Conférence de Charm el-Cheikh

Les investisseurs promettent des milliards au régime militaire égyptien

Grands investisseurs et responsables politiques internationaux étaient réunis vendredi 13 mars dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh sur la Mer rouge pour une conférence de trois jours sur le développement économique en Egypte. Ils se sont engagés à investir des milliards de dollars dans la junte militaire sanglante du général Abdel Fattah al-Sissi. Des centaines de hauts responsables et de dirigeants d'entreprise y ont assisté, dont le secrétaire d'Etat américain John Kerry, le premier ministre italien Matteo Renzi, et le ministre chinois du Commerce Gao Hucheng.

La conférence constituait une approbation politique par le capital financier de la répression sanglante aux mains de la junte militaire d’une classe ouvrière dont les revendications de pain et d'égalité avaient mené au soulèvement révolutionnaire qui renversa le dictateur Hosni Moubarak. Elle montrait quelle était la réalité derrière l’affirmation de l'impérialisme américain et mondial que les guerres et les interventions qu’il menait au Moyen-Orient, en Afrique, en Ukraine et ailleurs étaient en défense des « droits humains » et de la « démocratie. »

L'événement s’est produit moins d'une semaine après l’exécution en Egypte du premier de quelque 1400 islamistes condamnés à mort lors de procès sommaires organisés l'an dernier par le régime militaire.

Dans son discours d'ouverture à la conférence, al-Sissi s’est vanté de ce que l'Egypte avait une stratégie de développement économique à long terme basée sur l'économie de libre marché et l'investissement privé. « L'Egypte a été et sera toujours la première ligne de défense contre les dangers auxquels fait face la région, » a-t-il dit. « Vous trouverez l'Egypte, ainsi que toute la région, sûre et sécurisée. »

Dans le cadre des interventions militaires de Washington contre les forces islamistes dans la région, notamment contre l'Etat islamique (EI), al-Sissi, après avoir évincé en 2013 le président islamiste Mohamed Mursi dans un coup d'Etat sanglant, a promu l'armée égyptienne comme force anti-islamiste.

« La stabilité de la société égyptienne est la stabilité de la région dans son ensemble. L'Egypte est un modèle de morale tolérante, un pays qui dénonce l'extrémisme et la violence », a-t-il déclaré.

Alors que responsables politiques et commentateurs des médias applaudissaient al-Sissi pour avoir ramené la « stabilité » en Egypte, les émirats du golfe Persique, l'Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis s’engageaient à investir 12,5 milliards. Les sociétés transnationales, dont British Petroleum, General Electric et Alsthom, faisaient la queue pour obtenir des contrats énergétiques et industriels lucratifs, dont le développement du champ de gaz naturel géant à l'Ouest du delta du Nil, la construction de centrales au gaz dans la ville de Suez et une extension du métro du Caire.

BP a appelé le projet un « vote de confiance au climat d'investissement et au potentiel économique de l'Égypte. »

Les banques et grandes entreprises internationales créent des emplois en Egypte seulement parce qu'elles présument que la terreur politique en cours garantira des bas salaires et des profits élevés. « Le climat d'investissement, » de l'Egypte loué par BP est celui dans lequel les manifestations des travailleurs contre les salaires non payés ou pour des augmentations de salaire sont brutalement attaquées par les forces de sécurité. Celles-ci ont détenu et torturé des dizaines de milliers de prisonniers et ont tué par balles des milliers de manifestants pacifiques dans les rues du Caire.

L’an dernier, des centaines de grèves et de manifestations ouvrières, sous le régime militaire, ont culminé en septembre dans le meurtre de sept travailleurs et l'emprisonnement de huit autres lorsque la police a dispersé une manifestation réclamant des arriérés de salaires à l'usine textile Abod d’Alexandrie. Les protestations des travailleurs continuent cependant au milieu du silence assourdissant des médias internationaux.

Jeudi dernier, des journalistes de l’AP ont parlé à Tarek Tabl, un ingénieur en construction de 52 ans qui conduisait une manifestation d’ouvriers, une parmi plusieurs ayant eu lieu devant des bureaux du gouvernement au Caire, peu de temps avant que la police n’attaque et ne disperse l’action de protestation.

Les travailleurs de la société de Tabl réclament des salaires qui n’ont pas été payés depuis cinq mois. « Cela ne peut que s'aggraver, » a-t-il dit. « Je préfère me tuer que de rentrer à la maison et faire face à mes enfants. »

Tabl a critiqué les investissements qui sont allés à la privatisation de la société de construction où il travaille et ont conduit à des licenciements massifs. « C’est le type d'investissement qui produit seulement le chômage et le chaos, » a-t-il déclaré.

Ce qui attire les investisseurs en Egypte sont les super-profits pouvant être tirés d’ouvriers confrontés à une répression implacable, dans une économie où les salaires mensuels peuvent aller de 1 000 à 1 700 livres égyptiennes (130 à 220 dollars américains).

« Cette partie du monde est bénie, disposant d’une quantité étonnante de potentiel commercial, » a déclaré Kerry lors d'un rassemblement tenu à la Chambre de commerce américaine avant de se rendre à Charm el-Cheikh. Il a dit que les entreprises américaines qui ont investi 2 milliards de dollars dans la junte militaire l'an dernier, se tenaient prêtes à aider l'économie égyptienne.

Kerry a rencontré al-Sissi, le président palestinien Mahmoud Abbas et le roi Abdallah de Jordanie pour des discussions sur la situation politique régionale avant de prendre la parole à la conférence de Charm el-Cheikh. Là, il a loué le rôle joué par l'Egypte dans la « guerre contre le terrorisme. » Dans le cadre de celle-ci, l’Egypte a bombardé les forces islamistes ayant pris le contrôle de certaines parties de la Libye depuis la guerre menée par l'OTAN en 2011 qui a renversé le régime du colonel Mouammar Kadhafi.

C’est peut-être le premier ministre italien Renzi qui a indiqué le plus crûment les calculs entrant dans la tenue de cette conférence. Il a dit qu'il considérait la guerre menée contre l'islamisme par la junte et la prévention d'une nouvelle poussée révolutionnaire des travailleurs égyptiens comme des intérêts stratégiques clés de l'impérialisme européen.

« Votre guerre est notre guerre, et votre stabilité est notre stabilité, » a déclaré Renzi à la conférence. « La question n'est pas l'Egypte ou la région, mais également l'Italie et le reste du monde. »

Les commentaires de Renzi donnent une indication des conflits de classe qui se développent sous la surface, en Egypte et au plan international. Renzi est bien conscient de l'opposition explosive dans la classe ouvrière italienne et européenne à la politique d'austérité de l'Union européenne qui vise, elle aussi, à imposer aux travailleurs une politique de libre marché et des salaires de misère. Renzi avertit franchement de ce qu'un nouveau soulèvement révolutionnaire en Egypte pourrait se propager non seulement au Moyen-Orient, mais aux États-Unis et à l’Europe.

La loi d'investissement adoptée par la junte militaire plus tôt ce mois-ci est une autre indication de la physionomie sociale de l’élite des sociétés transnationales. Elle est principalement conçue pour donner aux investisseurs l'immunité judiciaire pour différents types de comportement criminel.

Sa principale mesure est une disposition empêchant les dirigeants d'entreprise d'aller en prison pour comportement criminel de la part de leurs sociétés. Au premier stade de la révolution égyptienne, en 2011, on avait assisté à des demandes généralisées de la part des travailleurs pour que soit poursuivi le comportement criminel des dirigeants d'entreprises et des hauts responsables des entreprises publiques.

« Nous ne pouvons pas continuer à poursuivre les chefs d'entreprise dans le cas où l'entreprise est accusée d'actes répréhensibles et à les envoyer en prison, » a déclaré à Ahram Online Mohamed El-Sewedy, qui est à la tête de la Fédération des industries égyptiennes. Il a ajouté qu'il était satisfait de la version finale de la loi.

La loi met également en place une Autorité générale de l'investissement (GAFI) unique, qui approuvera sans discussion les projets d'investissement. Les investisseurs peuvent obliger le gouvernement à traiter une demande de liquidation de leurs placements en 120 jours, s'ils décident de quitter le pays.

La loi établit également de nouvelles réglementations plus souples pour les ventes immobilières à la suite de décisions de justice prises en faveur de ceux qui contestaient la légalité de plusieurs ventes de terrain en grand.

La conférence de Charm el-Cheikh est un avertissement à la classe ouvrière non seulement égyptienne mais internationale. Si les questions d'égalité sociale et la lutte contre l'oppression de classe qui ont conduit à l'insurrection révolutionnaire contre Moubarak en 2011 ont été posées en Egypte, elles ne pouvaient pas être résolues dans les frontières de ce seul pays. Les travailleurs d’Egypte et du monde, y compris ceux des pays les plus riches, sont en face du même défi: un changement social progressiste ne peut provenir que d’une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour le socialisme.

Le capitalisme a atteint un cul-de-sac social et politique n'offrant rien qu’une escalade des guerres et des attaques contre le niveau de vie des masses. L'accolade donnée à la junte militaire par les responsables occidentaux est un avertissement de ce que les méthodes militaires employées par al-Sissi pour réprimer l'opposition interne sont en train d'être préparées à l'échelle internationale aussi, y compris en Europe et en Amérique.

 

 

(Article original publié le 14 mars 2015)

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