Le Royaume-Uni monte une opération policière massive après les attentats terroristes de Paris

Le gouvernement conservateur britannique a réagi aux attaques terroristes de Paris en montant une opération policière et militaire massive et en cherchant à faire avancer ses plans d’offensive militaire en Syrie. 

Samedi matin, le premier ministre David Cameron a présidé une réunion du comité d'urgence Cobra. Les principaux ministres y ont assisté, avec les agences de renseignement et de sécurité et de hauts fonctionnaires de la police. 

Après la réunion, Cameron a déclaré dans une allocution télévisée, «Le niveau de menace [du terrorisme au Royaume-Uni] est déjà intense, ce qui signifie qu'un attentat est hautement probable, et le restera ». 

Comme Cameron assistait au sommet du G20 en Turquie dimanche, la ministre de l'Intérieur Theresa May a présidé une deuxième réunion de Cobra, révélant par la suite que des patrouilles de police renforcées étaient en alerte à l'échelle nationale et que des fouilles se faisaient aux frontières. Parlant à l'émission d'actualités de la BBC Andrew Marr Show, May a dit que les arrangements étaient en place pour « un soutien militaire » en cas d'attentat. Elle n'a pas voulu confirmer des rumeurs que le Special Air Service (SAS) opérait maintenant sans uniformes dans les rues du Royaume-Uni. Mais le rédacteur politique du Sunday Times Tim Shipman a confirmé que le SAS avait été mobilisé : « une unité anti-terroriste du SAS, d'environ 50 soldats a été déplacé de sa base à Hereford vers RAF Northolt avec des hélicoptères banalisés et prêts à agir très vite » en prévision d'une menace terroriste. 

Un article du Sunday Express a donné plus de détails: plus de 60 soldats, y compris le personnel du SAS et le Special Reconnaissance Regiment (SRR), opérait la nuit dernière sous la direction du [Commandement contre-terroriste de la Police métropolitaine de Londres] ». L'article ajoute, « Une unité de soldats sans armes a été déployée pour infiltrer des 'zones d'intérêt' clés connues pour contenir des partisans du djihad. Un autre groupe, armé d'équipement nucléaire, biologique et chimique, sera sur une base militaire 'à distance de frappe' de Londres, disponible pour répondre à un attentat terroriste de grande envergure ». 

L'Express a indiqué que les unités SAS avaient été mobilisées à la suite de « réunions de haut niveau avec des officiers supérieurs du renseignement de la Cellule d'analyse conjointe du terrorisme à MI5 [le réseau d'espionnage domestique en Grande-Bretagne] ». 

La dernière fois que le SAS a été mobilisé dans les rues de Grande-Bretagne fut à la suite des attentats terroristes de juillet 2005 à Londres. 

Les attentats de Paris ont entraîné des appels des médias et de sections de l'armée pour que la Grande-Bretagne joue un rôle central dans des frappes militaires en Syrie, au mépris de l'opposition publique et d'un vote du Parlement en 2013 où une motion du gouvernement conservateur approuvant des frappes militaires avait été rejetée. 

Ces appels d’une partie des médias durent depuis plusieurs semaines et ont été lancés la veille encore des attentats de Paris, lorsque le gouvernement américain avait révélé que le citoyen britannique et membre de l'Etat islamique Mohammed Emwazi avait été tué en Syrie dans une frappe de drone « ciblée». 

Emwazi, surnommé « Jihadi John » aurait été le personnage vu dans plusieurs vidéos de décapitations d'otages de l’EI. Il a été ciblé deux mois seulement après que des drones de la Royal Air Force britannique ont tué deux citoyens britanniques au cours d’assassinats ciblés en Syrie. 

Cameron a dit que le meurtre d’Emwazi avait eu lieu après que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne eurent travaillé « main dans la main, 24 heures sur 24 » pour le localiser et il a affirmé que son assassinat était « un acte d'auto-défense ». 

Les appels les plus francs pour un assaut militaire en Syrie proviennent de l'establishment libéral britannique. 

L’Observer, l'édition dominicale du Guardian, s'était montré partisan d'une campagne militaire britannique en Syrie la semaine dernière utilisant le prétexte de l'accident, encore inexpliqué, d'un avion civil russe au-dessus de l'Egypte. 

Dans son éditorial, l'Observer se plaignait de ce que les États-Unis effectuaient la plupart des missions aériennes de combat en Irak et en Syrie, alors que « la Grande-Bretagne, au grand dam de Washington et au grand dam évident de David Cameron et de son secrétaire à la défense, Michael Fallon, est impliquée en Irak, mais pas en Syrie ». 

Un tel «effort militaire chaotique et incohérent n'est pas susceptible d'avoir grand succès, même s'il inclut des forces terrestres crédibles, qu'il n'a pas à l'heure actuelle », déclarait l'éditorial. « Une stratégie commune avec des objectifs communs et une approche commune est nécessaire pour rendre plus efficace la guerre aérienne contre l’EI. Et après Paris, il y aura une pression sur le [chef du parti travailliste] Jeremy Corbyn pour reconsidérer l'opposition travailliste à l'extension des opérations de la RAF en Syrie ». 

Le Sunday Times, propriété de l'oligarque Rupert Murdoch, a salué la « guerre contre le terrorisme» lancée par le président américain George W. Bush il y a 14 ans, comme un guerre « dépourvue des règles normales de combat. »

Affirmant que l’EI perdait du terrain, en particulier face aux forces kurdes dans la ville de Sinjar, dans le nord de l'Irak, il dit: «Il devrait être clair à l'Occident que la défaite de l'EI nécessite le déploiement de la force sur le terrain ».

Le Daily Mirror pro-travailliste a ouvert ses colonnes à un ancien officier britannique, Bretton-Gordon, qui écrit, «la Grande-Bretagne ne peut plus jouer dans cette guerre contre l’EI». Il a affirmé que le vote de 2013 contre la guerre en Syrie au parlement « a été un facteur clé dans la montée de l’EI » et avait « énormément diminué la capacité du Royaume-Uni d’influencer les événements du monde ». 

Cela justifiait son appel que « c'[était] maintenant le moment pour nos politiciens de débattre et de voter pour les frappes généralisées contre l’EI en Syrie et partout où il pourrait être, pour assurer que la terreur que nous avons vue à Paris n' envahisse pas notre vie pour une autre génération ou plus ». 

Il a fini sur cet avertissement menaçant, « Le temps des discussions est presque terminé, c'est l'action qui est maintenant nécessaire, il est temps de défendre notre démocratie par tous les moyens, même si cela signifie ne pas toujours la pratiquer ». 

Le leader travailliste Jeremy Corbyn devait prononcer un discours sur la politique intérieure et étrangère comprenant une critique des guerres menées par l'impérialisme britannique depuis 2001, mais il a annulé le discours. 

Des extraits du discours de Corbyn ont été publiés à l'avance qui déclarait, « Depuis les 14 dernières années, la Grande-Bretagne est au centre d'une succession de guerres désastreuses qui ont amené la dévastation de grandes parties du grand Moyen-Orient . De cette façon elles ont augmenté, pas diminué, les menaces pour notre propre sécurité nationale".

Pour la forme, le parti travailliste est opposé à la participation britannique à des frappes aériennes en Syrie sans autorisation des Nations Unies. Mais il est entendu que des dizaines de députés travaillistes soutiendraient le gouvernement conservateur pour des frappes militaires, même sans cette autorisation. 

Interviewé aussi par Andrew Marr, le ministre de la Justice du gouvernement fantôme Lord Falconer, proche allié de Tony Blair, a dit, « Nous devons faire tout notre possible pour en finir avec l’EI ». Il a suggéré que le parti travailliste pourrait soutenir les frappes britanniques sans accord de l'ONU et a ajouté, « Je ne pousse pas à des troupes sur le terrain, mais finalement l’EI doit être vaincu et cela ne peut se faire simplement depuis l'air ». 

Il reste de sérieuses divisions dans les cercles dirigeants britanniques sur l'efficacité d’une action militaire en Syrie. Dans une interview au journal Independent on Sunday, le ministre des Affaires étrangères de l'Opposition, Hilary Benn, a rappelé que le Parti travailliste ne soutiendrait des frappes aériennes en Syrie que si Cameron avait l'autorisation de l'ONU. La ministre fantôme du Développement international travailliste Diane Abbott, proche alliée de Corbyn, a dit à Sky News, « Nous ne pouvons être d'accord pour bombarder la Syrie que s’il y a résolution de l'ONU, aussi, et c’est mon souci particulier, s’il y a un plan pour la question des réfugiés qui résulteront d’une nouvelle action militaire ». 

Plus tôt ce mois-ci, on apprit que Cameron avait mis en veilleuse son intention de tenir un vote parlementaire sur l'intervention militaire britannique à la suite d'un rapport de la Commission spéciale parlementaire des Affaires étrangères, très critique de toute implication britannique.

Samedi, James Kirkup, le rédacteur politique du conservateur Daily Telegraph a fait cette mise en garde, « Notre envie immédiate de montrer de la solidarité avec les Français (et de venger les victimes britanniques à Paris) pourrait bientôt entrer en collision avec l'aversion britannique à l'intervention militaire étrangère, née en Irak et nourrie en Libye ».

(Article paru en anglais le 16 novembre 2015)

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