Les questions politiques posées par la grève des conducteurs de train allemands

Cet article a été publié lors de la toute récente grève des conducteurs de trains en Allemagne et distribué sous forme de tract. La grève d’une semaine menée par le syndicat GDL était la septième conduite dans le cadre de négociations collectives avec la société des chemins de fers allemands DB et s’est terminée sans résultat dimanche.

L’esprit combatif des conducteurs de train et du personnel d’accompagnement allemands est d’une extrême importance. Après sept reconductions du mouvement de grève et huit mois de négociations collectives, ils ont débuté la plus longue grève de l’histoire de la Deutsche Bahn (DB, société des chemins de fer allemands).

Contrairement aux comptes rendus des médias, de nombreux travailleurs d’autres secteurs ont salué cette grève. Ils ne savent que trop bien quels sont problèmes auxquels les conducteurs de train et le personnel d’accompagnement sont confrontés au quotidien. Des emplois sont supprimés partout et les conditions de travail se dégradent. Les travailleurs sont en train de subir un matraquage constant.

Parallèlement à la grève des conducteurs de train, des conflits sociaux et des mouvements de protestation ont lieu chez les postiers de la Deutsche Postbank, dans les hôpitaux, comme à l’hôpital de la Charité à Berlin, dans les crèches, les écoles et autres lieux de travail. En même temps, une armée de millions de travailleurs à bas salaire, ceux qui vivent de Hartz IV et les travailleurs précaires sont poussés dans une pauvreté de plus en plus grande.

La grève des conducteurs de train et du personnel d’accompagnement sera vue comme le prélude d’une lutte contre une élite financière impitoyable qui ne cesse de s’enrichir aux dépens de la société. Le patron de la DB, Rüdiger Grube, son négociateur en chef, Ulrich Weber, et d’autres membres du conseil d’administration gagnent des millions par an, et dans certains cas dix mille euros, ou plus, par jour.

Par leur grève, les conducteurs de train disposent d’un pouvoir énorme. Le processus de production industriel qui fonctionne selon un rythme très tendu afin d’éviter tout coût d’entreposage, signifie qu’une grève dans le transport ferroviaire est capable de paralyser la production en l’espace de juste quelques jours. Les associations patronales parlent de pertes de l’ordre de 100 millions d’euros par jour de grève, pour le seul transport de marchandises.

Il serait toutefois erroné et irresponsable de suggérer que les problèmes auxquels font face les travailleurs peuvent être résolus rapidement et facilement par l’utilisation de la grève. Affirmer qu’une grève qui dure quelques jours contraindrait la direction de la DB à céder, serait totalement sous-estimer l’ampleur et la signification de la lutte.

Le conseil d’administration de la DB collabore étroitement avec le gouvernement qui est encore actionnaire de la Bahn AG. Le gouvernement a préparé cette confrontation dans le but de faire plier les conducteurs de train et initier par-là une massive série d’attaques contre chaque secteur de la classe ouvrière.

Les médias mènent d’ores et déjà une campagne contre la grève. Les représentants du gouvernement exigent un arbitrage obligatoire dans le but d’étouffer la grève. Si ce plan ne fonctionnait pas, il serait fait appel aux tribunaux pour interdire la grève au motif qu’elle est excessive et acculer le syndicat à la ruine en lui infligeant des paiements compensatoires.

La Fédération allemande des syndicats (Deutscher Gewerkschaftsbund – DGB) se positionne clairement du côté du gouvernement et du comité directeur de la DB. Elle a mobilisé des briseurs de grève et s’efforce d’isoler les conducteurs de train grévistes.

Les travailleurs en grève doivent réagir à cette attaque en recourant à la même rigueur et à la même détermination pour se préparer à une intensification de la lutte de classe.

Ceci requiert avant tout une compréhension de l’importance politique et de l’ampleur de la grève des conducteurs de train et du personnel d’accompagnement. Les conceptions traditionnelles du syndicalisme militant sont insuffisantes. Pour mener à bien la grève, il est indispensable de lutter pour un programme socialiste international.

La grève se déroule dans le contexte d’une aggravation de la crise internationale du capitalisme et de l’Union européenne. Le gouvernement a réagi à cette crise en ravivant le militarisme allemand. Une remilitarisation massive a été initiée après les déclarations faites l’année dernière par le président Joachim Gauck et d’autres figures du gouvernement sur la fin de la retenue militaire allemande.

Dans ces circonstances, l’éruption de la lutte de classe est inévitable et elle doit revêtir une forme politique. Pour lever les milliards d’euros devant servir à l’armement, le gouvernement est en train de préparer de massives coupes sociales. Parallèlement, les droits démocratiques sont attaqués en préparation à de nouveaux déploiements de l’armée allemande en dépit d’une vaste opposition populaire.

Au centre de cette attaque se trouve l’abolition du droit de grève. Telle est la signification de la loi sur l’unité des conventions collectives que la ministre de l’Emploi, Andrea Nahles (Parti social-démocrate, SPD) est en train de faire passer rapidement au parlement pour la faire entrer en vigueur avant la pause estivale. Pour ce faire, elle travaille étroitement avec le DGB.

L’objectif de la loi est de cimenter le contrôle de la bureaucratie du DGB sur tous les lieux de travail. A l’avenir, seuls les syndicats du DGB auraient le droit de négocier les accords salariaux, de déterminer leur durée et donc de décider quand les travailleurs n’auront pas le droit de faire grève. Chaque grève organisée par les travailleurs eux-mêmes serait par avance considérée comme illégale.

Depuis de nombreuses années, les syndicats du DGB sabotent chaque lutte importante des travailleurs. Ils ont miné le droit fondamental des travailleurs de s’opposer aux suppressions d’emplois, aux réductions de salaires et à l’augmentation du stress au travail.

Le Syndicat des chemins de fer et des transports (Eisenbahn- und Verkehrsgewerkschaft, EVG) qui est affilié au DGB, opère depuis toujours comme un « syndicat maison » docile. Il est indiscernable du comité directeur de la DB. Il a organisé des suppressions d’emplois à très grande échelle. Ceci eut pour conséquence des heures supplémentaires illimitées, des restrictions dans les temps de pause, du stress au travail, des jours entiers d’absence des travailleurs loin de leurs familles et autres conditions de travail précaires.

Les fonctionnaires du syndicat DGB sont indemnisés pour les services rendus par des salaires et des privilèges princiers. L’ascension de Norbert Hansen – qui passa directement de son poste de président du syndicat du DGB Transnet à celui de chef du personnel de la DB et engrangea des millions dans le processus – est encore dans toutes les mémoires.

La raison de la transformation des syndicats n’est pas seulement la corruption indéniable d’un grand nombre de leurs fonctionnaires. La dégénérescence des syndicats et de leurs directions en instruments du patronat et du gouvernement, un processus qui a eu lieu simultanément dans le monde entier, a de profondes causes objectives dans la transformation de l’économie mondiale en général. La mondialisation de la production a détruit les fondements objectifs de toute politique sociale et relative au marché du travail fondée sur l’Etat-nation.

Si, dans le passé, les syndicats ont été en mesure de faire pression sur les entreprises pour obtenir du moins par moments des concessions pour les travailleurs, de nos jours la situation est exactement inverse. Les syndicats et les comités d’entreprise soumettent les travailleurs au chantage pour mettre en œuvre des coupes sociales et pour créer des avantages compétitifs pour les sociétés.

Il est extrêmement important de comprendre cette base objective de la transformation des syndicats parce que la même analyse s’applique tout autant aux petits syndicats spécialisés.

Le dirigeant du GDL, Claus Weselsky et le syndicat se comportent comme si, à l’ère de la crise mondiale du système capitaliste, un syndicat national était capable de défendre les intérêts des travailleurs à la condition d’être un tant soit peu plus combatif et moins corrompu. C’est une illusion. En réalité, la lutte pour la défense des droits et des acquis des travailleurs soulève immédiatement la question de la perspective politique. Et, sur ce point, les petits syndicats sont d’accord avec les syndicats du DGB en dépit de leurs différences sur des questions secondaires. Tous deux soutiennent et défendent le système du profit capitaliste.

Telle est la véritable raison de la réserve de Weselsky qui, pour de nombreux conducteurs de trains, semble n’être que simple indécision ou hésitation. Weselsky ne veut pas lutter contre le gouvernement. Il est lui-même un adhérent de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). Il cherche seulement, à l’aide de la grève et d’un certain discours combatif, à inciter le gouvernement et le comité directeur de la DB à faire un compromis. Mais ces derniers ne sont pas intéressés à un compromis. Ils veulent une capitulation qui préparera le terrain à un nouveau train d’attaques sociale massives.

Si la grève demeure sous le contrôle du GDL et reste subordonné à la perspective nationale limitée du syndicat, elle sera vouée à l’échec. Au lieu de cela, la grève doit devenir le point de départ d’un vaste mouvement politique contre le gouvernement. Les conducteurs de train qui franchissent souvent des frontières nationales et qui ont des liens internationaux, doivent demander le soutien des travailleurs partout en Europe, qui sont confrontés aux mêmes questions fondamentales.

Les conducteurs de train et tous les travailleurs doivent dépasser les limites des conceptions du syndicalisme militant pour se tourner vers une nouvelle perspective politique. L’espoir qu’il sera peut-être possible de contrecarrer la dictature du DGB au moyen d’un syndicat spécialisé moins corrompu et plus combatif s’est révélé faux. Ce qui est nécessaire, c’est un parti politique qui s’oppose au profit capitaliste, se base sur une stratégie internationale et lutte pour un programme socialiste. Ce parti existe, c’est le Partei für Soziale Gleichheit (PSG).

Les travailleurs doivent se rappeler leur propre histoire, qui n’a pas débuté par les syndicats mais par un parti socialiste et révolutionnaire. Sous la direction d’August Bebel et de Wilhelm Liebknecht, et sur la base des théories de Karl Marx et Friedrich Engels, l’ancienne social-démocratie a éveillé la classe ouvrière à la vie politique. Les syndicats sont apparus plus tard et forma, dès le début, l’aile droite, pro-capitaliste, du SPD.

Les syndicats portent une lourde part de responsabilité dans la grande trahison de 1914 lorsque le SPD a soutenu la Première Guerre mondiale. Ils ont aussi rejeté le soulèvement de novembre 1918 et la Révolution russe d’Octobre 1917. Plus tard, ils utilisèrent les crimes des staliniens pour justifier leur anticommunisme.

Léon Trotsky, l’Opposition de gauche et la Quatrième Internationale les ont combattu inlassablement et ont défendu une perspective socialiste. Le Partei für Soziale Gleichheit représente cette continuité historique. La construction de comités de base du PSG, la discussion de ces questions historiques et leur clarification sont des tâches essentielles à la préparation de la prochaine résurgence de la lutte de classe dont la grève actuelle est le commencement.

(Article original paru le 7 mai 2015)

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