Canada: Le nouveau gouvernement libéral continuera les politiques d’austérité et de guerre

Les élections canadiennes de lundi dernier représentent un rejet catégorique par la population canadienne du régime conservateur de Stephen Harper qui gouvernait depuis une décennie. Mais le nouveau gouvernement libéral majoritaire – dirigé par Justin Trudeau, le fils de l’ancien premier ministre Pierre Trudeau – ne sera pas moins un instrument de la grande entreprise que les conservateurs, ouvertement à droite.

Le nouveau gouvernement utilisera une rhétorique «progressiste» creuse et fera quelques changements symboliques mais hautement médiatisés pour procéder plus facilement au démantèlement des services publics, attaquer les droits des travailleurs au pays et défendre agressivement les intérêts de l’impérialisme canadien à l’étranger.

Grâce à une posture anti-austérité trompeuse, les libéraux ont obtenu des gains sans précédent lors des élections de la semaine dernière, ayant remporté une victoire majoritaire avec 184 sièges sur les 338 à la Chambre des communes, alors qu’ils étaient, depuis les élections de 2011, loin derrière au troisième rang. Les libéraux ont remporté la totalité des sièges dans les provinces de l’Atlantique, ils en ont remporté une majorité au Québec (la première fois en trente ans), ils ont fait d’importants gains en Ontario et en Colombie-Britannique et ont même fait élire pour la première fois en cinquante ans un député dans le bastion conservateur de Calgary.

En tout et partout, les libéraux ont obtenu 39,5 pour cent du vote populaire, une hausse comparativement au creux historique de moins de 20 pour cent en 2011. Considérant le taux de participation électorale, toutefois, les libéraux de Trudeau ont remporté en réalité moins que le tiers de l’appui de l’électorat canadien.

Pendant la campagne électorale, d’importants représentants de la classe dirigeante ont indiqué qu’ils n’avaient plus confiance en Harper et qu’ils favorisaient un retour au pouvoir des libéraux, le parti préféré de la bourgeoisie canadienne pendant la majeure partie du vingtième siècle.

Conrad Black, un bailleur de fonds du mouvement néoconservateur canadien, a donné son appui à un gouvernement Trudeau, tout comme l’a fait le Toronto Star, ainsi que La Presse, le quotidien le plus influent au Québec. Le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel de l’élite financière canadienne, a déclaré que les conservateurs devaient être réélus en raison de leur «bilan économique» – c’est-à-dire des coupes sociales draconiennes et d’importantes baisses d’impôt pour les sociétés et les riches – mais qu’après leur élection, Harper devrait immédiatement démissionner.

La crainte au sein des cercles dirigeants était que Harper et son discours ouvertement réactionnaire et xénophobe puissent devenir la cible d’une colère populaire grandissante et le catalyseur d’une opposition de masse de la classe ouvrière.

Contrairement à Harper, Trudeau a fait semblant d’être préoccupé par les inégalités sociales croissantes et a affirmé vouloir un gouvernement «activiste» qui appuierait ceux qui luttent pour joindre les deux bouts. Accusant Harper d’encourager les politiques de «division», il s’est présenté comme un médiateur et un «rassembleur».

Toutefois, le discours mielleux de Trudeau et des libéraux durant la campagne ne pourra rien faire pour empêcher l’inévitable confrontation entre le nouveau gouvernement et la classe ouvrière.

Même si le programme d’infrastructure libéral dont on fait grand cas, qui vise à «relancer» l’économie, était mis en œuvre comme promis, les économistes prédisent qu’il n’offrirait qu’une faible croissance économique en 2016, entre 0,1 et 0,3 pour cent. Pendant ce temps, l’approfondissement de la crise capitaliste, dont les conséquences se sont déjà fait sentir avec la chute du prix du pétrole et des ressources naturelles, va forcer le nouveau gouvernement à défendre les intérêts de la bourgeoisie encore plus agressivement au pays et à l’étranger.

Il est révélateur que Trudeau ait tenté de se présenter comme le pendant du président américain Barack Obama. Les discours de Trudeau durant et après les élections, où il faisait souvent référence au «vrai changement», faisaient écho au verbiage rhétorique et insignifiant qui a marqué la campagne électorale du Parti démocrate d’Obama en 2008.

Mais les parallèles vont bien au-delà de la simple question de style. Comme Obama, Trudeau représente de puissantes sections de l’élite dirigeante qui voient la nécessité d’un tournant tactique pour mieux défendre ses intérêts. Ayant remporté la présidence américaine en tentant d’exploiter la colère populaire envers George W. Bush, le candidat du «changement» a donné des milliers de milliards de dollars à l’élite financière sous forme d’un renflouement des banques et d’«assouplissements quantitatifs», a poussé General Motors et Chrysler à la faillite afin de réduire radicalement les salaires des travailleurs de l’automobile et a poursuivi la guerre en Afghanistan en plus de déclencher de nouvelles guerres en Libye et en Syrie/Irak et d’intensifier massivement les frappes illégales par drones.

Le gouvernement Trudeau va également maintenir et intensifier le programme de droite de son prédécesseur.

Trudeau a déjà commencé à passer du mode de rhétorique de campagne au mode de la réalité politique. Lors de sa première conférence de presse postélectorale tenue à Ottawa mardi, il a refusé de fixer un calendrier pour retirer les avions de chasse CF-18 de leur mission de combat en Irak et en Syrie. Au lieu de cela, il a soutenu qu'il avait déjà téléphoné à Obama pour souligner combien le Canada souhaitait jouer une part active dans la coalition de guerre au Moyen-Orient des États-Unis.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) et les syndicats sont les principaux responsables du succès de la campagne «progressiste» des libéraux. Pendant des années, ils ont propagé le mensonge que les libéraux sont des alliés des travailleurs dans la lutte contre Stephen Harper et ses conservateurs.

En fait, c'est le gouvernement libéral Chrétien-Martin qui a ouvert la voie aux attaques de droite de Harper. Durant leur dernier mandat de douze années au pouvoir, les libéraux ont appliqué les plus importantes réductions budgétaires de l'histoire du Canada et ont ensuite transféré des dizaines de milliards de dollars vers les sociétés et les riches en réduisant les impôts pour les entreprises, sur le revenu et sur les gains en capital.

Le gouvernement libéral a également joué un rôle de premier plan dans la renaissance du militarisme canadien. Il a donné un rôle dirigeant au Canada dans les guerres en Yougoslavie et en Afghanistan, et a pris l'initiative de formuler et de populariser la doctrine de la «responsabilité de protéger», qui a servi de justification pour pratiquement toutes les interventions militaires impérialistes de la dernière décennie.

Sous le couvert de la campagne «N'importe qui sauf Harper», les syndicats ont versé des millions pour financer des publicités hostiles et des campagne d'inscription électorale visant à renforcer l'appui pour les libéraux qui, jusqu'à ces dernières élections, demeuraient très peu populaires parmi les travailleurs à cause des politiques de droite qu'ils ont menées quand ils étaient au pouvoir.

Opposition officielle dans l'ancien parlement, le NPD exprime depuis des années le désir de former un gouvernement de coalition avec les libéraux.

Dans le but de convaincre la grande entreprise qu'ils étaient «prêts à gouverner», le NPD a mené une campagne électorale très semblable à celle des conservateurs, déclarant son appui pour des budgets équilibrés et son opposition aux augmentations d'impôts, même pour le plus riche pour cent des Canadiens. Cela a permis aux libéraux de se présenter cyniquement comme de réels opposants à l'austérité et à Harper.

Ce programme de droite ayant été décidément rejeté par l'électorat – le NPD a perdu 59 des ses 103 sièges au parlement – le dirigeant du NPD Thomas Mulcair a tendu la main à Trudeau. Lors de son discours le soir de l'élection, Mulcair a décrit la victoire libérale comme étant «exceptionnelle» et a promis que les députés du NPD seraient ouverts à la coopération au parlement afin d'apporter le «changement».

De façon tout à fait prévisible, le Congrès du travail du Canada (CTC), Unifor (anciennement le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile) et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont tous applaudi l'élection d'un gouvernement libéral. Ils espèrent ainsi qu'après les services qu'ils ont rendus aux libéraux en faisant la promotion de leur élection et en ayant étouffé la lutte des classes, ils seront récompensés par un gouvernement Trudeau avec des postes de conseillers et autres positions lucratives. Les libéraux ont déjà promis de rétablir le statut fiscal privilégié des fonds d'investissement contrôlés par les syndicats.

Seulement quelques heures après la victoire écrasante des libéraux, l'élite financière avait déjà pris le pouls du nouveau gouvernement et lui donnait ses ordres. La bourse de Toronto a accueilli le nouveau gouvernement par une hausse mardi. Beaucoup de porte-parole ont dit être satisfaits de la majorité libérale, car cela annonçait une grande «stabilité» – en d'autres mots, le gouvernement sera encore plus libre pour défier la volonté populaire. Pendant ce temps, différents analystes financiers ont exhorté Trudeau à clarifier rapidement la façon dont il voulait assurer la «discipline financière».

«Il est toujours plus facile de dépenser que de contenir les dépenses et il faudrait que l'on sache comment les déficits résultant de l'augmentation des dépenses seront récupérés», a dit Charles St-Arnaud de Nomura, un important investisseur international.

Le caractère de droite du gouvernement libéral entrant est également reflété par ceux que Trudeau se préparerait à nommer pour son cabinet, quand le gouvernement sera formellement assermenté le 4 novembre.

Trudeau a désigné Peter Harder comme chef de son équipe de transition, un ancien représentant gouvernemental qui siège dans différents conseils d'entreprises et est le conseiller principal en politique de Dentons, le plus important cabinet d'avocats au monde. Harder est aussi le président du Conseil d'affaires Canada-Chine.

(Article paru d'abord en anglais le 21 octobre 2015)

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