La guerre nazie d’anéantissement contre l’Union soviétique: Première partie

La politique nazie sur le front de l’Est en 1941: Guerre totale, génocide et radicalisation

Ci-dessous la première partie du compte-rendu en deux parties de l’ouvrage Nazi Policy on the Eastern Front, 1941: Total War, Genocide, and Radicalization [La politique nazi sur le front de l’Est en 1941: Guerre totale, génocide et radicalisation], ed. by Alex J. Kay, Jeff Rutherford, David Stahel, Rochester University Press, 2012, 359 p. 

Toutes les citations renvoient, sauf indication contraire, à l’ouvrage.

En 2012, Rochester University Press a publié un volume important sur les politiques menées par les nazis dans les territoires occupés de l'ex-Union soviétique. Le livre se compose de onze essais sur différents aspects de la guerre d'extermination de l'Allemagne contre l'Union soviétique – la guerre la plus brutale que l’histoire ait connue. Le matériel présenté met en lumière le contexte historique de la politique criminelle que mène actuellement l'impérialisme des États-Unis et de l’Allemagne en Ukraine et en Europe de l'Est.

Partie 1: «La Russie doit être réduite à une nation de paysans, et ce de façon définitive»

L’invasion militaire nazie contre l'Union soviétique avait deux aspects fondamentaux étroitement liés. Tout d'abord, «L’opération Barberousse» était une guerre contre-révolutionnaire visant à démembrer l'Union soviétique, réduisant ses Républiques au statut de colonies du Troisième Reich et renversant tous les gains sociaux et économiques de la Révolution d'octobre. Malgré la dégénérescence de l'Union soviétique sous le régime de la bureaucratie stalinienne, de nombreuses réalisations avaient, au moins en partie, été maintenues et avaient continué à servir d'inspiration aux travailleurs dans le monde entier.

As one SS-Oberführer put it in the spring of 1941: “In Russia, all cities and cultural sites including the Kremlin, are to be razed to the ground; Russia is to be reduced to the level of a nation of peasants, from which there is no return.” [P. 108]

Selon les termes d’un SS-Oberführer au printemps 1941: « En Russie, toutes les villes et les sites culturels, dont le Kremlin, doivent être entièrement rasés ; la Russie doit être réduite au niveau d'une nation de paysans, et ce d’une façon définitive. » [P. 108]

Deuxièmement, la maîtrise des ressources énormes de l'Union soviétique – non seulement les produits agricoles, mais aussi le pétrole (en particulier dans l'actuel Azerbaïdjan) – était jugée nécessaire pour mener une guerre contre les États-Unis, le plus important rival impérialiste de l'Allemagne pour l'hégémonie mondiale. Bien qu'ils ne soient pas formulés en termes marxistes, ces motifs directeurs sont notés dans le livre. Les essais qui mettent l'accent sur la politique alimentaire, en particulier, montrent comment ces deux objectifs étaient liés.

L'historien allemand Adrian Wettstein écrit: «La stratégie de la faim faisait partie de la guerre d'anéantissement et visait à réduire par la famine jusqu'à 30 millions de Soviétiques dans les régions boisées du Belarus et de la Russie du Nord, ainsi que dans les villes. Son succès devait fournir aux habitants de l'Europe continentale les denrées alimentaires qu'ils auraient autrement dû importer par voie maritime, mettant ainsi l’Europe continentale – en d'autres termes, l'Europe occupée par les Allemands – à l’abri d’un blocus naval et préparant ainsi la sphère d’influence allemande pour la confrontation imminente avec les puissances anglo-saxonnes. » [P. 62]

Le Generalplan Ost [Le schéma directeur pour l'Est – la stratégie militaire sur laquelle était basée «l’Opération Barberousse»] envisageait la famine de quelque 30 millions de personnes dans l'ouest et le nord-ouest de la Russie. Cette politique devait non seulement assurer des approvisionnements alimentaires pour l'effort de guerre de l'Allemagne, mais créer aussi le «Lebensraum» [espace vital] pour une expansion de l'empire nazi.

Avancée de l’Allemagne sur le front de l'Est en 1941

Un essai d’Alex J. Kay, auteur d'une étude exhaustive du Generalplan Ost, fournit du matériel important qui démontre que la politique nazie était principalement dirigée contre la classe ouvrière soviétique. Il note: «Coïncidence ou pas, 30 millions, c’était la croissance de la population soviétique – exclusivement la population urbaine – entre le début de la Première Guerre mondiale en 1914 et le début de la Deuxième Guerre mondiale en 1939. Selon les orientations des politiques économiques du 23 mai, c’était “en particulier les populations des villes” qui “devraient affronter la plus terrible famine”. » [P. 112]

Dans cette stratégie, l'Ukraine occupait un rôle clé. Herbert Backe, Reichsminister für Ernährung und Landwirtschaft (RMEL) [ministre du Reich à l'Alimentation et à l'Agriculture], un des principaux planificateurs de l'opération Barberousse, avait désigné l'Ukraine comme territoire «pour les surplus», parce qu'elle exportait des céréales à d'autres républiques de l'URSS – avant tout, la RSFSR [République socialiste fédérative soviétique de Russie] (qui correspond en grande partie à ce qu’est aujourd'hui la Fédération de Russie).

Herbert Backe [© Bundesarchiv]

L’Ukraine occupée, envahie par la Wehrmacht au cours de l'été 1941, devait désormais produire uniquement pour les besoins du Troisième Reich et être coupée du reste de l'Union soviétique, laissant des millions de personnes privées des approvisionnements nécessaires en céréales. L’Ukraine était également considérée comme un atout stratégique en tant que source majeure de charbon (dans le bassin du Donets), région fortement industrialisée et pont vers la région de la mer Noire.

Une contribution de Jeff Rutherford dans l’ouvrage se concentre sur la politique de famine à Pavlovsk, une des banlieues de Leningrad qui fut assiégée par les Allemands durant 900 jours de l’automne 1941 au début de 1944. Coupés des fournitures de céréales d'Ukraine et incapables d'obtenir des vivres de la campagne environnante, les habitants de la ville furent rapidement victimes d’une grave famine.

Des soldats de la Wehrmacht vivant dans la ville occupée tentèrent, à titre individuel, d'aider la population affamée. Cependant, tout assouplissement de la politique rencontra une opposition véhémente de la part des dirigeants de l'armée.

L'ordre de Reichenau, nommé d'après le Generalfeldmarschall Walther von Reichenau, disait, «... Ce que le Heimat [la Patrie] a épargné, ce que le commandement a amené sur le front au prix de grandes difficultés, ne doit pas être offert par les troupes à l'ennemi, même quand il s'agit du butin de guerre. C'est une partie essentielle de notre approvisionnement.» [P. 138]

Lorsque la résistance de l'Armée rouge augmenta vers la fin de 1941, et que la Wehrmacht allemande ne put plus avancer vers des régions de terres vierges, la confiscation des denrées alimentaires de la population dans les villes occupées comme Pavlovsk devint encore plus brutale.

Des 11.000 habitants de la ville (recensement de 1939), 6000 sont morts de faim pendant l'occupation allemande. Rutherford note que le sort de Pavlovsk était «symptomatique de la misère générale qui a accompagné l'occupation allemande». [P. 146]

En plus des millions de civils, 3,3 millions de prisonniers de guerre soviétiques sur un total de 5,7 millions capturés sont morts en captivité, principalement de faim. De ces 3,3 millions, 2 millions sont morts dans les sept premiers mois de la guerre, avant le début de février 1942.

La politique de la famine était liée à la dévastation systématique des villes soviétiques. Avec l'attaque contre l'URSS, le combat en zone urbaine pendant la Deuxième Guerre mondiale acquit de nouvelles dimensions. En Europe occidentale, la seule ville à faire l’expérience d’un siège par l'armée nazie fut Rotterdam (en mai 1940). En Europe orientale, le combat en zone urbaine et le siège des villes – habituellement destiné, au moins en partie, à affamer la population – faisaient partie intégrante de la guerre.

La première ville européenne orientale à faire face à la guerre urbaine nazie fut Varsovie, où la Wehrmacht rencontra une résistance inattendue après son invasion du 1er septembre 1939. Mais, même en comparaison avec les sièges brutaux de Varsovie et de Rotterdam, le combat en zone urbaine dans l'Union soviétique a été particulièrement violent. Ici, il n'y avait aucun ordre d'éviter, au moins dans une certaine mesure, une cruauté excessive contre les civils.

L'essai de l'historien Adrian Wettstein, qui met l'accent sur la bataille de Dnipropetrovsk, est significatif à cet égard. Même si elle a été jusqu'ici peu étudiée, la bataille de Dnipropetrovsk a été un tournant important dans la guerre à l'Est.

D’une population de 500.000 en 1939 (contre 100.000 dans les années 1920), la ville comportait un réseau d’infrastructures et constituait un centre stratégique important. Il a fallu à la Wehrmacht beaucoup plus longtemps que prévu pour briser la résistance de l'Armée rouge et conquérir la ville.

Durant le mois où l'avancée allemande a été retardée, des mesures importantes ont été prises pour mobiliser l'Armée rouge et rassembler des ressources économiques pour la défense de l'Union soviétique. Néanmoins, la ville de Dnipropetrovsk a été entièrement détruite. Elle a fait face, comme le note Wettstein, «à l’une des plus fortes concentrations d'artillerie de toute la durée de l'opération Barberousse».

Une guerre criminelle de bout en bout

Plusieurs essais de l’ouvrage se concentrent sur les préparatifs de l'opération Barberousse. Tout en ne présentant que les faits les plus importants, ils fournissent une réfutation sans ambiguïté des théories révisionnistes qui cherchent à dépeindre les crimes des nazis en URSS comme un simple «réaction» à la violence de la Révolution russe.

L'historien allemand Ernst Nolte fut l’un de ceux qui ont soutenu le plus ouvertement dans les années 1980 que les crimes des nazis, et en particulier Auschwitz, constituaient une «réaction née de la peur face aux actes d’anéantissement» déclenchés par la Révolution russe. «La diabolisation du Troisième Reich est inacceptable», a dit Nolte. [1] (voir: «Une tentative de réhabiliter Hitler»)

Plus récemment, le professeur Jörg Baberowski a soutenu dans le magazine Der Spiegel que contrairement à Staline, «Hitler n’était pas vicieux», et qu’«historiquement parlant, il [Nolte] avait raison».

En fait, l’opération Barberousse a été dès le commencement conçue comme une guerre de pillage effrénée et de subjugation coloniale des peuples de l'Union soviétique. Tous les éléments constitutifs du droit international et militaire devaient être ignorés.

Les corps de civils soviétiques exécutés [© Yad Vashem Photo Archive]

Dans sa contribution, l'historien allemand Felix Römer met l'accent sur les ordres criminels donnés par Hitler à l'armée de l'Est à la veille de l'assaut contre l'Union soviétique. Le plus notoire a été le Kommissarbefehl, «Ordre des Commissaires». Il y était dit: «Dans cette bataille [contre le bolchevisme, CW] se serait une erreur de faire preuve de clémence ou de respect du droit international envers de tels éléments... Les méthodes de combats barbares, asiatiques sont émises par les commissaires politiques du peuple... Par conséquent, lorsqu'ils sont capturés dans les combats ou dans la résistance, ils doivent, comme une question de principe, être liquidés immédiatement.» [2]

Dans l’Allemagne de l'après-guerre, il a été vigoureusement nié que ces ordres avaient été délivrés à la Wehrmacht à l'Est, et encore moins appliqués. Cela a changé seulement dans les années 1970 et 1980.

Pourtant, le degré d'implication réelle de la Wehrmacht dans de tels crimes n’a été soit pas étudié, soit minoré. (Lire, en anglais: «Le débat en Allemagne sur les crimes de la Wehrmacht de Hitler»). Félix Römer a réalisé la première étude globale sur la mise en œuvre par la Wehrmacht des ordres criminels d’Hitler. Il en tire la conclusion dévastatrice suivante:

«Pour presque toutes les formations qui ont combattu sur le front de l'Est, il existe des preuves de leur adhésion à l'ordre des Commissaires... En règle générale, chaque fois que les conditions extérieures ont été remplies et que les unités étaient en situation d'avoir à appliquer l'ordre de Commissaires, elles ont décidé de le faire.» [P. 88, 91]

Ukraine, Kharkov, civils pendus par les Allemands en représailles à une attaque contre le quartier général allemand, novembre 1941 [© Yad Vashem Photo Archive]

Le nombre total des commissaires qui furent tués par la Wehrmacht est difficile à établir. Römer cite un chiffre minimal d'environ 4000 et ajoute que le « nombre réel des victimes doit, toutefois, être fixé à un niveau beaucoup plus élevé (...). » [P. 88]

L'ordre des Commissaires a été finalement annulé en juin 1942. Les généraux nazis étaient préoccupés par le fait que l'ordre avait renforcé la résistance déjà énorme de l'Armée rouge et avait contribué à des pertes allemandes records.

L’autre ordre criminel analysé par Römer, le Décret de la juridiction martiale, publié le 13 mai 1941, établissait que les crimes commis par la Wehrmacht contre la population civile n'étaient pas soumis à la juridiction des tribunaux militaires. En d'autres termes, les civils soviétiques ont été déclarés comme étant des cibles légitimes. Römer affirme qu'il n'y a «guère une division et aucun corps ou armée ou l’on ne trouve pas des comptes-rendus d'exécutions de civils soviétiques et de partisans réels et présumés sans procédure judiciaire». [P. 84]

Le nombre total des victimes parmi la population civile soviétique n'a à ce jour pas été définitivement établi, mais il est habituellement évalué à environ 18 millions sur un total d'environ 27 millions de personnes d’Union soviétique qui sont mortes pendant la guerre.

À suivre.

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[1] Ernst Nolte, “Between Historical Legend and Revisionism? The Third Reich in the Perspective of 1980,” in Forever in the Shadow of Hitler? Original Documents of the Historikerstreit, the controversy concerning the singularity of the Holocaust, Humanities Press, 1993, pp. 14, 15.

[2] Yitzhik Arad, Yisrael Gutman, Abraham Margaliot (eds.): Documents on the Holocaust: Selected Sources on the Destruction of the Jews of Germany and Austria, Poland, and the Soviet Union, Jerusalem/Oxford 1981, p. 376.

(Article original paru le 12 janvier 2015)

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