‘Münkler-Watch’ et l’accusation d'anonymat: une diversion

La meute de journalistes allemands qui persécutent le blog ‘Münkler-Watch’ s’est fixée sur l’anonymat des blogueurs. Elle attaque et insulte les étudiants qui critiquent les conférences hebdomadaires de Herfried Münkler, professeur de sciences politiques à l’université Humboldt de Berlin, parce que ceux-ci ne révèlent pas leur identité.

Munkler lui-même les a qualifié de « misérables lâches» et accusés de mener une « guerre asymétrique, » terme qui inclut à la fois guérilla et terrorisme. La presse produit, sur tous les tons, des variations sur le même thème.

Il s’agit là d’une diversion classique. La question de l’anonymat est utilisée pour détourner l’attention des vrais problèmes.

Tout d’abord, « Münkler-Watch » n’est pas vraiment anonyme. C’est un site web accessible au public avec une section commentaires et une adresse e-mail pour contacter les auteurs. Plusieurs d’entre eux ont rencontré des représentants des médias.

Ils ne sont pas tenus de révéler leurs noms. La critique anonyme est un droit fondamental sans lequel le principe constitutionnel de la liberté d’expression deviendrait lettre morte. Partout où le faible affronte le fort ou un subordonné son supérieur, il doit pouvoir exprimer son opinion sans révéler son identité.

Münkler et l’historien Jörg Baberowski exercent une influence considérable à l’Université Humboldt, ce qui leur permet de décider de l’avancement et des perspectives de carrière de leurs étudiants. Dans ces conditions, une critique honnête n’est guère possible si celui qui critique doit révéler son identité.

Partout où une personne est en mesure d’en discriminer une autre parce qu’elle l’a critiqué, celui qui critique doit pouvoir se protéger grâce à l’anonymat. Ce principe a été confirmé par des décisions des plus hautes instances judiciaires et il est fermement établi dans le domaine universitaire, professionnel et politique.

L’évaluation anonyme par les enseignants et les supérieurs est d’usage dans de nombreuses écoles et entreprises. Les examens sont souvent corrigés anonymement dans les universités. Les élections sont secrètes par principe, afin que personne ne puisse être discriminé en raison de son vote.

Tout cela est remis en question par ceux qui attaquent les blogueurs en raison de leur anonymat. En réalité, ils sont en colère parce qu’ils ne peuvent pas censurer l’Internet ou prendre des mesures contre les critiques. Car il est hors de doute qu’ils en ont l’intention. .

Selon un article publié dans Der Tagesspiegel, Baberowski a exigé que « l’Université exclue de tels 'cinglés' de son enceinte et porte plainte contre eux » et qu’elle « protège son personnel des extrémistes de toute sorte. »

Münkler a reproché à l’administration de l’Université de l’abandonner dans le conflit avec ‘Münkler-Watch’ et d’être dénuée de toute « capacité d’empathie. » Selon Der Tagesspiegel, il a fait appel au service juridique de l’Université, qui, selon une déclaration du porte-parole de l’Université, Hans-Christoph Keller, a promis « d’examiner la question en fonction des possibilités. »

L’EJIES (Etudiants et jeunes internationalistes pour l’égalité sociale), qui n’a pas exprimé ses critiques de Baberowski et Münkler de facon anonyme mais dans des réunions publiques, peut témoigner des conséquences d’un tel cours. On a ainsi demandé des comptes sur les critiques de Baberowski formulées par l’EJIES à un membre de l’EJIES qui venait juste discuter d’une thèse de maîtrise avec un professeur.

Le Département d’Histoire a appelé, sur le site web officiel de l’université, les enseignants et les étudiants à « s’opposer » à l’EJIES et de ne plus tolérer ses critiques de Baberowski « dans l’enceinte de l’Université Humboldt. » Le président de l’Université, Jan-Hendrik Olbertz, a signé une déclaration accusant l’EJIES et le Parti de l’égalité sociale (Partei für Soziale Gleichheit) de « calomnie » et de « diffamation. »

Il s’agit en réalité de protéger de la critique deux professeurs influents qui encouragent systématiquement le militarisme ou cherchent à minimiser les crimes des nazis en public.

Le soutien de Münkler pour le militarisme est notoire et publiquement documenté. L’organe de représentation des étudiants au Département des sciences sociales avait déjà attesté dans un communiqué l’an dernier que Münkler « jouait un double rôle suspect, celui de politologue et de stratège militaire national. »

Ce communiqué disait encore que Münkler avait conféré « le sceau de l’intégrité académique » à des thèmes soulevés « depuis des années sur les marges droitières de l’éventail politique », qu’il versait de « l’huile sur le feu du discours raciste sur le traitement des réfugiés fuyant vers l’Europe, » et qu’il utilisait « sa réputation universitaire pour contribuer à la brutalisation du discours de politique étrangère et faire mieux accepter les interventions guerrières allemandes. »

Baberowski a publiquement fait campagne pour une réhabilitation d’Ernst Nolte, l’apologiste du national-socialisme qui avait déclenché en 1986 la « querelle des historiens ». Dans ses livres, Baberowski minimise les crimes de guerre allemands sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale.

Ce qui rend si furieux Münkler, Baberowski et une bonne partie de la presse est que la critique de ces positions réactionnaires est en train de trouver une réponse dans la population. Le retour à la politique de grande puissance en Allemagne et la « fin de la retenue militaire, » proclamée par le gouvernement et soutenue par leur propagande, rencontrent de plus en plus de résistance.

Leur intention est de faire un exemple de ‘Münkler-Watch’ dans le but d’intimider, de réprimer et de criminaliser cette opposition.

Dans le processus, ils montrent le monde à l’envers. Münkler et Baberowski – qui ont des relations au sommet de l’État, sont en rapport avec l’appareil militaire et de sécurité et n’ont qu’à décrocher le téléphone pour placer dans les médias des articles représentant leurs vues – se disent persécutés par des étudiants qui n’ont à leur disposition que la critique des mots. C’est comme si l’État se plaignait d’être opprimé par le peuple.

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