Yémen: cent vingt civils tués par des frappes aériennes saoudiennes appuyées par les Etats-Unis

Des avions de guerre saoudiens ont tué au moins cent vingt civils lors de frappes aériennes sur la ville de Taiz, le 24 juillet au soir. Les frappes ont détruit des bâtiments habités par des familles ouvrières ainsi qu'une installation agricole proche. 

Ce n’est là que le plus récent des massacres de civils commis lors de la campagne de bombardements commencée en mars, menée par la coalition conduite par Riyad et soutenue par Washington. 

Malgré que Riyad prétende que de tels événements sont accidentels, les preuves sont de plus en plus nombreuses montrant que l’aviation saoudienne attaque les zones civiles systématiquement. La guerre est destinée à terroriser les masses yéménites pour qu'elles s'opposent à la prise de contrôle des Houthis et qu'elles acceptent une réimposition du gouvernement fantoche du président Abd Rabo Mansour Hadi et par là, la restauration du contrôle américano-saoudien du pays. 

Les massacres de civils sont devenus « maintenant la nouvelle tendance des frappes aériennes de la coalition », a déclaré un représentant de Médecins Sans Frontières (MSF) à l'Associated Press. « C'est une maison, un marché, n'importe quoi », a-t-il dit, parlant du ciblage direct des zones civiles par la coalition arabe. 

En mai, les responsables militaires saoudiens ont déclaré que la forteresse Houthi de Saada serait considérée comme une «zone militaire», à savoir une zone de tir à volonté et fait larguer des tracts ordonnant à tous les civils de quitter la ville. Des enquêteurs de l'ONU ont fait valoir que la coalition saoudienne ciblait sciemment les « civils pris au piège ».

Jusqu'à 140 frappes saoudiennes ont ravagé des quartiers de Saada vendredi. Les frappes ont intentionnellement ciblé des zones civiles où, selon les affirmations des planificateurs militaires saoudiens, les insurgés houthis ont placé des caches d'armes et de munitions. Le même jour, d’autres frappes ont touché des zones habitées de la ville côtière de Moka.

Selon toute apparence, les pilotes saoudiens jouissent d'une autorisation permanente de lancer leurs bombes sur des zones civiles.

Un communiqué de presse d'Amnesty International, du 1er juillet, intitulé « L’analyse des frappes et des armes montre que les forces conduites par l'Arabie saoudite ont tué des dizaines de civils avec des bombes de grande puissance», documente la mort d'au moins 54 civils tués par une série de frappes sur les villes de Sanaa et Taiz entre le 12 et le 16 juin.

Le rapport décrit une attaque où une bombe de 2000 livres est tombée directement sur une maison de banlieue tuant au moins 10 civils.

Comme récompense de leur participation à cette campagne aérienne sanglante, on a offert à quelque cent pilotes saoudiens des voitures de sport haut de gamme.

La catastrophe humanitaire qui frappe la population civile atteint maintenant « un niveau sans précédent », selon un communiqué de la Croix-Rouge internationale publié vendredi. Le brutal assaut saoudien a contribué officiellement à la mort d'au moins 1.700 civils en un mois et a dévasté l'infrastructure du Yémen au point que quelque 80 pour cent de la population n'a plus régulièrement accès à la nourriture ou à l’eau.

Suite aux morts civiles massives de vendredi, les autorités saoudiennes ont appelé à un cessez-le-feu de cinq jours pendant le week-end, sous prétexte de vouloir permettre à l'aide humanitaire d'entrer dans le pays.

Il y a tout lieu de croire que ce cessez-le-feu est une manœuvre visant à obtenir un moment de répit pour que la coalition saoudienne réarme ses bombardiers et réajuste sa stratégie au sol. Suivant le modèle des «trêves» précédentes déclarées par les Saoudiens, les combats ont continué à faire rage sur le terrain dans les heures qui ont précédé le début officiel de la trêve.

Des représentants houthis, citée par l'Associated Press, ont déjà dénoncé le fait que le cessez-le-feu visait à préparer « le début d'une nouvelle guerre ».

La guerre menée par l'Arabie saoudite, qui a tué des milliers de civils et produit un cataclysme social, est en train de devenir une guerre terrestre hybride complète du type de celles fomentées par l'impérialisme américain en Libye et en Syrie.

Les pouvoirs arabes se préparent à lancer une nouvelle offensive au sol, utilisant une série de forces par procuration fraîchement formées et rassemblées dans les zones le long de la côte sud récemment reprises par les Houthis.

En échange de leur loyauté, les formations de militants pro-saoudiens qui s'étaient rangées du côté de la coalition saoudienne et du gouvernement en exil de Hadi, ont été équipées de centaines de véhicules blindés par les Etats du Golfe.

Des centaines de combattants ont déjà reçu, dans de nouveaux camps militaires établis dans la périphérie d'Aden, une formation de la part de «conseillers» de l'Arabie saoudite, de l'Égypte, des Émirats arabes unis et de la Jordanie.

Ce n'est pas un hasard si ces opérations portent l'empreinte des machinations orchestrées par Washington dans toute la région. Dès le début de la guerre, des conseillers militaires américains avaient aidé à organiser la campagne de bombardement à partir d'une cellule de planification conjointe, intégrée au commandement de la coalition saoudienne.

Dans la période qui a précédé le lancement de l'opération Tempête Décisive en mars, l'ambassadeur saoudien aux États-Unis avait présenté, pour contrôle, une liste de cibles au directeur de la CIA John Brennan. Des navires de la flotte américaine sont déployés depuis des mois et appuient le blocus saoudien des ports yéménites.

Washington considère la guerre au Yémen comme une occasion de remodeler l'ordre politique régional en mettant sur pied une nouvelle coalition militaire arabe dominée par ses principaux «partenaires régionaux», en particulier l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, des monarchies du Golfe armées jusqu'aux dents par le gouvernement Obama.

Une nouvelle analyse produite par Anthony Cordesman du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS), un groupe de réflexion de premier plan de l'appareil militaire et de renseignement américain, montre clairement qu’on est en train de faire de la coalition conduite par l'Arabie Saoudite, au-delà du rôle immédiat qui est le sien dans la guerre contre le Yémen, un instrument de l'hégémonie régionale des États-Unis.

Dans l'introduction de son « Partenariat stratégique arabe-américain et l’évolution de l’équilibre de la sécurité dans le Golfe » qui sera bientôt publié sous la forme d'un livre de 600 pages, Cordesman fait valoir que la coalition de cette guerre du Golfe doit devenir une force stratégique capable de mener une gamme d'interventions au-delà du Yémen.

« Le partenariat stratégique entre Etats arabes du Golfe et celui avec les États-Unis et avec d'autres Etats extérieurs, doit maintenant évoluer pour prendre en compte et les menaces militaires classiques et une gamme de menaces nouvelles, dont celle d’extrémistes idéologiques, d’acteurs non étatiques, de leurs sponsors étatiques et celle d'un nombre croissant de forces conçues pour mener des guerres asymétriques » écrit Cordesman.

Cordesman écrit que le principal ennemi politique du « partenariat stratégique arabe-américain » est le gouvernement iranien. Il soutient que les Etats arabes devraient poursuivre une ligne anti-iranienne agressive dans la région, confiants dans leur supériorité militaire sur Téhéran.

Les chiffres compilés par le rapport du CSIS montrent en effet que les Etats du Golfe ont largement dépassé l'Iran en matière d'armement et d'autres dépenses militaires depuis 2001: $600 milliards comparés aux $140 milliards de dépenses de Téhéran.

Tout en poursuivant au Yémen une guerre visant à intensifier la pression sur Téhéran, les Etats-Unis ont initié, avec l'accord récemment négocié sur le programme nucléaire iranien, un changement en vue d’aligner potentiellement l'Iran sur leur stratégie plus large au Moyen-Orient.

 

(Article paru en anglais le 27 juillet 2015)

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