Québec: le Front commun capitule sur toute la ligne

Dans un sabotage de la lutte contre l'assaut anti-ouvrier du gouvernement libéral québécois, le Front commun intersyndical, qui représente plus de 80% du demi-million d’employés de l’État sans contrat de travail depuis mars dernier, a annulé hier les journées de grève prévues les 1er, 2 et 3 décembre.

Cette décision, prise sans la moindre consultation des travailleurs qui avaient voté massivement en faveur de la grève, a été justifiée par le désir de «laisser tout l’espace possible afin de faire avancer la négociation».

En réalité, couplée à la présentation d’une contre-offre syndicale pleine de concessions, elle aura pour conséquence de démobiliser les membres de la base et de laisser le champ libre au gouvernement dans ses attaques sur les services publics et les employés qui les fournissent. Ce n'est pas hasard si les syndicats annulent les journées de débrayages qui auraient été les premières, après un cycle de trois journées de grèves partielles, à impliquer tous les travailleurs du secteur public en même temps.

Dans son communiqué, le Front commun a évité de mentionner le véritable motif de sa capitulation. Mais vendredi dernier, lors d’une assemblée convoquée à la dernière minute par l’influent syndicat de Champlain, affilié à la CSQ (Centrale des syndicats du Québec), son président Éric Gingras a présenté la fin des débrayages comme le moyen d’éviter une loi spéciale.

Si dans son discours officiel, le Front commun prolonge le silence tabou qu’il maintient depuis des mois sur les préparatifs du gouvernement Couillard à décréter les conditions de travail et à criminaliser toute résistance, c’est parce que la menace omniprésente de la loi spéciale démontre que les employés du secteur public sont engagés dans une lutte politique.

En rejetant les mesures du gouvernement Couillard pour démanteler ce qui reste de l’État-providence et ramener les conditions de travail des décennies en arrière, c’est toute la stratégie de classe de l’élite dirigeante québécoise et canadienne que rejettent les employés de l’État.

Face à l’appareil répressif de l’État canadien (gouvernement, police, tribunaux), les travailleurs du secteur public sont placés devant la nécessité de lancer un appel urgent à toute la population ouvrière du Québec et du Canada en vue d’une contre-offensive pour défendre non seulement les emplois et les salaires, mais aussi les droits démocratiques tels que le droit de grève.

Mais c’est la dernière chose que désirent les bureaucrates syndicaux – ces défenseurs endurcis et grassement récompensés de la «paix sociale», c’est-à-dire l’ordre capitaliste existant.

Les dirigeants du Front commun mentent quand ils prétendent que «le report de nos journées de grève pourrait s’avérer de courte durée si aucun mouvement significatif n’est constaté aux tables de négociation». Avec leurs longues années d'expérience en matière de trahisons des luttes ouvrières, ces bureaucrates syndicaux ne préparent pas la lutte contre le gouvernement Couillard, mais la capitulation.

La contre-offre présentée hier par le Front commun ne laisse aucun doute à ce sujet. Elle contient des concessions importantes sur tous les enjeux majeurs, que ce soit le niveau des salaires, la restructuration des échelles salariales ou les régimes de retraites.

Sur la question des salaires, alors que le gouvernement Couillard exige depuis le début un gel salarial sur deux ans et une maigre hausse de 1% chacune des trois autres années, le Front commun a baissé sa demande initiale de 4,5% par année sur trois ans pour ne réclamer aujourd’hui que 2,5 à 3% par année sur trois ans. Une partie de cette maigre hausse salariale serait liée à la croissance économique, signalant que le Front commun accepte le cadre budgétaire établi par l'élite dirigeante pour mettre le fardeau de la crise économique mondiale sur le dos des travailleurs.

Quant à la restructuration des échelles de salaires, le Front commun a noté qu’elle entrainerait une baisse de salaire pour 18.000 employés mais a promis que «nous poursuivrons les travaux sur la structure salariale avec le gouvernement». Cette mesure, censée favoriser un rattrapage salarial, vise en fait à diviser les travailleurs sur la base de l’ancienneté et du domaine d’emploi.

Finalement, sur la prolongation de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans exigée par le gouvernement, le Front commun ne s’y oppose pas en principe, souhaitant seulement qu’elle se fasse par des mesures «incitatives permettant aux gens qui le désirent de travailler plus longtemps», en échange d'une hausse de la rente. Le président du Conseil du Trésor s’est d'ailleurs réjoui de constater que le Front commun «ne ferme pas complètement la porte à revoir le plan de retraite».

Dans une tentative ouverte de baisser les attentes des travailleurs et de préparer des reculs encore plus importants, le Front commun a présenté sa contre-offre dans un esprit de cordialité et d'ouverture envers le gouvernement.

Revigoré par les efforts de la bureaucratie syndicale pour enterrer la lutte des travailleurs du secteur public et empêcher qu'elle devienne le point de ralliement d'un vaste mouvement populaire contre l'austérité capitaliste, le gouvernement a répondu à la contre-offre du Front commun par un durcissement de ses positions.

Le premier ministre Philippe Couillard a réitéré que la négociation doit se faire «dans le cadre financier du gouvernement qui ne changera pas». De son côté, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a déclaré: «On est à des années-lumières de s'entendre».

Notant que «le gouvernement a toujours dit que sa patience était limitée», Coiteux a rappelé les propos du premier ministre Philippe Couillard qu' «on ne peut pas avancer bien longtemps dans l'année 2016 avant d'en arriver à une entente» – ce qui représente une menace à peine voilée qu'un décret est en préparation. Les libéraux, faut-il rappeler, ont récemment annoncé qu'ils accorderaient aux administrations municipales le droit d'imposer unilatéralement les conventions collectives dans les villes.

Alors que le gouvernement Couillard applique avec intransigeance les mesures draconiennes exigées par la classe dirigeante – pillant les retraites des employés municipaux, coupant des milliards dans les dépenses sociales, privatisant davantage le système de santé à l'aide de nouveaux frais accessoires introduits dans sa loi 20 –, les chefs syndicaux maintiennent la fiction qu'il est possible de le faire changer d'idée par une discussion polie.

«Les représentants du Front commun à la table de négociation», peut-on lire dans leur communiqué d'hier, «ont fait la démonstration que le gouvernement avait amplement la marge de manœuvre budgétaire pour répondre à cette demande et pour renverser les compressions annoncées dans les services publics.»

Quel pitoyable aveu de faillite politique! À la guerre de classe menée par l'élite dirigeante, les travailleurs doivent opposer leur propre mobilisation politique indépendante et énergique. Ils doivent notamment se préparer à défier les lois anti-grève, en rupture avec la ligne de soumission des pro-capitalistes du Front commun.

 

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