Les États-Unis et leurs alliés condamnent la Russie pour avoir attaqué Al Qaïda en Syrie

Dans une déclaration conjointe vendredi, Washington et ses alliés dans la guerre pour le changement de régime en Syrie ont condamné les récentes frappes aériennes de la Russie dans ce pays, demandant à Moscou de limiter ses attaques à des cibles de l'État islamique de l'Iraq et de la Syrie (l'EI).

«Ces actes militaires constituent une escalade et ne feront que mettre de l'huile sur le feu de l'extrémisme et de la radicalisation», soutient la déclaration.

Ce message a été répété par le président François Hollande, qui a rencontré le président russe Vladimir Poutine à Paris. La Russie, a déclaré Hollande, doit «seulement frapper» l'EI.

La chancelière allemande Angela Merkel, qui s'est montrée avec Hollande après une rencontre liée à un sommet sur la crise en Ukraine, où Poutine était également présent, a déclaré: «Nous avons tous deux insisté sur le fait que l'EI est l'ennemi que nous devrions combattre».

Ces avertissements ont été lancés pendant que des avions de guerre russes exécutaient leur troisième journée de frappes aériennes, atteignant des cibles à Raqqa, la capitale de-facto de la région contrôlée par l'EI dans l'Est, ainsi que la position «rebelle» islamiste dans l'ouest, y compris Darat al-Izza, une ville de l'ouest d'Aleppo, et Maarat al-Nu'man, dans la province d'Idlib.

À Paris, Poutine a dit que les actions de la Russie en Syrie étaient dirigées contre «l'EI, le Front Al-Nusra et d'autres».

«Les cibles principales sont des groupes du Daresh [l'acronyme arabe pour l'EI] situés à proximité de Damas», a dit Alexei Pushkov, un haut-placé du ministère russe des affaires étrangères. Il a ajouté que les bombardements russes pourraient durer jusqu'à quatre mois.

Ce qui est le plus remarquable dans la déclaration des États-Unis et de ses alliés, ainsi que dans les remarques faites lors d'entrevues données par des représentants occidentaux, c'est la réticence à dire qui devrait être protégé des attaques russes.

Il y a eu de vagues références à une «opposition sunnite modérée», que le président Barack Obama a invoquée lors d'une conférence de presse de la Maison blanche vendredi. Il a utilisé la même occasion pour accuser Moscou de mener une «campagne pour simplement essayer de détruire quiconque est dégoûté et n'en peut plus du comportement de Assad».

En fait, les forces sur le sol que les États-Unis et ses alliés défendent en demandant à la Russie de cesser de les bombarder sont dominées par le Front Al-Nusra, l'affilié syrien d'Al Qaïda.

Certains reportages ont noté que les bombes russes ciblent des positions de Jaysh al-Fatah, ou l'Armée de la conquête, dans la province syrienne nord-occidentale d'Idlib. Cette «armée» consiste d'une coalition d'Al-Nusra et d'autres milices islamistes liées à Al Qaeda, qui sont appuyées par l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Après avoir massacré les villageois de Druze dans l'Idlib, elles menacent de se déplacer vers la province de Latakia, qui est principalement alawite et a été une base d'appui clé pour Assad, et où les forces militaires principales de la Russie ont été déployées.

Darat al-Izza, la ville de l'ouest d'Aleppo touchée par les bombes russes, est également contrôlée par une coalition similaire dominée par des combattants Al-Nusra.

C'est à ces forces que Obama faisait référence lors de sa conférence de presse quand il a déclaré que la Russie «ne fait pas de distinction entre l'EI et l'opposition sunnite modérée qui veut chasser Assad… La Russie voit toutes ces forces comme des terroristes, et ça, c'est une recette pour le désastre.»

Du point de vue de Washington, Al-Nusra était également un groupe terroriste; du moins il y a trois ans, quand l'administration Obama a ajouté le groupe à la liste d'organisations terroristes étrangères qui figurent sur la liste du Département d'État. À ce moment, le Département d'État avait cité des centaines d'attaques d'Al-Nusra, y compris des opérations-suicides, qui auraient coûté la vie à «de nombreux Syriens innocents». Et il avait déterminé que Al-Nusra n'était qu'un autre nom pour Al Qaïda en Iraq.

Trois ans plus tard, il est clair que Washington se retrouve dans ce qui, pour le moins, est une alliance de facto avec Al-Nusra, qui représente avec l'EI la milice anti-Assad la plus puissante. Des armes américaines fournies à des «rebelles» appuyés par la CIA se sont retrouvées dans l'arsenal d'Al-Nusra, pendant que le tout petit nombre de «rebelles approuvés», entraînés et armés par le Pentagone dans un programme ayant notoirement échoué, ont pratiquement tous fait défection pour rejoindre Al-Nusra ou ont remis leurs armes à la milice.

L'ex-général américain David Petraeus, qui a été à la tête de la CIA et a dirigé les forces armées américaines en Iraq et en Afghanistan, a incité Washington le mois dernier à renforcer sa position sur le sol en Syrie en recrutant des sections du Front Al-Nusra en tant que troupes par procuration des États-Unis contre le gouvernement Assad.

«Il se pourrait qu'à un moment donné on puisse s'attirer des «réconciliables» qui pourraient renoncer à Nusra et s'aligner avec l'opposition modérée... pour se battre contre Nusra, l'EI et Assad», a déclaré Petraeus lors d'une entrevue sur CNN.

L'intervention de la Russie vise indubitablement à empêcher l'écroulement du gouvernement syrien face aux attaques de milices islamistes sunnites, armées jusqu'aux dents et financées à hauteur de milliards de dollars par l'Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et les puissances occidentales, le tout sous la direction de la CIA américaine.

Les frappes aériennes ordonnées par Moscou augmentent la menace d'une confrontation militaire avec les États-Unis, qui continue de faire ses propres bombardements en Syrie avec la «coalition» qui consiste principalement des royaumes du pétrole sunnites réactionnaires. La France a également commencé sa propre campagne de bombardement indépendante au dessus de son ancienne possession coloniale.

De plus, l'intervention russe ne peut pas offrir une voie de sortie progressiste de la crise en Syrie, car elle vise à défendre les intérêts de l'État russe et de la classe parasitaire et criminelle d'oligarques post-soviétiques qu'il représente.

Néanmoins, c'est le comble de l'hypocrisie pour Washington et ses alliés de condamner la Russie pour son «escalade» militaire et pour avoir «alimenté l'extrémisme et le radicalisme».

La guerre civile qui a coûté la vie à près de 300.000 Syriens et transformé des millions de plus en réfugiés et personnes déplacées a été instiguée, financée et armée par les États-Unis, l'Arabie Saoudite, le Qatar et d'autres puissances occidentales. Ils ont tenté de répéter le «succès» obtenu avec la guerre des États-Unis et de l'OTAN en Libye, qui s'est terminée avec le renversement et l'assassinat de son dirigeant laïc Mouammar Khadafi, plongeant le pays dans une guerre sanglante entre milices et gouvernements rivaux, ainsi qu'une désintégration économique, politique et sociale qui continue jusqu'à aujourd'hui.

Pendant ce temps, le Qatar et l'Arabie Saoudite ont annoncé avoir organisé le transfert d'armes vers des bases aériennes turques pour distribution aux milices islamistes sunnites.

Les monarchies réactionnaires du pétrole réclament que la guerre civile syrienne se termine avec le renversement d'Assad et l'installation d'un régime pantin plus malléable à leurs intérêts.

Bien qu'il prétende appuyer une entente négociée, le but de Washington demeure le changement de régime, ce qui place les États-Unis et la Russie, les deux principales puissances nucléaires au monde, sur la voie de la collision.

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