Perspectives

Le rapport du ministère de la Justice sur la police de Ferguson est une accusation du capitalisme américain

Le ministère américain de la Justice a publié le 4 mars un rapport dans lequel se trouvent documentées les brutalités et les violences systématiques et délibérées de la police à Ferguson (Missouri) et sa criminalité pure et simple. Des agissements qui violent les droits constitutionnels, protégés par la loi, de la population de cette ville.

Ce rapport constate que la police de Ferguson, le service responsable de la mort d'un adolescent non armé, Michael Brown, en août dernier, avait recours aux « interpellations sans suspicion raisonnable et aux arrestations sans cause probable, en violation du quatrième amendement de la constitution; aux atteintes à la liberté d'expression, ainsi qu’aux représailles contre l’expression protégée, en violation du premier amendement; et une force excessive en violation du quatrième amendement. »

Il documente de nombreux exemples d'abus flagrants de la part de la police. Il note que dans un incident, des policiers ont incité un chien à attaquer un garçon de quatorze ans, puis « l'ont frappé alors qu'il était au sol, l'un [des policiers] appuyant son brodequin sur le côté de sa tête. » Les policiers ont « ri de l'incident par la suite. »

Le rapport a également constaté que la ville avait ce que l'un des juges a assimilé à une « prison pour dettes, » qu’elle délivrait un grand nombre de mandats d'arrêt, jetait les pauvres en prison pour les forcer à payer leurs contraventions. Il note que, pour les habitants pauvres et à faible revenu de la ville, « Les infractions mineures peuvent engendrer des dettes écrasantes, entrainer une peine de prison en raison d'une incapacité à payer et résulter dans la perte du permis de conduire, de l'emploi ou du domicile. »

Les conditions décrites sont un réquisitoire dévastateur à l’égard du système économique et politique américain. Les actions de la police en Amérique s’apparentent bien plus à ce qu’on s’attendrait à trouver dans une dictature économiquement arriérée plutôt que dans une grande puissance industrielle, qui de plus est déclare être un modèle de gouvernance démocratique pour le monde entier.

Obama a répondu au rapport sur Ferguson, deux jours après sa publication, dans un mélange typique de cynisme et de tromperie. Caractérisant les pratiques de la police à Ferguson comme « oppressives et abusives, » Obama a déclaré qu’« il s'avérait » que ce que les manifestants contre les violences policières dans la ville disaient « n’était pas de la pure invention. » Il a ajouté cependant que les abus révélés n'étaient « pas typiques. »

« L’écrasante majorité de ceux qui sont responsables de faire appliquer la loi ont un travail très dur, dangereux et ils le font bien, » a dit M. Obama en Caroline du Sud. « Ils le font équitablement, et ils le font héroïquement. »

Nonobstant les hymnes d'Obama à la police « héroïque » de l’Amérique, les pratiques détaillées dans le rapport sur Ferguson ne sont pas des aberrations. En effet, le ministère de la Justice conclut lui-même à une inconduite similaire dans des rapports sur la police d’Albuquerque et de Cleveland l’année dernière.

Il y a eu près de deux mille meurtres aux mains de la police aux États-Unis au cours des deux dernières années seulement. Partout dans le pays, les gens dans les communautés pauvres et ouvrières vivent dans la peur de la police qui, jouissant de l'immunité judiciaire, harcèle et brutalise la population au service de l'élite dirigeante.

Les commentaires d'Obama faisaient suite à des remarques faites par le procureur général Eric Holder lorsqu’il a annoncé le rapport sur Ferguson. Holder a déclaré que les résultats du rapport montraient que les préoccupations des manifestants n’étaient « que trop réelles. » Selon son expression, « certains de ces manifestants avaient raison. »

Un journaliste sérieux, s’il en existait un dans le corps de presse de la Maison Blanche, aurait demandé à Holder: « Si les manifestants avaient en fait raison, pourquoi alors êtes-vous allé à Ferguson au plus fort de la répression policière contre des gens qui manifestaient pacifiquement contre le meurtre de Brown et avez-vous organisé une séance photo où vous donniez l’accolade à Ron Johnson, celui qui coordonnait la répression contre ces manifestants pacifiques? »

C’était, après tout le même gouvernement que celui qui avait collaboré avec Jay Nixon le gouverneur du Missouri lorsque la Garde nationale fut mobilisée contre les manifestants et envoya plus d'une centaine d'agents du FBI pour espionner ceux qui avaient participé aux manifestations.

La Maison Blanche a combiné l’admission, sans grande signification, que les manifestants « avaient raison » avec une défense à tout crin de la décision de ne pas porter d’accusation contre Darren Wilson pour avoir abattu Brown devant tout le monde. Obama a insisté le 6 mars pour défendre explicitement la décision du ministère de la Justice de ne pas inculper Wilson – une décision qui avait suivi un simulacre de procès devant un Grand Jury l'année dernière – comme si les actes du policier assassin ne s’intégraient pas parfaitement aux conditions scandaleuses décrites dans le rapport sur Ferguson publié le même jour.

La criminalité de la police aux États-Unis est une partie intégrante du fonctionnement de l'État dans son ensemble, et de l'aristocratie économique et financière qui dirige le pays. Quant à la réponse de l'administration Obama, elle suit un scénario bien établi. Chaque fois que la criminalité de l'Etat américain fait surface et qu’elle est exposé aux yeux du public, Obama admet les crimes tout en faisant en sorte que les personnes responsables restent impunies et en faisant comme si la Maison Blanche n'avait elle-même aucune responsabilité en la matière.

En mai 2013, Obama prononcait un discours dans lequel il déclarait: « Je ne crois pas que ce serait constitutionnel pour le gouvernement de cibler et de tuer tout citoyen américain – avec un drone ou avec un fusil de chasse – sans une procédure régulière. Nul président ne devrait non plus déployer des drones armés au-dessus du sol américain. »

Le président avait dit cela après qu’on a organisé les meurtres de plusieurs citoyens américains à l’aide de drones, et seulement deux mois après qu’Holder a déclaré que le président avait le droit de procéder à des assassinats par drone « sur le territoire des États-Unis. »

Puis il y a la question de la complicité du gouvernement dans la torture. En août de l'année dernière, Obama a déclaré qu'au cours de la dernière décennie et demie, « Nous avons torturé certaines personnes ... Nous avons fait des choses qui étaient contraires à nos valeurs. » Et pourtant, aucun des tortionnaires, dont les activités ont été documentées de façon exhaustive dans le rapport de la Commission du renseignement du Sénat publié l'an dernier, n’a été puni. A présent, quelques mois plus tard seulement, les médias contrôlés par le grand patronat agissent comme si ce rapport n'avait jamais existé.

La même mode opératoire apparait clairement dans les nombreuses révélations ayant trait à la criminalité pure et simple des banques et des spéculateurs financiers. Le rapport de 2011 par le sous-comité permanent des enquêtes du Sénat américain sur le krach de Wall Street a prouvé sans l'ombre d'un doute que les différents dirigeants de grandes banques, dont Goldman Sachs, Deutsche Bank et d'autres, avaient commis des crimes prescrivant des peines de prison. Le Sénat a remis le rapport au ministère de la Justice, mais personne n'a été accusé et encore moins poursuivi.

Dans tous ces scandales, l'establishment politique tout entier veille à ce que personne ne soit tenu responsable. Pour ce qui est du rapport sur Ferguson, il conclut, en dépit de ses révélations accablantes, en faisant seulement quelques propositions de « réforme », vides et inoffensives.

Nul ne peut être tenu responsable parce que tous ces grands crimes font partie d'une conspiration criminelle plus vaste de la part de l'oligarchie financière en vue de garder la grande masse de la population dans la pauvreté et la soumission.

(Article original publié le 7 mars 2015)

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