglais le 29 juillet 2015)

Loading