La Russie poursuit ses frappes aériennes en Syrie, le risque grandit d'une guerre plus vaste

Un deuxième jour de frappes aériennes russes contre les forces anti-gouvernementales islamistes en Syrie a accru le danger que la guerre de changement de régime menée depuis quatre ans et demi par Washington ne tourne à l’affrontement entre les deux plus grandes puissances nucléaires. 

L'action de Moscou visant à frustrer la politique des Etats-Unis pour renverser le président syrien Bachar al-Assad, seul allié arabe de la Russie au Moyen-Orient et hôte de l’unique port naval russe hors de l'ancienne Union soviétique, fait que trois des armées les plus puissantes du monde – les Etats-Unis, la France et la Russie – mènent à présent des missions de combat non coordonnées dans les limites exigues de la Syrie. La Grande-Bretagne se prépare à entrer dans la mêlée dans les prochaines semaines. 

Les responsables russes ont annoncé tôt jeudi que les avions russes avaient frappé des cibles dans les provinces syriennes de Homs, Hama et Idlib, à la suite de frappes dans la même zone mercredi. La Russie a modifié son affirmation initiale qu'elle bombardait exclusivement les forces de l'État islamique (EI) et a ajouté al-Nosra, la filiale d'Al-Qaïda en Syrie, à sa liste de cibles terroristes. En même temps, Moscou a nié les allégations des États-Unis qu’elle avait attaqué l'Armée syrienne libre, une force dite «rebelle» ouvertement décrite par les médias et les responsables américains comme « formée et financée par la CIA ». 

Parlant aux journalistes à l'ONU, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré que les frappes aériennes russes « ne vont pas au-delà de l'EI, al-Nosra ou d'autres groupes terroristes reconnus par le Conseil de sécurité des Nations Unies ou par la législation russe ». Il a enchaîné en disant que la Russie ne considérait pas l'Armée syrienne libre un groupe terroriste. « Nous croyons que l'Armée syrienne libre devrait faire partie du processus politique » a-t-il dit. 

Le gouvernement Obama a adopté un ton plus agressif devant l'entrée de la Russie dans la guerre en Syrie. Alors que mercredi, le porte-parole de la Maison Blanche Josh Earnest avait encore minimisé l'importance de l'initiative russe, il dénoncait jeudi « les opérations militaires indiscriminées de la Russie contre l'opposition en Syrie » et avertissait qu'elles étaient « dangereuses pour la Russie ». 

Lors de sa séance d'information jeudi, Earnest a également annoncé que les responsables américains et russes avaient eu des entretiens de « désescalade » d'une heure tôt dans la journée, dans un effort pour éviter un affrontement entre les avions des deux pays. 

La principale responsabilité de la destruction de la société syrienne et la transformation du pays en brûlot pour une éventuelle guerre nucléaire incombe à l'impérialisme américain. Après le renversement et l'assassinat du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi à la suite d'une guerre aérienne menée par les Etats-Unis, menée en tandem avec des forces djihadistes, dans de nombreux cas liées à Al-Qaïda, les Etats-Unis ont attisé une guerre civile sectaire en Syrie visant à renverser le régime d'Assad. 

Comme en Libye, en Afghanistan et en Irak, le but de l'intervention en Syrie était d'installer un régime fantoche américain pour faciliter l'établissement de l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient et la domination des vastes ressources énergétiques de la région. 

Cette guerre de changement de régime, menée en alliance avec les monarchies sunnites du Golfe et la Turquie, a réduit la Syrie à un état de carnage et d'anarchie sans fin. On estime à 300.000 les personnes tuées, à 11 millions les personnes déplacées (sur une population de 23 millions) et à quelque 4 millions ceux qui ont fui à l'étranger, dont des centaines de milliers cherchant désespérément à entrer en Europe.

La campagne russe de bombardements a aussi révélé la fraude de ce que Washington appelle la guerre contre le terrorisme, tant en Syrie que généralement. La région ciblée par Moscou est contrôlée par une coalition de milices, principalement islamistes, appelée Jaish al-Fatah. En avril dernier, ce groupe a envahi la capitale de la province d'Idlib, et le mois suivant, il a saisi la ville stratégique de Jisr al-Shaghour, près du fief alaouite d’Assad, Lattaquié.

La force dominante de Jaish al-Fatah est le Front al-Nosra, la branche d'Al-Qaïda en Syrie. L'autre milice d’importance est Ahrar al-Sham, également liée à Al-Qaïda. Combattant en tant que membre de la coalition, ou séparément, se trouve l’Armée libre syrienne appuyée par la CIA.

Comme le journal britannique Telegraph l’a fait remarquer jeudi, la Russie, en ciblant «la filiale locale d'Al-Qaïda » a rendu « difficile pour l'Occident de critiquer ces attaques ou d’ergoter sur la qualification de ces cibles de ‘terroristes’ par la Russie».

Tout cela ne change rien au fait que l'intervention de la Russie est totalement réactionnaire. C’est une tentative par le régime du président Vladimir Poutine, qui représente les oligarques capitalistes criminels qui dominent la société post soviétique, de défendre la sphère d'influence de Moscou au Moyen-Orient et les intérêts financiers des monopoles russes du pétrole et du gaz.

La Russie espère renforcer sa position en Syrie afin de trouver un accord avec les Etats-Unis pour une transition vers un nouveau gouvernement, avec ou sans Assad, qui conservera des éléments du régime actuel et protégera les intérêts russes. Si ses actions ont un caractère défensif – éviter l'installation d'un gouvernement fantoche américain à Damas qui ouvrirait la voie à une escalade de la campagne par Washington d’encerclement militaire et finalement de démembrement de la Russie – elles ne font qu’accroître le danger d'une guerre beaucoup plus vaste.

La politique américaine en Syrie était déjà enlisée dans la crise avant les frappes aériennes russes. Plus d'un an de bombardements n’avaient pas réussi à affaiblir le contrôle de l’EI sur de vastes pans du territoire syrien. Le programme de $ 500 millions du Pentagone pour la formation de forces non-islamistes, combattant à la fois l’EI et Assad, s’est terminé par un fiasco; le chef du Commandement central des Etats-Unis avoua au Congrès qu’un total de « quatre ou cinq » soldats avait été déployé. Washington a été incapable de bloquer le renforcement militaire de Moscou dans l'ouest de la Syrie, ce qui força le président Obama à rompre le gel des pourparlers avec Poutine et à tenir lundi une réunion avec lui à l'ONU pour discuter de lapossibilité d'un règlement politique.

La réponse initiale de Washington aux frappes aériennes russes reflétait le désarroi des cercles dirigeants américains sur la Syrie. Certaines voix, une minorité, demandent que le gouvernement renonce à son insistance qu’Assad quitte le pouvoir. Exhortant à une «coopération» avec Moscou, Dianne Feinstein, la principale démocrate au Comité sur le renseignement du Sénat, a déclaré, « La clé est de vaincre l’EI, puis il peut y avoir une élection en Syrie et advienne que pourra. Il n'y a pas de successeur immédiat évident à Bachar al-Assad ».

Le sénateur républicain de l'Oklahoma, James Lankford, a déclaré que les États-Unis auraient à renoncer à évincer Assad « au moins pendant un certain temps ». Il a été appuyé par le sénateur républicain de la Géorgie, David Perdue, qui a dit que jusqu’à ce que les Etats-Unis aient une stratégie pour vaincre l’EI « ça va être difficile de s’occuper du cas d’Assad ».

Plus en vue sont les voix qui appellent à une politique des États-Unis encore plus irresponsable, d’une escalade de la confrontation et contre Assad et contre Poutine. Ils parlent au nom de puissants secteurs de l’establishment de la politique étrangère, militaire et du renseignement dont l’hostilité à l'accord nucléaire avec l'Iran est implacable et qui sont résolus à faire la guerre à la Russie et à la Chine.

John McCain, le président républicain de la commission sénatoriale des services armés, a parlé pour cette fraction mercredi. Il a déclaré depuis le parterre du Sénat, « Dans le débris de la politique du gouvernement au Moyen-Orient intervient maintenant Poutine. Comme en Ukraine et ailleurs, il considère l'inaction et la prudence de l'administration comme de la faiblesse, et il en profite ».

Jeudi, McCain a déclaré à CNN qu'il pouvait « confirmer absolument » que les frappes initiales russes étaient « contre notre armée syrienne libre ou des groupes qui ont été armés et formés par la CIA ... »

McCain fait implicitement allusion – des sections des médias le font explicitement – au changement dans les règles d'engagement en Syrie du Pentagone, annoncé par l'administration Obama au printemps dernier et qui permet aux forces américaines de combattre les forces gouvernementales syriennes ou tout autre groupe ou de pays qui attaquent les «rebelles» soutenus par les Etats-Unis. Ceci est destiné à faire pression sur la Maison Blanche pour qu’elle lance des attaques non seulement contre Damas, mais aussi contre Moscou.

(Article original paru le 2 octobre 2015)

 

 

 

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