Lors d’une réunion de l’Union chrétienne-sociale près de Munich

L’universitaire de droite Jörg Baberowski fait de l’agitation contre les réfugiés

Jusqu’ici, l’universitaire de droite allemand Jörg Baberowski avait propagé ses points de vue réactionnaires dans des livres, des articles et des interviews où il défendait Ernst Nolte, l’apologiste de Hitler, minimisait la guerre d’extermination menée par les nazis et faisait de l’agitation contre les réfugiés.

Mais le professeur de l’université Humboldt (HU) est en maintenant en passe de devenir une influente figure politique de droite. Il est résolu à se servir de son poste à l’université Humboldt pour construire un mouvement d’extrême-droite en Allemagne.

Début octobre, Baberowski a pris la parole à un soi-disant congrès de spécialistes des migrations et des réfugiés organisé par l’Union chrétienne-sociale (CSU) à Erding, près de Munich. Le congrès avait aussi peu à voir avec la recherche scientifique que les travaux du professeur. Il s’agissait d’une réunion de parti ou plutôt d’agitation où la direction de ce parti droitier fulminait contre la politique jugée trop laxiste à l’égard des réfugiés de la chancelière allemande Angela Merkel, réclamait une restriction de l’immigration et davantage de déportations. Elle y insistait aussi sur plus d’interventions militaires agressives au Moyen-Orient et en Afrique.

Selon l’organe du CSU Bayernkurier, l’ambiance à l’hôtel de ville d’Erding était « chaude ». Le discours d’ouverture fut tenu par le ministre-président de Bavière et président de la CSU, Horst Seehofer, un partisan déclaré du premier ministre hongrois Victor Orban. Seehofer souhaite adopter les mêmes méthodes qu’Orban, à savoir des clôtures de barbelés et des contrôles stricts aux frontières de l’Allemagne afin de refouler les réfugiés.

Juste avant le congrès, le dirigeant du CSU avait menacé d’adopter des mesures d’urgence extraordinaires et de déposer une plainte constitutionnelle contre le gouvernement fédéral s’il n’agissait pas. Dans son discours d’ouverture consacré à la politique des réfugiés, Seehofer n’a laissé aucun doute sur ce qu’il pensait. Il a exigé la fermeture hermétique de la frontière allemande, longue de 3.000 kilomètres, et la prise de mesures fermes pour réduire l’immigration. Il a qualifié l’inaction de « capitulation de l’Etat constitutionnel devant la réalité. »

Lors de la discussion qui s’ensuivit et où prenaient part des politiciens en vue du CSU, Baberowski a soutenu leur « opposition à la politique de Merkel », en allant encore plus loin. Le gouvernement fédéral, s’est-il indigné, permettait « l’entrée d’immigrants clandestins » dans le pays et mettait donc en péril « tout ce qui avait fonctionné auparavant ». La chancelière agissait selon la maxime: « Nous ne savons rien, nous ne pouvons rien faire et nous laisserons les choses arriver. »

La radio bavaroise Bayerische Rundfunk a cité Baberowski ainsi: « les gens qui arrivent sans passeport sont des illégaux. Nous n’avons pas la moindre idée de qui arrive. Une immigration incontrôlée remet en question tout ce qui avait fonctionné jusque-là. Avec l’approche du ‘entrez tous’, nous avons raté une bonne occasion d’impliquer toutes les personnes concernées. Si nous continuons de les laisser passer, on dira que l’Allemagne résoudra le problème. Et les Etats-Unis font pression pour qu’une solution soit trouvée. »

Sur la question de « la lutte contre les causes des réfugiés », Baberowski a aussi cherché à surpasser les agitateurs du CSU.

Lorsque le ministre allemand de la Coopération économique et du Développement, Gerd Müller, a proposé « d’aller dans ces pays » et « d’y investir » pour améliorer la situation, Baberowski s’y est opposé en disant que des pays tels la Syrie, l’Irak et la Libye n’étaient plus des « Etats », mais des « espaces publics où règne la violence, où des acteurs violents décident de ce qui sera fait. » Il n’y avait donc aucune raison « d’y envoyer de l’argent. »

Baberowski estime, comme Müller, qu’il « faut aller » dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Il ne propose toutefois pas d’« investir » mais plutôt, pour intervenir, de recourir à des méthodes militaires, en violation de toutes les normes et de toutes les règles du droit international.

Il y a un an, au cours d’un débat au Musée historique allemand sous le thème « L’Allemagne : force d’intervention, » Baberowski avait déclaré, « Et si l'on ne veut pas prendre des otages, brûler des villages, pendre les gens et semer la peur et la terreur, comme le font les terroristes, si l'on n'est pas prêt à faire de telles choses, alors on ne pourra jamais gagner ce genre de conflit et il vaut mieux rester complètement en dehors. » 

La prestation de Baberowski à Erding a confirmé les avertissements du Partei für Soziale Gleichheit (PSG) et des Etudiants et jeunes internationalistes pour l’Egalité sociale (EJIES) comme quoi l’« attaque de Baberowski contre les droits démocratiques fondamentaux et les libertés universitaires sert les intérêts de ceux qui veulent transformer l'Université Humboldt en un centre de propagande droitière et militariste. »

Le 12 février 2014, Baberowski excluait des étudiants de l’HU et des historiens d’un colloque public dans le but d’étouffer tout débat critique sur la biographie de Léon Trotsky par l’historien britannique internationalement discrédité, Robert Service. A peu près au même moment, il avait déclaré dans Der Spiegel son soutien à Ernst Nolte, l’apologiste du nazisme, en déclarant, « Hitler n’était pas un psychopathe, il n’était pas cruel. »

Le programme d’extrême-droite de Baberowski est maintenant si visible que non seulement le CSU mais encore le NPD fasciste le considère comme un collaborateur idéologique. Les articles sur les réfugiés du professeur de Humboldt sont publiés et soutenus sur les pages Facebook du NPD qui, dans la dernière édition de son journal Deutsche Stimme (Voix allemande), certifie à Baberowski un « excellent travail [universitaire] » et prend fait et cause pour lui contre ses critiques de gauche.

Son programme droitier et fasciste est si évident que même des sections des médias bourgeois, tout comme ses propres partisans, commencent à se sentir mal à l’aise.

Peu après le passage de Baberowski à Erding, un article a été publié dans le journal Tagesspiegel par son élève Tobias Bütow qui s’inquiétait de ce que « les accusations qu’il faisait partie de l’extrême droite se multiplient. Il en est aussi question dans la presse française. L’historien qui jadis jouissait d’une renommée qui dépassait les barrières de sa discipline, veut influencer des débats au-delà des journaux historiques et perd peu à peu sa crédibilité d’universitaire. »

Alors que Bütow tente désespérément de se distancer des positions politiques d’extrême droite de son mentor, il cherche parallèlement à sauver les travaux « scientifiques et universitaires » de Baberowski. A la fin de l’article, il écrit, « Les recherches historiques sur la violence nous permettent de mieux comprendre les meurtriers de masse, les massacres et les crimes commis au 20ème siècle. Mais les conseils politiques fournis par l’historien créent des malentendus au 21ème siècle. Et des conflits. »

La tentative entreprise par Bütow de « sauver ce qui peut l’être » est un coup d’épée dans l’eau. Le PSG a démontré en détail en s’appuyant sur les déclarations publiques de Baberowski et une analyse minutieuse de son livre que ses « recherches historiques sur la violence » ne visent pas à « une meilleure compréhension des crimes du 20ème siècle, » mais au contraire à en préparer de nouveaux.

Dans la préface du livre récemment publié par le PSG, Science ou propagande de guerre, il est dit au sujet de sa banalisation des crimes de guerre de la Seconde Guerre mondiale et de la tentative des nazis de présenter la guerre d’extermination menée par l’Allemagne comme une guerre de légitime défense contre de violents partisans: « De telles falsifications historiques n’étaient auparavant formulées que dans les milieux d’extrême droite et fascistes. Leur promotion actuelle est étroitement liée aux tentatives entreprises par le gouvernement allemand de faire renaître le militarisme allemand. »

(Article original paru le 17 octobre 2015)

 

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