Poutine accuse les USA de collusion dans la destruction du bombardier russe

La tension entre la Russie et les États-Unis continue de monter après que le président russe Vladimir Poutine a accusé Washington d’avoir fourni à Ankara les détails du plan de vol de l'avion russe abattu par la Turquie en Syrie mardi dernier. Le président américain Barack Obama a signé un projet de loi de Défense transfèrant des centaines de millions de dollars à des milices combattant les forces soutenues par la Russie en Ukraine et en Syrie.

Le bombardier Su-24 a été abattu par un avion de chasse turc avec la justification qu’il était entré une quinzaine de secondes dans l'espace aérien turc. Un des deux pilotes a été tué par des tirs des forces turkmènes en Syrie alors qu’il descendait en parachute après s’être éjecté. L’autre a été secouru par les forces spéciales russes et syriennes, avec la perte d'un sauveteur marin – suscitant l’accusation de Poutine qu’Ankara agissait en « complice des terroristes ».

Lors d'une conférence de presse conjointe avec le président français François Hollande au Kremlin, Poutine a accusé les Etats-Unis de transmettre à la Turquie les plans de vol d’avions russes. « Le côté américain qui conduit la coalition dont fait partie la Turquie connaissait le lieu et l'heure des vols de nos avions et nous avons été frappé exactement là et à ce moment » a-t-dit.

Washington a réagi à la destruction de l’avion russe en intensifiant de façon provocante son financement des forces mandataires combattant la Russie.

Selon des informations parues vendredi, sur les $607 milliards de la Loi de Défense nationale (NDAA) des centaines de millions sont prévus pour armer des forces en Ukraine et en Syrie. $300 millions sont destinés aux forces de sécurité du régime ukrainien qui mène une guerre civile sanglante contre les séparatistes soutenus par la Russie dans l'est de l'Ukraine. Près de $500 millions iront à la formation de «rebelles modérés» combattant le régime syrien soutenu par la Russie.

La réponse de la Turquie a été tout aussi belliqueuse. Erdogan a lancé à Poutine, « Honte à vous. Ceux qui prétendent que nous achetons du pétrole de Daech [EI] sont tenus de le prouver. Si non, vous êtes un calomniateur ... Je pense que s’il y a un camp qui doit présenter des excuses, ce n’est pas le nôtre ».

« Ceux qui mènent ​​une campagne militaire avec le prétexte de lutter contre Daech prennent pour cible des opposants anti-régime », a-t-il dit. « Vous dites que vous vous battez contre Daech. Excusez-moi, mais vous ne combattez pas Daech. Vous tuez nos frères turkmènes ».

Erdogan a dit qu'il pourrait parler avec Poutine à la conférence sur le climat à Paris cette semaine mais Poutine a jusqu'ici refusé de le contacter sans avoir reçu d’excuses, a déclaré vendredi son aide Yuri Ushakov.

Auparavant, Erdogan avait dit à la station de télévision France 24: « Si nous avions su que c’était un avion russe, peut-être l’aurions nous averti autrement ».

La réponse belliqueuse des pays de l'OTAN à la destruction du bombardier russe pose directement le danger que leur conflit avec la Russie ne dégénère en guerre totale. Elle a déclenché une réplique furieuse de Poutine.

Celui-ci a traité l'affirmation que le gouvernement turc n’aurait pas abattu l'avion s’il avait su qu'il était russe, comme l’a suggéré Erdogan à la télévision française, de «foutaises ». Il n’était pas «possible,» a-t-il dit, que l'avion abattu n’ait pas été identifié comme russe. Les avions russes « ont des signes d'identification et ceux-ci sont bien visibles ».

« Si c’était un avion américain, auraient-ils frappé un Américain »? a-t-il demandé. « Mais la réponse qu’on nous donne c’est qu’ils n’ont rien à se reprocher ... On a l'impression que le gouvernement turc cherche à pousser consciemment les relations russo-turques dans une impasse ».

Poutine a de nouveau affirmé que la Turquie achetait du pétrole de l'État islamique. Il n'y avait « aucun doute » que le pétrole du territoire «contrôlé par les terroristes » en Syrie allait en Turquie, a-t-il dit. « Nous voyons depuis le ciel où se dirigent ces véhicules. Ils vont vers la Turquie, jour et nuit ».

Il a accusé la Turquie de parrainer le terrorisme: « Ces barils ne transportent pas seulement du pétrole, mais aussi le sang de nos citoyens, car avec cet argent les terroristes achètent des armes et des munitions, puis montent de sanglantes attaques ».

Mercredi, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a annoncé que l'armée russe allait déployer son système de missiles S-400 dans la province syrienne de Lattaquié qui borde la Turquie et depuis la mer vers la même région le croiseur lance missiles Moskva. Le système S-400 peut atteindre des cibles à 400 km.

Commentant la décision, Poutine dit: «Nous n’avions pas ces systèmes en Syrie parce que nous croyions que notre armée de l'air fonctionnait à une altitude hors de portée des terroristes ... Nous ne pensions même pas que nous pouvions être frappés par une partie que nous considérions être un partenaire ... nous pensions que la Turquie était un pays ami. »

La Russie a mené des bombardements dans la région frontalière occupée par les forces turkmènes.

La Turquie fera l’objet de sanctions économiques majeures de la part de la Russie. La Russie est le deuxième partenaire commercial de la Turquie ($30 milliards annuels) tandis que la Turquie est l'une des grandes destinations étrangères de touristes russes.

Le premier ministre Dmitri Medvedev a déclaré jeudi que Moscou avait l’intention de couper les relations économiques avec la Turquie et annuler des projets d'investissement dans les 48 heures en réponse à un « acte d'agression contre notre pays ».

Le ministre russe du Développement économique Alexeï Ulyukayev a dit que les sanctions toucheraient TurkStream, le projet de gazoduc depuis la Russie vers la Turquie annoncé par Poutine en décembre dernier et la centrale nucléaire d'Akkuyu, la première centrale nucléaire turque à être construite par la Russie.

Le ministère russe de la Défense a annoncé jeudi qu'il avait suspendu tous les « canaux d'interaction » avec l’armée turque, dont une hotline devant éviter les affrontements dans l'espace aérien syrien.

L'office russe du tourisme a aussi suspendu les voyages en Turquie, ce qui pourrait coûter à celle-ci $10 milliards. Vendredi, il y eut des appels à interdire les importations de tous les produits en provenance de Turquie. Les médias russes rapportèrent ce jour-à que les camions transportant des marchandises turques restaient bloqués à la frontière.

Dans la ville de Krasnodar, des dizaines de travailleurs turcs ont été pris dans des razzias et arrêtés pour violation supposée de visa. Dans la région sud du Kouban, le Service russe des migrations a dit qu'il avait arrêté et déporté 39 hommes d'affaires turcs présents à un salon agricole.

 

(Article paru en anglais le 28 octobre 2015)

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