Perspectives

Les « sales brigades » de l’Amérique en Irak

Au mois d’août dernier, le gouvernement des Etats-Unis et les médias avaient réagi à la décapitation brutale du journaliste américain James Foley par le groupe Etat islamique (EI) en faisant un grand étalage d'indignation morale. L’assassinat fut exploité pour justifier une escalade de la guerre lancée une semaine auparavant contre l’EI en Irak et son extension à la Syrie peu de temps après. Le président Barack Obama avait dénoncé l'exécution de Foley comme « un acte de violence qui choquait la conscience du monde. »

Il s’avère maintenant qu’au moment même où Obama et d'autres responsables se disaient horrifiés par les atrocités de l’EI, ils cachaient, avec la complicité des médias, des preuves, sous forme de photographies et de vidéos, de crimes similaires menés à grande échelle par des forces soutenues par les Etats-Unis en Irak.

Les actualités de la chaîne de télévision ABC ont rapporté la semaine dernière que des unités militaires irakiennes et des milices chiites, formées et armées par les Etats-Unis, faisaient l’objet d’une enquête du gouvernement irakien pour de possibles crimes de guerre. Il s’agit de tortures, d’exécutions sommaires de prisonniers sunnites, dans de nombreux cas par décapitation, et de profanations de corps. La chaîne était au fait de ces crimes depuis septembre de l'année dernière quand elle a découvert une vidéo en ligne posté par un membre des forces de sécurité irakiennes et montrant un prisonnier menotté et exécuté par une balle dans la tête.

L’enquête aurait été ouverte par le gouvernement irakien après qu’un journaliste d’ABC News a présenté du matériel prouvant que des « soldats en uniforme de certaines des unités d'élite irakiennes et des miliciens massacraient des civils, torturaient et exécutaient des prisonniers et exhibaient des têtes coupées. »

De nombreuses images postées par ABC la semaine dernière montrent des soldats portant des uniformes des Forces d'opérations spéciales irakiennes et de la Brigade d'intervention d'urgence, qui opèrent sous l'autorité du ministère irakien de l'Intérieur, posant avec des têtes coupées. D'autres montrent des forces spéciales irakiennes traînant des cadavres derrière leurs Humvees. Une autre image montre un cadavre suspendu à la tour de garde d'une base militaire irakienne.

En réponse à la révélation des crimes de guerre commis par ses agents en Irak, l'administration Obama a publié un communiqué déclarant: « Si ces allégations sont confirmées, les responsables doivent répondre de leurs actes. »

De telles déclarations sont sans valeur aucune. Alors qu'on a rapporté dans le détail les crimes de l’EI, presque rien n’a été dit par le gouvernement américain ou les médias sur les activités des forces soutenues par les Etats-Unis. Le New York Times n'a pas encore consacré le moindre commentaire à ces dernières révélations.

Le reportage d’ABC News a été enterré par le reste des médias, tout comme les médias américains avaient cherché à supprimer les photos des tortures pratiquées par l'armée américaine et la CIA à la prison irakienne d'Abou Ghraib il y a onze ans. L'administration Obama supprime toujours plus de 2000 photographies qui montrent des soldats américains en train de torturer, violer et assassiner des prisonniers irakiens et afghans.

En fait de responsabilité, c’est le gouvernement et l’armée américains qui portent la responsabilité principale non seulement des crimes de l'armée irakienne, mais encore de ceux de l’EI.

Avant l'invasion et l'occupation américaine de l'Irak en 2003, il n'y avait pas de combats sectaires dans le pays et Al-Qaïda n’y avait pas de présence significative. La dévastation produite par des décennies de sanctions, de guerre et d'occupation a créé des ravages dans le pays, tandis que les Etats-Unis attisaient délibérément les divisions sectaires en conformité avec la stratégie impérialiste du « diviser pour régner ».

Les États-Unis ont installé un gouvernement chiite sectaire, financé et entraîné une armée largement chiite pour éradiquer les fondements du régime sunnite du dirigeant déchu Saddam Hussein. Dans le même temps, la CIA a maintenu des contacts nombreux avec un Al-Qaida à base sunnite et sa filiale irakienne qui a mené une guerre sectaire contre le régime chiite, se soldant par des dizaines de milliers de morts civiles. Les liens de la CIA avec Al Qaïda remontent aux origines de l’organisation terroriste, née des milices de moudjahiddines financés et armés par la CIA et utilisés contre les gouvernements prosoviétiques et les troupes russes en Afghanistan dans les années 1980.

Dans la guerre aérienne de 2011 menée par les Etats-Unis et qui s’est soldée par l'éviction et le meurtre par lynchage de Mouammar Kadhafi, les États-Unis ont employé sur le terrain les forces djihadistes islamistes comme armée de procuration, des forces parmi lesquelles on trouvait des dirigeants « rebelles » déjà détenus au camp américain de prisonniers de Guantanamo. Dans le même temps, les Etats-Unis et leurs alliés régionaux acheminaient des armes aux forces d’Al-Qaïda en Syrie, y compris au Front al-Nosra et aux éléments qui allaient constituer l’EI, dans la guerre parrainée par les Etats-Unis pour le renversement du régime de président Bachar al Assad .

L'année dernière, les forces qu’ils ont armées et encouragées en Syrie ont commencé à s’opposer aux États-Unis et à leur régime fantoche à Bagdad. L’EI a lancé une offensive à la frontière, s’est emparée de larges pans de territoires dans le nord de l'Irak et a menacé l’échafaudage politique parrainé par les Etats-Unis dans le pays. On lance à présent les forces spéciales irakiennes et des milices chiites contre l’EI pour le repousser hors de l'Irak vers la Syrie, tout en terrorisant la population sunnite dans le nord et l'ouest de l'Irak.

La révélation des atrocités du gouvernement irakien dans la guerre contre l’EI fait éclater la propagande d'une prétendue guerre du « bien » contre le « mal ». C’est un conflit entre les forces réactionnaires poussées vers l’avant par la politique impérialiste prédatrice des États-Unis.

L'objectif, comme dans les précédentes guerres en Irak, en Libye, en Syrie et dans le massacre actuel en Afghanistan, est d’établir l'hégémonie américaine au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Afrique du Nord. En plus de ses immenses ressources pétrolières, la région a une importance géostratégique centrale pour l’offensive que mène l’élite dirigeante américaine contre ses rivaux au niveau régional et mondial, Russie et Chine notamment.

(Article original publié le 16 mars 2015)

Loading