Perspectives

« John le djihadiste », l'impérialisme et l'EI

Jeudi 26 février, le Washington Post révélait l'identité de « John le djihadiste », ce membre de l'Etat islamique (EI) qui figure en vedette dans les vidéos macabres montrant la décapitation des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff et celle de deux travailleurs humanitaires britanniques, David Haines et Alan Henning.

Le Washington Post a identifié ce membre de l'EI comme étant Mohammed Emwazi, 26 ans, né au Koweït et ayant grandi à Londres. Il est décrit par CNN comme « un Britannique issu d'une famille aisée qui a grandi dans l'ouest de Londres et a obtenu une diplôme en informatique. »

Les articles des médias parlant de cette identification ont été dominés par une discussion sur la psychologie du terrorisme et sur le rôle de l'idéologie islamiste, et par des spéculations sur les raisons qui poussaient quelqu’un venu d'un tel environnement à s'adonner à ces actes barbares.

Toutes ces banalités font partie d'une campagne délibérée pour obscurcir les faits. On laisse délibérément dans l'ombre la principale révélation dans l'identification de « John le djihadiste » -- le fait qu'il était bien connu des services secrets britanniques qui l'ont sans aucun doute identifié dès la première diffusion de son image et de sa voix dans les vidéos de l’EI.

Non seulement le service de sécurité britannique MI5 surveillait attentivement ses mouvements, mais il a encore mené une campagne active pour le recruter comme indicateur et comme agent secret. Comme l’a écrit jeudi le quotidien britannique The Guardian, il y avait de « sérieuses questions » auxquelles le MI5 devait répondre au sujet de ses relations avec Emwazi.

La première de ces questions est celle de savoir si les efforts du service de renseignement pour le recruter ont eu du succès. En d'autres termes, est-ce qu'Emwazi est allé en Syrie avec la connaissance préalable et la bénédiction du MI5 ?

S’il y a un doute sur le fait qu’Emwazi a été recruté, il est évident que d'autres djihadistes de l'EI l'ont été, eux. La BBC a rapporté que les services de renseignement britanniques ont refusé de nommer Emwazi pour des « raisons opérationnelles. » Elle ajoute: « Il est probable que la pratique des agences de renseignement d'approcher des sympathisants djihadistes pour qu’ils travaillent pour elles continuera. On pense que la Grande-Bretagne et les États-Unis ont des informateurs à l'intérieur de Raqqa, la « capitale » de l'Etat islamique. Pourtant, cela semble avoir été de peu d'aide pour arrêter les actions de Mohammed Emwazi ou pour le traduire en justice. »

Le cas de « John le djihadiste » est important en raison de ce qu'il dit sur les rapports réels entre l'impérialisme occidental et l’EI. En dernière analyse, l’EI est un produit des interventions de Washington et de ses alliés dans toute cette région.

Les mouvements islamistes armés n’existaient ni en Irak ni en Syrie – ni en Libye d'ailleurs – avant que l'impérialisme américain n’intervienne pour renverser les gouvernements arabes laïcs de ces trois pays.

Il ne s’agit pas seulement du fait que ces mouvements soient sortis du chaos, de la mort et de la destruction déchaînés dans ces pays par l'armée américaine et la CIA, qui coûtèrent la vie à plus d'un million de personnes et créèrent une immense dévastation sociale.

Comme Al-Qaïda avant lui, l’EI est une création de l'impérialisme américain et occidental, lancée contre les peuples de la région dans la poursuite d’objectifs stratégiques bien précis. En Libye, les islamistes désormais affiliés à EI ont fourni les forces terrestres principales de la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN pour renverser Mouammar Kadhafi. En Syrie, l’EI, le Front Al Nusra affilié à al-Qaïda et des milices islamistes de même type ont joué un rôle similaire dans une guerre de changement de régime soutenu par Washington et ses alliés.

Toutes les informations s’accordent pour dire que les soi-disant « combattants étrangers » constituent la plus grande composante des forces « rebelles » ayant cherché à renverser le président syrien Bachar al-Assad au cours des trois dernières années. On les estime à plus de 20 000, leurs recrues venant de toute l'Europe, de l'Amérique du Nord, de l’Asie centrale et d’ailleurs encore.

Les médias présentent le flux de ces combattants vers la Syrie comme un mystère mais il est facile de dire comment ils y sont arrivés. La CIA, le MI5 et d'autres agences de renseignement occidentales ont non seulement fermé les yeux sur les islamistes allant vers le champ de bataille syrien depuis leurs pays respectifs, mais elles les ont encore activement encouragés. La Turquie, un allié clé des États-Unis, a facilité l’acheminement de ces éléments vers la Syrie à travers sa frontière.

Il convient de rappeler que les gouvernements et les médias occidentaux ont dépeint des forces telles que l’EI en Syrie comme des ‘révolutionnaires’ démocrates menant une lutte progressiste contre un tyran. On a utilisé la guerre, alimentée par des provocations orchestrées, pour justifier une intervention « humanitaire. »

Armes et finances ont coulé à flots pour soutenir des ‘rebelles’, islamistes pour la plupart, alors même que Washington et ses alliés intensifiait constamment la menace d'une intervention directe. L'administration Obama fut à deux doigts de lancer un bombardement sauvage de la Syrie en Septembre 2013 et opéra une retraite tactique face à une opposition inattendue.

Les forces islamistes sur le terrain se sont considérées victimes d'une entourloupe. Comme ce fut la cas pour les contre-révolutionnaires cubains appuyés par la CIA dans la baie des Cochons il y a un demi-siècle, la couverture aérienne qui devait les soutenir n'est pas venue comme promise et ils se sont déchaînés en représailles. Cela a non seulement fini par prendre la forme de décapitations d’otages occidentaux, mais aussi de la débâcle infligée aux forces de sécurité irakiennes formées par les États-Unis.

Washington s’est hypocritement emparé des décapitations pour essayer de rallier du soutien pour sa nouvelle intervention militaire au Moyen-Orient. Mais quand des atrocités similaires ont été commises par l’EI et ses cohortes contre les alaouites syriens, les chrétiens et des conscrits capturés, l'administration Obama a détourné le regard.

Dans la foulée des révélations sur « John le djihadiste», le Premier ministre britannique David Cameron, chef du parti conservateur, a fait une défense élogieuse des services de sécurité. Il a décrit leurs membres comme « incroyablement impressionnants, travailleurs, dévoués, courageux. » Il a déclaré sa sympathie pour « les jugements incroyablement difficiles qu'ils ont à porter. » Il a insisté pour dire que « la chose la plus importante est de les soutenir. »

Si la Grande-Bretagne était une démocratie qui fonctionnait, les révélations sur le rôle du MI5 et ses relations avec Mohammed Emwazi et l’EI en général feraient l'objet d'une enquête parlementaire qui pourrait signifier la chute du gouvernement.

Cependant, à Londres comme à Washington, c’est l’appareil militaire et du renseignement, dont les crimes sont systématiquement couverts par des médias complices et contrôlés par la grande entreprise, qui a en grande partie pris en charge le gouvernement.

Pour les travailleurs en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans le monde, ces révélations ne font que souligner la nécessité de construire un véritable mouvement anti-guerre sur la base d'un programme socialiste et internationaliste et ce, dans une opposition intransigeante à toutes les tentatives d'exploiter les crimes de l’EI – le Frankenstein créé par l'impérialisme – pour justifier l'escalade de la guerre à l'extérieur et de la répression à l’intérieur.

(Article original publié le 28 février 2015)

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