Perspectives

L’escalade mondiale du parasitisme financier

L'annonce la semaine dernière par la Banque centrale européenne (BCE) qu'elle allait accélérer ses achats d'actifs en vertu de son programme d'assouplissement quantitatif a fourni un nouvel aperçu révélateur de l'état des marchés financiers mondiaux. Cela met en évidence leur volatilité et l'absence de plan d'ensemble des autorités financières, soi-disant en charge, qui se précipitent d'un point chaud à l'autre, cherchant à empêcher l'éruption d'une nouvelle crise. 

La décision d'accélérer les achats en mai et juin est venue en réponse à une baisse majeure des obligations allemandes à 10 ans, les Bunds. Leur rendement, qui change dans une relation inverse au prix, a bondi de près de zéro à plus de 0,55 pour cent en quelques jours. 

Annonçant la décision lundi dernier, Benoit Cœuré, membre du directoire de la BCE, a dit que ce n'était pas le retournement des cours des Bunds ou d'autres obligations souveraines qui inquiétait, mais la rapidité avec laquelle il s’est produit car c'était un autre signe de « volatilité extrême » et de « liquidité réduite ». En d'autres termes, la BCE craint que si la vente prenait de l'ampleur, ceci pourrait être le début d'une crise majeure et donc qu'il était nécessaire d'intervenir. 

La réaction des marchés financiers à la promesse de financement accru de la BCE indique la montée du parasitisme qui est devenu le trait principal des marchés financiers et d’une façon plus générale, de l'économie mondiale. 

Malgré l’inquiétude que l'économie américaine ne connaîtrait pas de reprise au deuxième trimestre – après un taux de croissance de seulement 0,2 pour cent au premier trimestre, chiffre qui pourrait bien être révisé à la baisse – que la stagnation continue en Europe et que les signes d'un ralentissement important en Chine sont de plus en plus nets, les marchés financiers se sont réjouis. L'indice clé de Wall Street, le S & P 500, a connu deux pics record la semaine dernière, l'indice des valeurs industrielles Dow a connu lui aussi un jour record. 

La hausse des marchés boursiers n'est pas un signe de bonne santé mais plutôt d’une maladie de plus en plus incurable de l'ordre économique mondial. C’est devenu clair vendredi dernier lorsque les marchés ont chuté en réaction à l’allusion de Janet Yellen, de la banque centrale américaine, que celle-ci envisageait peut-être un léger virage vers un régime plus normal de taux d'intérêt plus tard dans l'année. Il est presque certain que les marchés répondront positivement à toutes données économiques mauvaises parce que de telles nouvelles garantiront qu’on ne fermera pas le robinet d'argent gratuit.

Le caractère mondial de ce parasitisme effréné s’est montré dans les données publiées la semaine dernière sur l'état des marchés financiers chinois. Les courtiers chinois ont levé 14 milliards de dollars de capital cette année, plus que les trois dernières années réunies et ils en ont investi la moitié dans le marché boursier.

Cet argent est utilisé pour des opérations de prêt avec appel de marge où les prêts sont garantis contre les actions achetées. Malgré de nouveaux signes de ralentissement de la croissance chinoise – la production des usines, selon le dernière indice des directeurs d'achat, s’est contracté pour le troisième mois d'affilée et est à son plus bas niveau depuis un an – l'indice composite de Shanghai est déjà en hausse de 44 pour cent cette année. Il est alimenté par la conviction qu’à mesure que l'économie chinoise empirera, les autorités financières vont baisser les taux d'intérêt et prendre d'autres mesures pour accroître l'offre de crédit.

La maladie cependant, se trouve au cœur même de l'économie mondiale et du système financier. Selon un article publié dans le New York Times la semaine dernière, le secteur financier enregistre des profits qui, proportionnellement à l'économie, sont aussi élevés qu'ils l'étaient au début des années 2000, tandis que les fusions et les acquisitions, organisées par les institutions financières de Wall Street, dépassent le niveau atteint avant la crise financière mondiale de 2008.

L'augmentation de l'activité financière va de pair avec une criminalité accrue. Un autre article du New York Times publié au début du mois faisait remarquer que dans un récent sondage, un tiers des personnes qui gagnait plus de €500.000 par an ont dit qu'elles avaient, soit été témoins soit avaient eu connaissance directe de méfaits. Près d'un sur cinq a estimé que « les professionnels des services financiers doivent parfois se livrer à une activité contraire à l'éthique ou illégale pour réussir dans l'environnement actuel ». Compte tenu de la tendance à ne pas avouer la pratique d’activités criminelles, même dans un sondage, ces deux chiffres sont susceptibles d'être encore plus élevés.

La montée du parasitisme financier laisse présager l'éruption d'une nouvelle crise financière mondiale. Cependant, comme l’indique clairement l'intervention de la Banque centrale européenne (BCE) la semaine dernière, la situation est sensiblement différente d’il y a sept ans.

Avant 2008, les banques centrales n’étaient pas directement impliquées dans les opérations quotidiennes des marchés financiers. Elles se tenaient à l'écart, agissant en tant que gardiens de la stabilité du système financier et établissant le cadre de ses opérations. Aujourd'hui, elles sont des participants actifs dans le marché et leurs activités deviennent une source d'instabilité comme le démontre le cas de la BCE.

Suite à la décision de la BCE de commencer les achats de dette souveraine en mars au rythme de €60 milliards par mois au moins jusqu'en septembre 2016, le rendement sur ​​les obligations souveraines a plongé à zéro et en dessous car on croyait que leur prix continuerait de monter en raison des achats de la Banque centrale. Mais lorsque le prix des obligations a chuté, la BCE a dû intervenir soudainement de peur que le château de cartes qu'elle avait créé ne s’effondre.

Il est impossible de prédire ce qui sera la cause immédiate d'une nouvelle crise. Très probablement, ce sera quelque chose qui n’aura pas été prévu par les autorités financières. Dans la période menant au 15 septembre 2008, il y eut des avertissements quant au danger croissant venant de la croissance du marché américain des prêts hypothécaires sub-prime. Mais le président de la Banque centrale américaine, Ben Bernanke, affirmait que cela n’aurait pas d’effet plus large en raison de la petitesse de ce marché par rapport au système financier dans son ensemble.

Quelle que soit l'étincelle initiale, les conditions objectives d’une nouvelle crise sont contenues dans les opérations mêmes du système financier. Les profits financiers ne peuvent pas continuer à augmenter indéfiniment dans des conditions de stagnation et de récession de l'économie réelle, parce que, en dernière analyse, les actifs financiers représentent une créance sur la richesse réelle. Le prix des actifs peut continuer d’augmenter -- même pendant une période considérable – tant que l’argent continue d’être déversé sur les marchés, mais quand la bulle éclate, ils s’avèrent être « toxiques ».

Si le cours des événements financiers ne peut être prédit de façon exacte, la réponse des élites dirigeantes elle, est déjà définie. Pendant les sept dernières années, leur politique a conduit à l'accumulation de vastes fortunes pour les spéculateurs et les criminels aux sommets de la société, tandis que les conditions pour la masse des travailleurs ont empiré.

Maintenant, ils ont l'intention de développer cette attaque. Leur détermination fut affichée lors de la conférence annuelle de la BCE à Sintra au Portugal pendant le week-end. Le président de la BCE Mario Draghi y a appelé à des « réformes structurelles » pour réaliser le « potentiel inexploité » pour une production plus élevée.

L’affirmation de croissance plus élevée n’est que de la poudre aux yeux comme la précisé les l'économiste londonien Paul De Grauwe dans un commentaire. Il a dit que quand la Banque centrale appelait à « des réformes structurelles » cela signifiait en réalité que le système de protection étatique devait être supprimé. La banque, a-t-il dit, « se positionnait en dehors du processus démocratique ».

L'imposition de la dictature financière n’est pas une question hypothétique – elle a déjà été mise en œuvre en Grèce, menant à l’appauvrissement de millions de personnes. Dans des conditions où elles n’ont pas de solution à l’aggravation de la crise, les élites financières et leurs représentants exigent qu’elle soit étendue.

 

 

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