L’OTAN soutient l’offensive américano-turque de changement de régime en Syrie

L’OTAN a accordé mardi au président Recep Tayyip Erdo&;an un soutien unanime pour que la Turquie rejoigne l’offensive militaire menée par les Etats-Unis contre l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, qui sert de couverture à l’intensification de l’intervention de Washington contre le régime syrien du président Bachar al-Assad. 

La contrepartie obtenue par la Turquie est l’appui de Washington dans ses attaques contre des forces kurdes qui, il y a une semaine, étaient encore acclamées par Washington et le reste de l’OTAN comme clé de voûte de la lutte contre l’EI. 

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré, « Nous sommes fortement solidaires de notre allié, la Turquie… pour répondre à l’instabilité aux portes de la Turquie et aux frontières de l’OTAN. » 

La Turquie, dont armée est la deuxième de l'OTAN et compte un million d'hommes, projette d’envahir la Syrie, d'occuper des zones tampon le long de la frontière turque, et ainsi de permettre à ses forces de cibler l’EI. De telles zones serviront de bases contre les forces kurdes syriennes du Parti de l’Union démocratique et de ses milices, les Unités de protection du peuple (PYD/YPG). 

Elles créeront de plus un abri sûr pour les soi-disant forces « modérées » anti-Assad, qui sont armées et financées par les Etats-Unis et leurs alliés, afin de préparer le renversement du régime de Damas, allié à la Russie et à l’Iran. 

Le PYD/YPG est allié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et au Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) en Irak. Il a mis en place une région autonome dans le nord-est de la Syrie. Ankara s’oppose à une région kurde autonome en Syrie par crainte qu’elle n'absorbe le sud-est de la Turquie. 

Alors que les Etats-Unis avaient lontemps refusé les propositions du Parti de la Justice et du Développement (AKP) d’Erdogan pour établir des « zones d’exclusion aérienne » en Syrie, Washington accepte maintenant des « zones de sécurité » qui reviennent à la même chose. 

Durant la décennie avant l’invasion de l’Irak en 2003, les Etats-Unis s’étaient servis de « zones d'exclusion aérienne » en Irak afin de bloquer l'armée de l'air irakienne et cibler ses défenses antiaériennes. Sous prétexte d’établir des zones semblables en Libye censées protéger les manifestants anti-Kadhafi, les Etats-Unis et l’OTAN avaient mené en 2011 une guerre aérienne coordonnée avec des milices islamistes pour détruire le régime libyen et assassiner son chef. 

Ces derniers préparatifs constituent une atteinte flagrante à la souveraineté de la Syrie et, de fait, une déclaration de guerre contre Damas. Ces plans font partie d’une stratégie plus large de Washington de dominer toutes les ressources du Moyen-Orient. 

Ankara a permis aux Etats-Unis d'utiliser les bases aériennes turques d’Incirlik et de Diyarbakir pour attaquer l’EI en Syrie et en Irak. Washington a refusé de nommer les forces « modérées » qu’il soutient en Syrie, car qu’il n’existe aucune force anti-Assad efficace à part les différentes milices islamistes liées à al-Qaïda, dont l’EI et al-Nosra, et les milices kurdes.

Malgré son discours sur une « guerre contre la terreur », l'armée américaine, en entreprenant une prétendue lutte contre l'EI, servira sans doute de force aérienne aux milices terrestres liées à al-Qaïda. 

La réunion de 90 minutes à Bruxelles a préparé à une guerre de l’OTAN en Syrie. La réunion a été convoquée à la demande de la Turquie au titre de l’article 4 du traité de l’Atlantique Nord, afin de permettre à Ankara de consulter ses alliés au sujet de menaces à sa sécurité. 

Erdo&;an a dit, « En ce moment, la Turquie est la cible d’attaques, elle use son droit de légitime défense qu'elle exercera jusqu’au bout. » Il a ajouté, « il pourrait y avoir une obligation pour l’OTAN, et nous demandons à l’OTAN d’être prêt à cette fin. » 

Il faisait allusion à l'attentat-suicide la semaine dernière à Suruç, ville du sud-est à majorité kurde, de qui a tué 32 militants qui prévoyaient de se rendre à la ville syrienne de Kobane pour aider à sa reconstruction. Le gouvernement turc affirme que l'attentat a été mené par l'EI, mais l'EI ne l'a pas revendiqué. 

L'explosion de la bombe à Suruç a déclenché des attaques du PKK, qui ont servi de prétexte à une répression de l'opposition interne, avec l'arrestation de plus de 1.000 membres présumés de l'EI, du PKK, et de groupes de gauche. Au cours des derniers jours, cinq agents de sécurité turcs et quatre civils ont trouvé la mort dans des affrontements. 

La nuit de dimanche, des avions de combat turcs ont frappé le PKK dans le nord de l'Irak. Le PKK a déclaré que les attaques signifiaient la fin de la trêve fragile convenue en 2013, après 30 ans de conflit armé qui ont fait 40.000 morts. 

Mevlut Cavusoglu, le ministre des Affaires étrangères turc, a déclaré lundi qu'il expliquerait les menaces auxquelles son pays fait face : « Nous nous attendons à la solidarité et au soutien de nos alliés de l'OTAN ». Il a refusé d'établir une distinction entre l'EI et le PKK, en disant: « Il n'y a pas de différence entre le PKK et Daesh [l'EI]. Vous ne pouvez pas dire que le PKK est meilleur parce qu'il combat Daesh ». 

Un des aspects les plus frappants de la réunion de l'OTAN est que tous les puissances européennes semblent prêtes à soutenir les projets de la Turquie qui font planer la menace d' une guerre régionale plus large ainsi que la recrudescence des conflits internes au sein de la Turquie. 

Cependant, l'Allemagne, où vivent près de quatre millions de Turcs, dont environ un million de Kurdes,a déclaré que la réponse de la Turquie devrait être proportionnelle à la menace à laquelle elle est confrontée. Berlin a insisté que le processus de paix avec les Kurdes devrait se poursuivre. 

Cette position est profondément cynique, car Ankara est déjà en guerre contre les Kurdes. Berlin avait précédemment établi des liens étroits avec le GRK dans le nord de l'Irak, armant les milices kurdes peshmergas iraquiennes et, indirectement, les Kurdes syriens. L'Allemagne forme aussi des combattants peshmergas. 

Maintenant, il semble que les puissances européennes et les Etats-Unis sont tous prêts à abandonner les Kurdes, leurs anciens alliés contre l'EI, et à soutenir la Turquie. Ils croient manifestment que la Turquie, la 17e économie mondiale, est un atout régional plus précieux pour dominer le Moyen-Orient et prendre le dessus sur la Russie et la Chine. 

Pendant les premières années de la guerre civile syrienne, la Turquie – ainsi que Washington – a

activement soutenu l'EI et d'autres forces islamistes afin de renverser Assad, de contenir les Kurdes et d'empêcher l'émergence d'un Etat kurde en Syrie. Plus récemment, sous la pression des États-Unis suite à l'émergence d'EI comme menace pour les intérêts américains en Irak, elle a adopté à contrecœur une approche anti-EI plutôt discrète. 

Après l'abandon par les États-Unis de leur projet de faire la guerre à Assad en 2013, la Turquie s'est trouvée contrecarrée dans sa tentative d'utiliser l'alliance avec Washington pour s'établir comme puissance prédominante régionale. Elle estime que maintenant elle peut la devenir. Le Premier ministre Ahmet Davuto&;lu a déclaré à CNN lundi que l'existence d'EI est le résultat de l'inaction internationale contre le régime Assad en Syrie. 

« Assad a perdu sa légitimité il y a longtemps », a-t-il dit. « Malheureusement, en raison de l'inactivité de la communauté internationale, il a poursuivi ses crimes et il a créé un vide du pouvoir ... L'élimination d'EI est, bien sûr, un objectif stratégique, mais il devrait y avoir d'autres éléments. Il nous faut une stratégie sur l'avenir de la Syrie ». 

Le gouvernement AKP, secoué par les fréquentes volte-faces de Washington qui ont déstabilisé la région, est confronté à des troubles sur le front intérieur, avec des grèves sauvages dans l'industrie automobile alors que l'économie cale après des années de croissance rapide. En plus, il y a eu d'importantes manifestations de rue, des barrages de routes, des incendies de véhicules, en particulier à Istanbul et dans les provinces de l'Est, à majorité kurde. 

Ayant perdu sa majorité absolue aux élections de juin, l'AKP a été incapable jusqu'ici de former un gouvernement de coalition. Un élément important des calculs d'Erdogan est de favoriser un climat de peur qui permettrait à l'AKP d'obtenir une majorité parlementaire dans d'éventuelles élections.

 

(Article paru en anglais le 29 juillet 2015)

 

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